Le Culte de Korag : Chapitre VI

Par Rânoh

Comme un seul, les fidèles convergèrent vers les tréfonds. L’on oyait la symphonie discordante de leur centaine de pas, lourds, marteler le sol de tous les étages, ils filaient le long de l’étroite paroi en une procession continue. Les lanternes qu’ils tenaient, loin au-dessus d’eux, formaient un tourbillon de lumières orange, une spirale enflammée guidée par la dévotion aveugle de ces gens. Ils allèrent ainsi assister à la mort d’inconnus, célébrer le meurtre en braillant, en hurlant, en secouant les muscles de corps nourris de la chair d’autrui. Alors, l’entière communauté d’Ombra Negra s’agglutina devant un autel, au plus profond de la terre, au plus proche du royaume des ténèbres. La fresque en bas-reliefs révélait ici le présage de la cérémonie, un rite de sang où une femme vêtue d’une tunique, serrée à lui en rompre les os, propageait les ondes de sa voix. Une messe dédiée au dieu de la destruction, le héraut de l’anti-vie dont le nom, longtemps, répandit la terreur, Korag le destructeur. La représentation de son être trônait en maître au-dessus des ondulations taillées en la pierre éternelle.

Parmi la masse de fidèles en adoration, Maeva se frayait un chemin jusqu’aux premiers rangs, le brasier illuminant l’autel lui servait de point de repère, elle ne le lâcha en aucune manière. Son cœur battait à en sortir de sa poitrine, l’ambiance mystique et l’angoisse générée par la situation ne firent qu’accentuer le malaise qui la hantait. Jouant des coudes, sans non plus bousculer l’assistance, la jeune femme s’approcha petit à petit de son objectif, l’œil toujours posé sur le courant de flammes effrayantes. Elle arriva au bon moment, car la foule se figea, cessa de bruire et tourna son attention du côté des prêtres. Tous deux vinrent sans se presser, accompagnés des cinq offrandes destinées au Seigneur, l’un et l’autre resplendissaient dans leur blanche robe sertie d’or et de bijoux. Puis, en un instant, la cérémonie débuta. Sibilha se planta au milieu de l’autel, juste derrière Kapris, elle serrait une dague contre sa poitrine en faisant vibrer l’air de sa voix angélique. Ce chant était un appel au meurtre, destiné à invoquer l’infâme dieu au présent office, pourtant, il sonnait comme les trompettes de l’éternité, si belles.

L’ancienne écuyère hésita, sa main pressée contre l’arme dissimulée sous les plis de sa robe, mais voir Kapris exposé de la sorte aux griffes de la mort lui donna le courage nécessaire. Avant les terribles événements du Cataclysme, il n’y avait pire chose que de tuer un être humain, qu’importait sa nature, la vie demeurait la chose la plus sacrée de l’univers. Cependant, maintenant que l’humanité s’était libérée du joug des dieux, l’Homme ne pesait plus le même poids sur la balance de l’au-delà. Tuer ne faisait plus peur à Maeva, elle vit tant de gens mourir par le passé, amis et amant, que la chose lui semblait tout à fait banale à présent. Mourir innocente ou vivre corrompue du sang de l’Homme, voilà longtemps qu’elle fit son choix. Alors, la brave guerrière reprit sa marche, elle grimpa une à une les marches menant à l’autel, le visage détendu, résolue dans ses gestes. Elle dépassa le prêtre et vint se planter devant Sibilha, dont la voix vibrait intensément et qui, voyant son amie la rejoindre, lui tendit la dague sacrée. Maeva s’empara de l’arme, puis contourna la prêtresse, sans précipitation, les fidèles n’y voyaient que du feu. Elle fit passer la lame dans sa main gauche, de l’autre, elle farfouilla sous sa robe azur avec un calme olympien malgré l’infernal cantique et les centaines de regards braqués sur sa personne. Le grand moment était arrivé, la voix sonnait à son paroxysme, elle réclamait le sang des impies, le désirait, ode à la violence et au génocide de la race humaine, les ondes soulevaient la terre comme elles élevaient les âmes, il fallait frapper.

Maeva frappa. Un puissant coup derrière le genou de la prêtresse fit chuter cette dernière, tombant à la merci de l’assaillante, qui l’attrapa sans attendre en tirant son pistolet. La lame pointée sur le cou de Sibilha et la tìu en direction du prêtre, elle provoqua l’indignation générale, nul ne comprit l’acte de l’invitée d’honneur.

— Je ne suis pas l’envoyée de votre dieu maudit, hurla-t-elle pour se faire entendre. Et pour cause, j’étais en première ligne lors du Cataclysme, à défendre vos misérables vies. Voilà comment vous remerciez le sacrifice de mes camarades, ah ! Kapris, les autres, bougez-vous, on remonte.

Tétanisé par la situation, aucun fidèle ne broncha. Ils regardèrent, béats, les prisonniers prendre le chemin du retour en dépit de l’état pitoyable de leur corps. Seul le prêtre parvint à se libérer de l’étreinte de la paralysie, il fut vif et sauta au visage de l’un des captifs. Un coup frappa comme la foudre, assourdissant, le faisceau du pistolet désintégra le tronc du personnage tandis que le bruit se répercutait infiniment contre les parois de la tour. Une tête et deux jambes s’écroulèrent en fumant au pied des fidèles, qui sortirent de leur torpeur en comprenant la scène qui se jouait là. Incapables d’agir sans les ordres de leurs guides, ils se contentèrent de suivre les fuyards en silence.

Dans les bras de Maeva, Sibilha pleurait, trahie par l’incarnation de sa foi, l’âme brisée, elle hurlait la douleur de son cœur, comme si la pointe de la dague venait de la transpercer. Jamais elle ne résista, son monde s’était effondré en un instant, ses esprits embrouillés réclamaient la mort.

— Tuez-moi, Maeva, tuez-moi je vous en conjure. Je ne peux plus mourir que de votre main, allez-y, les anciens le désir, ils l’avaient prévu, tuez-moi !

Concentrée à marcher à reculons, son canon visant la foule compacte de fanatiques qui la suivait, Maeva prit le temps de répondre qu’une fois le plateau du troisième étage atteint. Là, Kapris et les Évéens récupérèrent leurs affaires et celles de la jeune femme, avant de se remettre en route.

— Jamais je ne te ferai un tel honneur, fit la Princalienne, c’est la vieillesse et le désespoir qui t’emporteront si tu ne prends pas conscience de tes crimes odieux. Vis, et comprends tes erreurs, la mort sera pour toi une récompense que je ne t’offrirai pas.

Et ils reprirent leur ascension jusqu’au sixième plateau, où Maeva finit par se débarrasser de son otage en la jetant à ses gens. Assurée que personne ne se lançât à la poursuite de son groupe, elle tourna les talons et pressa le pas en direction de la sortie.

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Arnault Sarment
Posté le 25/11/2024
Maeva a beaucoup de classe, mais je ne peux m'empêcher de penser qu'elle prend un grand risque en laissant vivre Sibilha... Cette femme est dangereuse et tout aussi coupable malgré ses longs épanchements de larmes.
Rânoh
Posté le 25/11/2024
Épargner Sibilha est peut-être une erreur de la raison, mais la tuer demeurait délicat. Si l'on s'en prend à elle, Maeva riposte, or, Sibilha ne l'a pas attaquée. Dans un résidu de naïveté issu du temps passé au sein de l'Ordre de la Citadelle, la borgne crut en la rédemption.
Arod29
Posté le 09/07/2024
Hello!
Désolé de revenir si tardivement sur ton histoire mais j'étais bien occupé à finaliser "Allegro des Lames" pour le soumettre à un éditeur.
C'est toujours aussi bon!
Maeva est passée à l'attaque! C'est haletant. Et c'est toujours excellemment écrit. J'aime bien ce choix de ne pas tuer Sibilha, même si je ne pense pas que cela la fasse vraiment réfléchir! ;-)
Je n'ai noté qu'une petit faute.
"Vie, et comprends tes erreurs" Vis.
Merci!
A bientôt
Rânoh
Posté le 10/07/2024
Salut salut !

J'ai constaté que tu n'as pas chômé sur ton histoire, en effet ! J'espère que tu auras un retour positif, car tu le mérites.
Je corrige l'erreur de ce pas, merci de me lire et d'être fidèle à mon récit !
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