Le don

Le don est apparu à la puberté. Solal s’en souvient parfaitement. Ça lui avait fait bizarre. Il était à l’époque dans un collège avec un parcours de musique renforcé. Depuis tout petit, il avait une connexion avec la musique et avait demandé tôt à ses parents d’apprendre le piano. Depuis, il était en osmose avec cet instrument. Il avait appris à maitriser les bases du violoncelle, sa préférence restait toujours au piano. Les premières mélodies apparurent alors qu’il flirtait avec une camarade de classe. Les portées et les notes étaient d’un blanc laiteux et un peu trouble. Sur le moment, il était resté interdit, elles s’étaient volatilisées. Doté d’une mémoire photographique, il avait retenu la mélodie et l’avait joué au piano. Elle lui avait plu, sortant de l’ordinaire. 
Le phénomène ne s’était pas reproduit tout de suite. Solal n’y avait plus pensé, très accaparé par ses cours. Il revit les notes laiteuses un soir en soirée alors qu’il dansait avec une camarade de classe. La danse était langoureuse et ses hormones étaient en ébullition, comme souvent quand on a seize ans. Il avait alors déposé un baiser dans le cou de sa partenaire et les notes avaient gagné en lisibilité. Malheureusement, peu de temps après, ils avaient bu un peu d’alcool et la mélodie s’était évaporée. Depuis cette expérience, Solal avait renoncé à boire de l’alcool. 
Les notes avaient commencer à prendre des couleurs l’été de ses dix-sept ans, quand il avait rencontré Riley, son correspondant Américain. Solal avait craqué pour ce garçon aux allures de surfer américain et à la créativité débordante. Il jouait du violon. Leur passion pour la musique les avaient rapproché. Ils jouaient ensemble, cela provoquait une exaltation nouvelle pour Solal qui rapidement rechercha le contact physique. Heureusement, son correspondant réagit favorablement à ses avances. Leur premier baiser, échangé en secret  un soir lors d’une sortie cinéma, fit naitre les couleurs. Trop captivé par ces nouvelles découvertes, Solal n’y pris pas garde. Il remarqua le vert pastel de la mélodie de Riley un soir alors que tous deux osaient poussé la découverte plus loin. Solal venait de déposer un baiser délicat sur le bas ventre de Riley quand la brume musicale capta son attention, dans son esprit Solal, en lisant la musique, entendait des roulements de tambours aux rythmes rapides. Alors qu’il descendait encore plus bas, il eut l’impression que la partition exigerait plus que du piano pour rendre la puissance du moment. Solal mit cette idée de coté afin de ne pas perdre l’intérêt d’un Riley aux abois. 
À partir de cette réflexion, Solal commença à jouer avec un petit logiciel, FL Studio, qui lui permit de retranscrire ses partitions simplement et d’ajouter instruments et des beats. Ce fut une révélation monumentale: le logiciel lui permettait de vraiment donner vie à la mélodie des gens avec plus de justesse et de subtilité. Par la suite, il put voir les mélodies de chaque personne qu’il croisait, il lui fallait établir le contact s’il voulait vraiment comprendre la partition dans le détail et le contact physique offrait les mélodies les plus riches et transposables sur son logiciel. Petit à petit, il comprit que la couleur émanant d’un individu le renseignait sur le ton général de sa musique. Ainsi, il développa une affinité particulière pour les ambiances chaleureuses traduites par de couleurs chaudes. Les résultats étaient toujours plus à son gout. Sa première expérience avec une femme lui confirma son attirance pour les mélodies aux tons chauds. 
Il fit la rencontre de Faith à la fin d’un été très chaud. Il avait dix-huit ans. Il occupait une maison en bord de la mer et ses parents n’étaient plus sur son dos. Il passait ses journées à composer et à se baigner. Faith fréquentait la même plage avec assiduité. Elle  l’avait remarqué et joué sur la curiosité pour l’aborder. 
− Qu’est-ce que tu écoutes ? 
Solal lui avait simplement passé un second casque et ils avaient écouté l’une de ses compositions. 
− Wahou, c’est génial. C’est qui ce DJ ? 
− Moi. 
− Sérieux ? Tu devrais en faire profité un max du monde, ça va faire un carton ! Tu en as d’autres  à me faire écouter. Au fait, je m’appelle Faith.
− Solal. Je peux te faire une démo chez moi, si tu veux. 
La proposition était innocente, Solal trop heureux de pouvoir faire entendre sa musique. Faith le suivit. Installée confortablement, elle laissa la musique l’emmener loin pour suivre Solal dans son univers. Pour finir sa prestation, il improvisa en suivant la mélodie d’un rouge scintillant qui émanait de Faith. 
− C’est dément comme cette musique me parle ! Elle recrée des émotions qui me sont familières, si je puis dire. Je ne sais pas trop comment l’expliquer. 
− Profites en, c’est de l’impro et de l’exclu totale ! 
Solal admira la femme  aux formes voluptueuses devant lui. Elle était totalement emportée par la musique, c’était si beau à voir. Son corps se mouvait avec le rythme et le rouge lui montait aux joies. Solal vint la rejoindre sur le canapé, il ne dit rien. Le baiser fougueux qu’elle lui offrit le surprit agréablement. Il y répondit avec empressement. Laissant ses mains courir sur son dos, il tira sur le lacet retenant le haut de son maillot de bain. Pétillement de la mélodie. Il enveloppa de ses mains les seins ronds offert à lui, et continua ainsi à suivre les indications de la mélodie de Faith. Elle gagna en profondeur, laissant les tons pastels pour des tons plus affirmer à chaque fois qu’il offrait du plaisir à sa partenaire. Elle fut la première femme avec laquelle il coucha. Cette expérience encra définitivement son don dans des tons saturés. Solal obtint par la même occasion des gammes plus riches dans lesquels il pouvait pioché pour formé une oeuvre cohérente sans la nécessité d’ajouter trop de fioriture pour avoir un rendu fidèle à ce qu’il capte chez les gens. 
Faith et lui se fréquentèrent régulièrement malgré des lieux de vie éloigneés. Sur son conseil, il commença à mettre des créations en ligne sous le pseudo de Solaria. Il ne fallut pas longtemps pour qu’il soit sollicité par l’industrie officielle de la musique. Cette rencontre avait stabilisé son don et depuis dix ans, il s’en servait pour créer des tubes planétaires et se construire une renommée mondiale, dans l’anonymat grâce à la stratégie emprunté à Daft Punk. Ne pas montrer son visage. Les rares personnes connaissant l’identité de Solaria, comme Faith ne dirait rien. Il leurs avaient  fait promettre. L’information n’a jamais été éventée à ce jours. 

Plongé dans ces souvenirs, Solal s’interroge. Devrait mettre Aimé dans la confidence ? Son don ne rend probablement pas son comportement acceptable pour autant. Maintenant, qu’il pense à son évolution, il se dit que son don stagne sans doute à cause de son attente car il est vrai qu’il ne cherche pas à en apprendre plus sur les gens qu’il côtoie. Il se satisfait de la superficialité de leur musique. Et dans un sens c’est suffisant vu cu qu’il a produit comme musique. Il ne met pas longtemps à comprendre, qu’accepter de fréquenter une seule personne lui fait peur. Car il a peur de perdre de la matière de travail et il a peur de tournée en rond musicalement. Tout ça ne peut être expliqué à quelqu’un qui ne soit pas dans la confidence. Incapable d’y voir claire, Solal décide de faire retraite dans la maison de ses parents au bord de la mer. Il faut qu’il change d’environnement. Cela fait des jours qu’il tourne en rond suite à son désaccord avec Aimé. 
Quelques heures, Solal arrive à destination. Il pose ses affaires et file directement sur la plage quelques mètres plus loin. Il fait chaud en ce début de soirée. Il marche au bord de l’eau, apaisant enfin la tempête de pensées qui tournent dans sa tête. Il admire l’océan, les baigneurs et les enfants qui jouent avec le sable. Parfois, il aimerait mettre son don en pose afin qu’il puisse calmer ses ardeurs, mais le besoin impérieux de la musique ne se tarie jamais. Ou alors, il lui faudrait quelqu’un au mélodies suffisamment riches pour calmer le besoin de toujours chercher la nouveauté. Un peu comme Aimé lui souffle sa conscience.
−Solal !!
L’appel le sort de ses réflexions. Un grand sourire éclaire son visage lorsqu’il reconnait celle qui l’a interpellé.
− Faith ! Salut, comment vas tu ? 
− Ça va bien et toi ? demande-t-elle en sortant de l’eau. 
− J’ai besoin de prendre du recul, je suis nul à ce jeu. 
− Tu es chez tes parents ? 
− Ouais, ça fait longtemps que je ne suis pas venu, ça me manquais. 
− Je suis heureuse de te revoir. On mange ensemble ce soir, si tu veux ? 
− Carrément. Tu es seule ? Viens avec qui tu veux. 
− Il n’y aura que moi, malheureusement. 
− Je vais faire quelques courses, tu viens dans une petite heure ?
− Ok, à toute. 
Faith dépose un baiser sure sa joue. Solal la regarde s’éloigner. Sa mélodie s’est assombrit par rapport à la dernière fois qu’il l’a vu. Il se demande ce qu’elle a vécu ces dernières années pour devenir rouge sombre et nettement plus triste. Solal s’en retourne vers la maison et part faire des courses. 
À son retour, Faith l’attend, assise sur le perron de la maison. Elle se lève et le suit dans la maison. Sans rien dire, ils se lancent dans la confection de tacos. Il y a quelques années qu’ils ne se sont pas vu, le silence est pourtant dépourvu de tension. Une fois le repas prêt et installé sur la terrasse face à la mer, Solal parle :  
− Alors Faith qu’est ce qui t’amène dans le coin ?
− Je viens de perdre un proche. Les funérailles ont eu lieu, il y a quelques jours et j’ai décidé de prendre le temps de savourer la vie en bord de mer. Plus paisible que ma vie dans une grande ville. Je suis absolument ravie que tu sois passer par là. Tu ne viens plus souvent ?
− Le suis navré pour toi.  Je bouge pas mal pour des prestations, je ne prends  plus assez de temps pour moi en vrai. Je n’arrive pas à m’arrêter quand je bosse. 
− C’est clair que tu as une sacrée productions. C’est super ! Bravo et merci pour ta musique si revigorante.
−  De rien. La vérité, c’est que je stagne depuis un moment et ça me frustre. Je suis venu ici pour prendre du recul.
− Ça ne s’entend pas en tout cas. 
Solal fait la moue.
− À vrai dire, est ce que tu accepterais de m’écouter. J’ai conscience qu’avec ce que tu traverses, c’est sans doute toi qui aurait besoin d’être écouter, j’ai besoin d’énoncer les faits et sans doute de conseils.
− Entendre parler de la vie d’un autre me fera du bien, au contraire. Je t’écoute. 
Solal se lève et revient avec le dessert : un pot de glace et deux cuillères. 
− Ces dernières années, je ne me suis posé avec personne. Je n’ai pas d’amis. Les gens que je fréquente sont des sources d’inspirations en matière de musique. Il y a quelques semaines, j’ai croisé un homme, un danseur sublime. Il est une source d’inspiration débordante et il semble que j’ai fait l’erreur de me mettre trop vite au travail après avoir enfin réussit à le convaincre de me côtoyer en dehors des boites de nuit. Il me l’a reproché et je n’ai pas compris pourquoi tant mon nouveau travail m’enthousiasmait. J’ai été honnête en lui disant que je voulais qu’il reste dans les parages, mais que je ne voulais pas exclusif. Il a décrêté que nous n’avions plus rien à nous dire et est parti. 
− Je comprends sa réaction. Tu es entrain de me dire que depuis tout ce temps, tu n’as eu aucune stabilité affective ? Personne ne peut vivre de cette façon indéfiniment. Tu n’as même  pas essayé, une seule fois ?
− Non, ce n’est pas compatible avec mon mode de création. 
− Aurait tu as perdre , si ce n’est du temps et un creux dans ta carrière ? À mon avis, tu peux te permettre prendre ce temps, financièrement , ce ne doit pas être un problème, si ? 
Solal acquiesce.
− Je ne peux pas me couper de la musique. Ça m’est impossible. C’est mon essence vitale. 
− Et alors ? Tu continues à faire de la musique sans tenir compte des autres, justes pour toi, sans publication. Et travailles ton équilibre entre relation et boulot. Je pense restée pas mal de temps ici. Restes, renouons et consolidons notre amitié. Tu verras le bien que tu peux en tirer même si il n’y a pas de relations charnelles. 
− Je vais y réfléchir. Et toi qu’est ce que tu deviens ?
Faith parle longuement de sa vie et ses tribulations. Solal écoute attentivement. Pour terminer la soirée, il propose une impro musicale rien que pour elle. Comme il l’avait fait il y a plusieurs années de cela. Il veut l’égayer un peu après ces mois difficiles. 
Quelques jours plus tard, Solaria annonce qu’il prend une année sabbatique. 

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