Le garçon du marché

Par Sylvain
Notes de l’auteur : N'hésitez pas à jeter un coup d'œil à la carte:
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Cela faisait quelques jours maintenant que sa sœur était partie pour le nord, et bizarrement, elle lui manquait. Pas comme une amie absente bien sûr, mais plutôt comme si un élément du décor avait disparu. Elle était habituée à sa perfidie et à ses pics, et elle ressentait comme un vide. Le soleil était radieux aujourd’hui, et c’était la journée idéale pour aller faire quelques achats. On sortait de l’hiver et il était temps pour elle de renouveler sa garde-robe. Non pas qu’elle soit complètement à court de vêtements, ses penderies étaient pleines à craquer de  robes, de corsets et de chemisiers, mais il était de coutume que chaque nouveau mois, elle rende visite au maitre-tailleur Elesir afin qu’il lui confectionne de nouvelles tenues. Le printemps était là, et l’artiste avait sans doute reçu de nouveaux tissus, il devait attendre sa venue avec impatience. Ne lui avait-il pas fait remarquer qu’elle était la plus jolie fleur d’Elhyst, et qu’il ne concevait pas d’habiller une autre qu’elle avec ses plus belles étoffes ? Non, elle ne pouvait décemment pas ignorer le pauvre homme, et se devait de lui porter assistance dans sa recherche de l’excellence. C’est donc l’humeur légère qu’elle se dirigeait vers le commerce du couturier, accompagnée de Dame Eline. La ville haute paraissait bien vide maintenant que les délégations étaient reparties. Elle passa devant un petit stand de fruits tenu par un jeune homme. Celui-ci lui jeta un regard équivoque. Quel toupet ! Ces gens populaciers ne connaissent vraiment pas les bonnes manières, ils n’ont aucune éducation, se dit-elle en détournant la tête.

 Le visage du garçon lui disait vaguement quelque chose sans qu’elle soit capable de mettre le doigt dessus. Elle oublia bien vite le roturier pour se replonger dans ses pensées. Il faudrait également qu’elle se choisisse un mari parmi ses nombreux prétendants. Il était hors de question qu’elle finisse vieille fille comme la tante Renielle, décédée la saison dernière. Quelle horreur ! Elle trouvait le fils des Pardifles plutôt séduisant, et elle ne le laissait pas indifférent si elle en croyait les rumeurs, mais pouvait-elle raisonnablement épouser un homme dont la famille élevait des chevaux ? Si riches qu’ils soient, ils n’appartenaient malgré tout pas à la même classe sociale. C’était un véritable imbroglio. Elles arrivèrent enfin devant l’entrée du tailleur. Un homme grand et svelte, à la moustache rocambolesque les salua.

— Princesse Nemyssïa ! Vous nous faites l’honneur d’égayer notre modeste échoppe par votre délicieuse présence.

La princesse eut un petit rire ravi.

— Maître Elesir est-il absent ? demanda-t-elle.

Le gandin pris un air accablé.

— Ah ma Dame, mon pauvre oncle est souffrant, mais je me ferai fort de vous présenter nos plus beaux tissus, et de vous conseiller afin que le pauvre homme puisse vous confectionner la parure parfaite lorsque son état le lui permettra.

— Rien de grave j’espère ?

— Non, les amants soient bénis, juste quelques problèmes d’estomac que la bienséance m’interdit de développer face à une demoiselle de bon rang.

— Princesse, intervint Dame Eline. Je vous laisse en bonne compagnie, je m’en vais quérir un nouveau service à thé, vous savez que cette tête de linotte d’Eyanna a laissé tomber une tasse et qu’on ne peut imaginer conserver un ensemble dont il manquerait une pièce. Parfois, je me demande à quoi peut bien penser votre sœur, elle semble constamment dans les nuages. J’espère que sa formation de prêtresse se passera bien ; non pas qu’elle soit idiote, Eljane me garde d’énoncer une chose pareille, mais elle a l’esprit espiègle, et la concentration n’est pas toujours…

—  Vous pouvez y aller Dame Eline, comme vous l’avez si bien évoqué, je serai en bonne compagnie, la coupa gentiment Nemyssïa.

— Bien, parfait, je me hâte, dit sa compagne en s’éloignant.

— Entrez je vous en prie, je vois que vous êtes encore vêtue de mantel, doublé de fourrure d’hermine. Sachez que la tendance n’est plus aux couleurs pastel, mais plutôt aux teintes vives. Il vous faudra aussi troquer votre velours contre un nouveau tissu de soie, le cendal, qui fait fureur ; les dames Affanites ne jurent plus que par ça dans le sud. La coupe a également évoluée, plus ajustée au niveau du buste et légèrement évasée à partir de la taille, avec une discrète échancrure au niveau du col, elle est tout bonnement sublime.

— N’est-ce pas quelque peu… audacieux ? demanda la jeune fille en rougissant.

— Pensez-vous, au diable l’obscurantisme ! Les temps ont évolués, et les tenues avec ! L’époque où les femmes devaient masquer les lignes de leurs corps derrière d’austères bliauds est révolue, terminées les encolures à raz du coup ! Place aux découpes harmonieuses et à la féminité !

— Très bien maître, vous m’avez convaincue, je vais me laisser guider par vos conseils avisés.

— Vous m’en voyez ravi ! Vous ne le regretterez pas, je vais de ce pas vous montrer nos dernières réceptions. Les affanites ont réussi des prouesses en matière de teinture. Comme je vous le disais, la mode cette année sera au carmin, au cramoisi et au vermillon ! Me croiriez-vous si je vous disais que ces artisans ont réalisé ces tons en utilisant de l’extrait d’œufs insectes ?

— C’est… époustouflant.

— Je suis bien d’accord, qui a prétendu que les Abyssaux avaient le monopole de l’inventivité ? gloussa son hôte. Avancez, que je vous fasse découvrir nos différents coloris.

La princesse déambula dans la pièce en s’émerveillant de chaque étoffe présentée. Elle se dirigea vers l’arrière-boutique où de somptueuses soieries bleues azur attirèrent son regard. Elle se retrouva nez à nez avec un petit homme replet au visage joufflu et ridé.

— Maître Elesir ! s’exclama-t-elle. Je me réjouis de vous trouver en meilleure forme, comment allez-vous... Maître ?

Nemyssïa fronça les sourcils devant le silence du tailleur. A bien l’observer, il avait le teint plutôt pâlot, voire… cadavérique. Et une tige métallique dépassait innocemment de son pourpoint, sur lequel s’était auréolée une grosse tache pourpre. L’homme la fixait d’un regard vitreux. La jeune femme eut juste le temps de comprendre la situation qu’un solide bâillon lui fut fourgué dans la bouche, et un gros sac s’abattit sur elle.

 

Nemyssïa se sentait ballotée. Elle se trouvait visiblement dans une charrette. Ligotée et bâillonnée, elle avait beaucoup de mal à respirer à cause du sac dans lequel elle se trouvait. Deux voix étouffées lui parvenaient.

— Ben mon salopiaud, tu l’as bien renardée la sauterelle, un vrai cuistre !

— Quelques beaux mots mis bout à bout et tu embobines la première puterelle venue, les sangs bleus ne font pas exception.

— N’empêche… insista le premier. T’as drôlement bien jacté.

— Dix minutes avec ce fanfaron de tailleur, et j’en savais assez pour ouvrir un commerce. Il caquetait comme une vieille pie ! Jusqu’à ce que je l’embroche bien sûr, après, il était nettement moins causant.

Les deux hommes éclatèrent de rire.

— En tout cas, on aura rempli notre  mission, la Reine sera contente. Pas comme ces bélîtres qui ont été infoutus de raccourcir le vieil Estelon.

— Tais-toi maintenant, on arrive devant les gardes, ça serait idiot de se faire pincer ici.

Nemyssïa fulminait de s’être fait attrapée de la sorte, mais surtout… elle était terrifiée, paniquée. Qui étaient ces hommes, que lui voulaient-ils ? Et de quelle Reine parlaient-ils ? Autant de questions sans réponses, mais la plus importante : Comment se tirer de là ?

— Qu’est-ce que vous trimballez dans votre chariote ? demanda une voix nasillarde.

Les soldats, se réjouit la princesse. Quels sots ! Ils pensaient vraiment pouvoir m’enlever comme ça ? Père les enverra aux geôles de fer, pour sûr.

— Rien que d’ la paille et d’ la fiente de porcs Messire, nos bêtes sont revenues tantôt de la foire, et on nettoie pour n’pas salir votre belle cité. Pis ça servira à faire pousser les navets.

— Bien, répondit le garde d’une voix écœurée. Dépêchez-vous de retourner dans votre bourbier.

Comment, ils les laissent passer aussi simplement ? s’alarma la princesse. Les hommes de son père étaient bien plus regardant sur ce qui entrait dans la ville haute que sur ce qui en sortait. Le trajet dura encore bien une heure, où la pauvre fille fut secouée dans tous les sens. Son calvaire s’arrêta finalement momentanément. Elle entendit les voix s’éloigner, puis se sentit brusquement soulevée. Au bout de quelques minutes, elle fût déposée au sol, et le sac s’ouvrit, lui permettant d’aspirer une grande goulée d’oxygène. Un jeune homme châtain roux aux cheveux ébouriffés la dévisageait.

— Vous ! siffla-t-elle. Mais vous êtes le jeune malpoli du marché ?

— Malpoli ? répéta le garçon en fronçant les sourcils.

— Oui, vous m’avez effrontément  suivi du regard tout à l’heure.

Celui-ci souffla d’un air agacé.

— Taisez-vous petite péronnelle ! Vous n’êtes pas encore tirée d’affaires, vos ravisseurs sont partis un instant, et vont  remuer ciel et terre lorsqu’ils se rendront compte que vous n’êtes plus dans leur carriole.

— Agresseurs dont vous faites partie je vous rappelle !

Le garçon lui plaqua la main sur la bouche en balayant les alentours du regard.

— Silence ! Vous allez nous faire remarquer.

Nemyssïa mordit aussi profondément qu’elle le put son assaillant. Celui-ci poussa un cri étouffé.

— Hôtez vos doigts crasseux de mon visage ! ordonna la princesse.

— Bon sang ! Mais qu’est ce qu’il vous prend ?! s’énerva le garçon en sortant un couteau d’une poche. Vous êtes malade !

La jeune femme fixait la lame d’un œil terrifié.

D’un geste sec, il attrapa la robe de la princesse, et tira dessus en la découpant au niveau des hanches. Nemyssïa se contempla avec horreur.

— Mais… qu’avez-vous fait ? bredouilla-t-elle.

— Désolé votre altesse, mais ici, vous êtes aussi discrète qu’une pustule sur le joufflu d’un nouveau-né. Tenez, enfilez-ça.

Il s’était débarrassé de sa chemise de laine et la lui tendait. Nemyssïa contemplait l’habit avec dégoût.

— Hors de question.

— Je… pardon ?

— Hors de question, répéta-t-elle d’un air pincé. Je ne mettrai pas ces… haillons.

— Vous pensez que c’est un jeu ? Que vous arrivera-t-il selon vous si nos deux amis vous mettent la main dessus ?

—Mmm, très bien, donnez-moi ces… frusques, abdiqua-t-elle.

Elle passa la guenille, et d’un geste précis, lui écrasa les orteils de son talon avant de s’enfuir en courant. Le garçon grogna de douleur avant de se lancer à sa suite en clopinant. Nemyssïa distançait son poursuivant. Elle devait bien reconnaître que courir avec une robe raccourcie était plutôt pratique. Elle cavalait, mais elle n’avait cependant aucune idée de sa destination, elle était totalement perdue. Elle termina sa course, les poumons en feu, dans une venelle, complètement désorientée. Un coup d’œil dans les airs lui indiqua la présence du gigantesque viaduc. Vu de dessous, il était tout bonnement impressionnant, comme un géant menaçant et omniscient guettant ses proies. Un frisson lui parcourut l’échine. Elle était plutôt habituée à contempler le Cloaque du ciel, comme une formidable fourmilière sur laquelle elle aurait eu droit de vie et de mort. Le fait de se retrouver piégée à son tour dans cet enfer lui glaçait le sang. Je n’ai qu’à le suivre en gardant le soleil dans le dos, je déboucherai forcément sur le pont des amants, pensa-t-elle. Fière de sa perspicacité, elle s’élança, confiante et ne remarqua absolument pas les deux ombres qui la filait discrètement. Au détour d’une ruelle, elle percuta quelque chose et tomba abruptement au sol. Encore étourdie par le choc, elle releva la tête pour découvrir qui avait eu l’indécence et le culot de basculer son séant princier dans la terre.

— Qu’est ce que…

Sa phrase mourut au fond de sa gorge. Un corps à moitié dénudé se balançait paresseusement au bout d’une corde, à quelques pieds du sol. Le cadavre semblait fixer la princesse d’un air impassible. Ses joues étaient gonflées ; quelque chose avait été introduit dans sa bouche. Nemyssïa se rendit compte avec effroi qu’on avait tranché les doigts du quidam, avant de lui enfourner indécemment dans l’orifice buccal.  La princesse recula instinctivement sur les fesses, incapable de détacher son regard de la scène.

— Mais qu’est ce qu’on a trouvé là ? Une petite souris des villes !

Nemyssïa se tourna vers l’origine de la voix rocailleuse. Deux hommes inquiétants la toisaient d’un air égrillard. Ils portaient des chemises grossières aux couleurs ternes, et une simple cale de toile leur couvrait le crâne. Une forte odeur de poisson émanait des deux lascars.

— Regarde ce que nous envoie le Père pour nous récompenser d’une bonne journée à trimer sur le lac !

— Une belle compensation pour deux honnêtes pêcheurs ! J’ai justement les membres tout engourdis par le froid, et j’aurais bien besoin qu’on me les réchauffe un brin.

— Pour qui me prenez-vous, je ne suis pas ce genre de personne ! siffla la princesse.

— Toi ma coquine, tu seras ce qu’on décidera que tu sois, la tança l’un des deux énergumènes en la saisissant par le poignet.

— Lâchez-moi ! glapit-elle en griffant sauvagement l’agresseur au visage.

Celui-ci poussa un juron tandis que son comparse se bidonnait.

— Arrête de te boyauter foutre de clapet à fiente ! le tança-t-il. Et toi ma ptite chatte, je vais t’éduquer, pas sûr que tu sois toujours aussi agréable à l’œil quand j’en aurais fini avec toi.

— Vous ne savez pas qui je suis ! rétorqua la jeune fille d’une voix terrifiée.

— J’n’en ai foutrement rien à secouer ! Tu vas bien gentiment faire ce qu’on te dit et pt’ être que je te laisserai une ou deux ratiches pour pouvoir encore becqu’ter !

— Non non non ! piailla-t-elle. Je vous préviens, je suis…

— … la propriété de Texor ! la coupa une voix forte.

Les deux gredins se tournèrent vivement vers le jeune homme qui venait d’apparaître au coin de la rue, la main ensanglantée.

— T’es qui toi ? demanda l’un des butors l’air mauvais.

— Celui qui a payé une fortune pour passer du bon temps avec cette bordelière.

L’homme le reluqua en exhibant une dentition abominable.

— Désolé mon cochon, il va falloir attendre ton tour, il en restera peut être encore quelque chose à en tirer une fois qu’on aura fini avec elle… Si t’as de la chance ! rajouta-t-il sur un ton graveleux.

— Et vous n’aurez plus qu’à expliquer à Texor comment deux péquenauds l’ont ridiculisé publiquement en abusant d’une de ses filles.

A l’évocation du plus gros maquereau de la ville basse, les deux voyous semblèrent hésiter. Texor n’était pas un enfant de chœur, et certaines histoires circulaient sur son compte dont personne n’avait particulièrement envie de vérifier la véracité.

— En plus, cette gourgandine n’est pas encore totalement domestiquée, rajouta-t-il avec un sourire complice en exhibant sa main meurtrie. Elle arrive tout droit de la bordure Daëlienne, et qui sait quelle cochonnerie elle trimbale dans son sang ?

Nemyssïa jeta un regard outré au jeune homme. Les deux hommes se gaussèrent.

— Très bien, on ne voudrait pas s’attraper une pissote gangréneuse, on te la laisse, mais promet-nous de   lui faire regretter son insolence à cette petite putasse.

— Ne vous en faites pas, je n’en suis pas à ma première danse répondit le garçon en leur adressant un clin d’œil grivois.

Les deux larrons éclatèrent de rire et abandonnèrent les deux jeunes gens.

— Une puterelle ! explosa la princesse. Une vulgaire prostituée, moi ? La fille du Roi?

— De rien Majesté, ne me remerciez surtout pas, vous auriez peut-être préféré passer un peu de bon temps avec ces deux gentilshommes ?

— Non, bien sûr… J’imagine que je vous dois quelques remerciements pour m’avoir tirée de ce mauvais pas, bredouilla-t-elle.

— Peut-être bien oui, répondit-il avec humeur.

— Je vous avez peut-être mal jugé en fin de compte… merci… heu… votre nom ?

Le garçon la contempla avec tristesse.

— Alors… Vous ne vous rappelez vraiment pas de moi ?

— Je… non, je devrais ? Pardonnez-moi, je n’ai pas l’habitude de discuter avec les gens du peuple.

— Bien-sûr, nous ne sommes que des pillards sans scrupules pour vous, ne vous rappelez-vous donc pas de ce jeune homme qui vous aborda le jour de l’intégration ?

Nemyssïa réfléchit un instant avant de s’exclamer :

— Mais si, bien sûr, le malappris avec son panier de fruits…oh… c’était vous...

Le garçon la regarda d’un air révolté.

— pfff, J’aurais mieux fait de vous abandonner à votre sort, vous ne valez pas mieux que votre père.

— Mon père ? s’exclama-t-elle. Mon père est un homme bon, avisé, qui fait énormément pour son peuple !

— Comme de mettre la ville basse à feu et à sang pour retrouver ses agresseurs ?

— Les chimères sont des bandits, des truands qui ne méritent que la potence.

Le garçon se passa la main dans les cheveux.

— Vous savez princesse, c’est votre opinion, mais les gens du Cloaque ne le partage pas forcément.

Nemyssïa ricana.

— Comment ça, bien sûr que si ! Les chimères sont un ramassis de coupe-jarrets qui terrorise la population, tout le monde sait ça !

— En fait… pas vraiment. Beaucoup les considèrent comme des sauveurs, capables de s’opposer au joug des Estelon. Ils sont un symbole de liberté pour énormément de personnes. Leur Reine est vénérée ici.

— C’est impossible…, balbutia la jeune femme. Mon père est un souverain bienveillant.

— Un souverain bienveillant ? s’énerva le garçon. Venez princesse, il faut que je vous montre quelque chose qui vous rendra peut-être la vue.

Ils se dirigèrent vers une artère principale où une cacophonie monumentale montait  des bâtiments. Des chariots circulaient dans la boue, des gamins en guenilles dévalaient la rue en bousculant les passants et des commerçants vantaient leurs produits. Des étals de fruits, de légumes ou de barbaque étaient disposés un peu partout, soumis à l’assaut incessant de mouches grasses. Au milieu de ce panaché de senteurs hétéroclites, une se démarquait des autres, une odeur de viande faisandée, acre et insupportable. Une de ces odeurs qui vous prend à la gorge et vous tire les larmes des yeux.

— Qu’est ce que c’est que cette puanteur ? coassa la princesse en se bouchant les narines.

— Cette odeur princesse, c’est celle de votre père.

Nemyssïa releva la tête et aperçut, tout du long de la  large allée, des gibets disposés de chaque côté, espacés de quelques coudées. Des corps de femmes et d’hommes décharnés pendaient lamentablement au bout de cordes. Certains avaient visiblement étaient mutilés, d’autres s’agitaient encore faiblement, leurs dernières bribes de vie leur échappant inéluctablement. Nemyssïa resta bouche bée devant ce spectacle apocalyptique.

— Voilà, la magnanimité légendaire de votre père, assena son compagnon. Que se passerait-il, selon vous, si les gens ici apprenaient votre identité ? Je doute qu’ils vous accordent l’accueil chaleureux auquel vous vous attendiez.

— C’est impossible… bégaya-t-elle. Impossible…

— Depuis l’attentat du pont des Amants, c’est la folie, les arrestations et les pendaisons arbitraires sont légion, la moindre suspicion et vous vous retrouvez suspendu comme un jambon. Et gare à vous si vous essayez d’aider un de ces malheureux, vous vous retrouvez aussitôt à ses côtés. La milice veille, dit-il en désignant un des soldats.

Un groupe conséquent de soudards remontait l’allée en brutalisant les passants. Ils arrêtaient chaque personne leur paraissant un peu louche et la soumettait à un interrogatoire rigide.

— Leurs armures sont vertes et noires, ce n’est pas la couleur de notre famille, mais celle d’ Akaran… Eljane, Qu’avez-vous fait père ?

— Au fait, mon nom est Delain...

 

C’est une princesse totalement pétrifiée et horrifiée par ce qu’elle avait vu  que le jeune homme ramena à la limite de la ville haute ce soir-là. Ils avaient continué leur périple à travers la ville basse, et avaient été témoins d’atrocités toutes plus ignobles les unes que les autres. Ce qu’elle avait découvert dans le Cloaque avait profondément ébranlé ses convictions, elle se rendait compte que l’homme qu’elle avait adulé depuis son enfance comportait une part sombre qu’elle n’avait jamais soupçonnée.

— Je vous laisse retourner à votre petite vie dorée princesse, il est assez peu probable que nous nous recroisions un jour, je cesserai de venir vous importuner désormais.

Elle se tourna vers lui et lui adressa un regard vide.

— Merci pour ce que tu as fait pour moi Delain… Je ne sais comment te remercier, et je n’ose imaginer mon sort si tu ne m’avais sauvé… Adieu…

La jeune fille se dirigea en chancelant vers son monde, probablement changée à jamais, sous l’œil triste du garçon.

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Edouard PArle
Posté le 04/03/2022
Coucou !
La princesse est confrontée à la réalité des actes de son père, forcément ça fait mal. Le contraste entre le début de chapitre (très intéressant de développer des éléments sur la mode, ça ajoute de la profondeur) et l'action qui suit, très noire fonctionne parfaitement.
L'idée de Sebours d'ajouter un chapitre pour qu'on se prenne à détester Nemyssia est très intéressante. Après, faudrait qu'il serve à quelque chose de plus, si on a qu'une princesse qui fait ses chichis pendant un chapitre entier ça ne servira pas forcément tant que ça l'histoire.
Ca reste satisfaisant de la voir bouleversée par la dure réalité. Ce chapitre est probablement l'élément déclencher de changements plus profonds du personnage.
Mes remarques :
"mais les gens du Cloaque ne le partage" -> ne la partagent
"— Cette odeur princesse, c’est celle de votre père." très sympa cette réplique !
Je continue...
Sylvain
Posté le 06/03/2022
Effectivement, la descente dans le Cloaque marquera un tournant dans l'histoire de Nemyssïa. C'est vrai que je n'ai pas beaucoup approfondi son côté détestable avant ça, je me suis posé la question, mais je n'étais pas convaincu de l'utilité. J'avais surtout peur de trop en rajouter.
Sebours
Posté le 24/02/2022
Il y a une petite erreur que tu commets souvent. Tu oublies de nommer le personnage dont tu parles au début du chapitre. Là, en plus je ne retrouvais pas le prénom de Nemyssïa qu'on n'a pas vu depuis un moment. Du coup, le lecteur doit chercher un peu de qui il est question et cela nuit au confort de lecture. Je finirai la phrase d'introduction ainsi:
"et bizarrement, Nemyssia se dit qu'elle lui manquait."

Il faudrait que tu précise que la princesse est bâillonnée. Il n'y en a aucune description ni dans la charrette de fumier ni lors de la libération. Pourtant c'est important. Dans le cas contraire, pour la princesse ne crierait-elle pas lors du poste contrôle?

Je trouve qu'on n'a pas eut assez le temps de détester cette princesse arrogante. Ici, elle prend la réalité en pleine face et va changer. J'aurai bien aimer la détester un peu plus longtemps, la voir minauder et mépriser les faibles... Ca lui donnerait plus d'épaisseur. Peut-être réécriras-tu un ou deux chapitres en amont par la suite.

Tu pourrais développer la description des pendus. C'est un moment charnière dans la vie de la princesse. Je te dis ça car je réfléchis à quelque chose de similaire dans mon histoire et plus j'y pense, plus cinq lignes pour expliquer un bouleversement psychologique, c'est peu.

Sinon, une petite correction. "Je vous avez peut-être mal jugé en fin de compte" c'est "je vous avais"
Sylvain
Posté le 24/02/2022
Il faudrait que je fasse apparaitre le nom de mes personnage en début de chapitre. Je reprendrai mes chapitres en suivant ton conseil.
J'ai précisé qu'elle était bâillonnée, mais c'est vrai que le passage est très rapide, je détaillerai davantage les sentiments qu'elle peut ressentir dans la charrette.
L'idée de rajouter quelques chapitres n'est pas mauvaise, ca me permettrait en plus d'apporter d'autres détails.
Je prend tous tes conseils, merci beaucoup!
Vous lisez