- C'est une fille qui travaille avec moi, ça t'ennuie ? Je pensais que j'avais le droit de recevoir mais si...
- Il n'y a pas de problème voyons. J'ai juste été un peu surpris c'est tout.
Liam l'a ensuite battu froid tout le samedi, certainement sans s'en rendre compte et sans vraiment le vouloir. Il s'avéra plus préoccupé que Yann n'aurait pu le prévoir. Le climat sembla des plus étrange. Jusqu'à ce que soudainement, il lui propose de venir avec lui le lendemain, déjeuner chez ses parents, une grande première !
L'invitation a surpris le jeune homme mais il a pensé que si cela rendait sa bonne humeur à son colocataire, ça ne pouvait être qu'une bonne idée.
Yann apprécie sa compagnie, l'homme est calme, sympathique, posé, bien que face à lui une gêne soit apparu dernièrement : quelques difficultés avec une certaine condescendance que le blond affiche souvent à son égard et la sensation d'être constamment coupable sans trop savoir de quoi.
Pourtant, en règle générale, le quotidien est si calme, si simple avec lui, que Yann a tenté de fermer les yeux sur les petits défauts de leur cohabitation. Le réunionnais a donc fait des efforts bien que de plus en plus le comportement que Liam manifeste en sa présence l'énerve carrément. Bien que Yann soit certain que Liam ignore tout de la réalité du monde de « ceux d'en bas de l'échelle sociale » et qu'il s'en voudrait de penser du mal d'un type qui l'aide tellement gentiment, cette sorte de charité mêlée d'arrogance, même s'il arrive encore à vivre avec, commence à pourrir leur relation.
De plus en plus souvent ces derniers temps, Yann se retrouve dépassé par son propre caractère. Il ne peut se retenir de lancer quelques répliques cinglantes. Depuis longtemps adepte du persiflage et de la raillerie, les mots sortent quelques fois du tac au tac sans qu'il n'ait le temps de réfléchir avant de les balancer. L'un regardant l'autre de haut sans trop s'en rendre compte, l'autre répondant a cela par un comportement désagréable et maintenant par-dessus le marché, il fallu ajouter une rivalité en incluant cette fille à leur comédie.
- Faut sans cesse que je pose des problèmes, je supporte mal les autres et je fais des conneries plus grosses que moi.
À la longue, le réunionnais finit par avoir peur de lui-même. Chaque phrase, chaque pensée, chaque mouvement ou mimique, chaque mauvais choix, lui donne l'effet d'avoir balancé une dose de poil à gratter dans la vie des gens et cela crée des écueils dans la sienne.
C'est ce qu'il se dit ce jour, en repensant à l'idée idiote qu'il a eu de ramener cette fille dans sa chambre.
- Je me sens obligé de compliquer les choses, d'être désagréable, de détruire même parfois, c'est dingue ! Que ce soit par un fait exprès ou bien sans arrières pensées, quoi que je fasse, je trouve forcément le moyen d'envenimer les situations déjà précaires. Pourquoi je ne suis pas simplement resté célibataire ? Ça n'est pas comme-ci j'avais pas compris les regards que Liam pose sur moi ! Et lui ne peut-il pas me laisser un peu d'air aussi ?
Yann ne voit en Liam dernièrement que ce côté complaisant et supérieur et se sent méprisé, alors qu'il n'a déjà pas une grande confiance en lui-même ! C'est sans doute là, que le bas blesse. Bien sûr, en aucun cas, il ne remettra en cause son propre jugement. Même pas pour réfléchir à la possibilité que les agissements maladroits de Liam puissent être simplement une petite jalousie mêlée d'une envie bienveillante de protéger son prochain.
Les parents de Liam ne lui inspirent pas mieux, il les trouve affables et s'ils paraissent au premier abord plutôt chaleureux, il est persuadé qu'il s'agit là d'apparences. Bien que la mère de Liam, une petite femme rousse, lui rappelle un peu physiquement la sienne, il ne lui laisse pas pour autant le bénéfice du doute. Il ne se sent pas vraiment "comme il faut" avec « c'est gens là ». Ici, autant qu'à l'appartement, tout pue l'argent et la réussite et certainement, sur plusieurs générations. Il ne saurait pas dire la raison exacte, le fait est que cela l'agace. Il n'a pourtant rien à reprocher réellement à son colocataire et propriétaire. De plus, Yann n'a nullement l'âme d'un communiste acharné, seulement cette odeur de fric et ce côté nanti le titille. Alors maintenant qu'il se sent en faute, une colère sourde couve en lui et il hésite à savoir vers qui, lui-même ou Liam, il doit la diriger.
« Ils vivent tellement au dessus du sol qu'ils ne savent rien du tout du bitume ! » A-t-il sorti à marie au téléphone, un soir. Marie qui lui a bien entendu reproché ses aprioris.
Les deux colocataires sont tout simplement emplis d'idées reçues. Tout deux se trompant sur l'autre.
Parce qu'évidement, Liam aussi se méprend sur son colocataire. Il voit Yann tel un post-ado rebelle en quête d'identité. De fait, il l'imagine certainement en danger, à chercher ses limites. Préférant ignorer son âge, qu'il ne lui a d'ailleurs jamais demandé, et tellement certain de son appréciation, Liam le croit du coup, également fragile et sans vraiment quelqu'un pour prendre soient de lui. En soi, ce dernier jugement n'est pas totalement faux, seulement il a tord sur tout le reste. Il prend l'allure de l'andro pour de la transgression alors qu'il y a belle lurette que Yann n'a plus personne à convaincre et plus rien à prouver. Quelque part, il amalgame le Uzu qu'il a connu jadis : Ironique et malsain envers lui-même et les autres, pour cacher un mal être et le Yann d'aujourd'hui qui est juste dans son rôle depuis si longtemps que le costume lui colle désormais à la peau. Ces deux là n'ont pourtant en commun qu'une lointaine blessure.
Parce que Yann n'est pas misanthrope comme a pu l'être Uzu et qu'il ne se cache pas derrière une image, il ne soufre que d'un manque de sentiment de sécurité passager. Liam conçoit le personnage comme quelqu'un d'inconséquent qui subsiste tant bien que mal, prend ce qu'on lui donne et vivote en suivant la vague. Rien n'est moins vrai. Puisque personne ne prend plus soin que Yann, de réfléchir à son avenir.
Résultat, le blond se croit en devoir, grand seigneur qu'il est, de par son niveau social enviable, son vécu et son emploi dans l'asso de s'occuper de ce garçon. Lui venir en aide, devient la B.A. de l'année et sa seule excuse d'approcher un être qui l'attire mais avec qui il ne sait pas communiquer. Il ignore volontairement que Yann n'a finalement besoin que d'un logement, d'un peu d'écoute et d'une bonne dose de compréhension.
On n'aide pas à traverser une personne valide de la même façon qu'une personne handicapé ou âgée, au risque de prendre un coup ou de se faire envoyer sur les roses. C'est une leçon que Liam va apprendre dans la douleur. Car même si l'intention de départ était bonne, il s'expose à une résistance de taille. Quand à cette fille, petit grain de sable dans le rouage déjà mal vissé de leur promiscuité toute nouvelle, elle commence à peser sur leurs divergences en touchant un point douloureux chez Liam : Ses sentiments naissants et non partagés, pour le jeune androgyne.
- Quel beau temps n'est ce pas ?
- Quoi ? sursaute Yann.
Distrait par ses pensées ressassées, il n'a pas entendu s'approcher le fils prodige sortit tout droit de la maison, son sourire publicitaire aux lèvres et le plateau de viande fraiche entre ses mains.
Liam... Le pull maille anglaise sur les épaules, cette façon faussement décontracté de marcher, les paupières baissées, le menton guindé, il a décidément tout de ses fils à papa que l'on peut voir trainer au bistro romain, avenue Victor Hugo, les vendredis soir en fin de saison.
S'il avait été hétéro, Yann l'aurait bien vu fiancé à une blonde décoloré, bronzage UV, fille de dentiste, une passionnée de tennis au mollet nerveux, une catholique à la morale irréprochable, une fille de riche bien élevée. Mais Liam est gay, ce qui ne le sauve pourtant pas d'une vie banale et ennuyeuse à mourir.
- Quel genre de mec cherche-t-il ? Le genre sérieux, comme Uzu, bien propre sur lui, sage et effacé, quelqu'un capable de marcher à ses côtés sans choquer son entourage guidé et socialement élevé ? Dans ce cas, j'ai du chemin à faire, pense-t-il en grimaçant. Qu'est-ce qu'il croit que je pourrais devenir ?
*
Ils sont rentrés à l'appartement depuis quelques heures et ne se sont qu'à peine adressé la parole, il n'y a pourtant aucune raison à ça.
- Hum ! Le fameux velouté au potiron du dimanche soir ! C'est une habitude de fin de weekend dont je ne pourrais bientôt plus me passer attention !
Liam tente de détendre l'atmosphère, il aime tant l'odeur de son appartement depuis que Yann y a emménagé et particulièrement celle là. Cette soupe, un souvenir récurant du premier dîner préparé par Yann à son arrivée. Il apprécie également cette présence lorsqu'il rentre du travail, la chaleur de la salle, la musique qui résonne entre les murs, même les choses que Yann laisse trainer ici et là sont devenues agréables à sa vue, il y a de la vie dans sa vie. Son verre de sky à la main, il tourne en rond dans le salon.
Liam n'a pas but une goute d'alcool pendant près de trois semaines, jusqu'à ce que cette fille n'apparaisse. Il se trouve ridicule à ce propos, parce qu'il n'a bien entendu jamais été question qu'entre Yann et lui, il se passe quoi que ce soit. Pour sa défense, il faut dire qu'avec cet énergumène, les difficultés pour savoir sur quel pied danser sont légions. Yann parle facilement de sexe et passe effectivement pas mal de temps à faire des sous-entendus assez explicites. Pour autant Liam n'est pas stupide, il se doute que rien de tout ça n'est vraiment sérieux, pas de réelle invitation, rien de très clair en tout cas. Il ne s'agit là sans doute que d'une nouvelle façon de provoquer. Une parmi toutes celles que Yann à déjà à son actif. Liam aimerait ne rien ressentir, il n'avait pas prévu ça. Il fait de son mieux pour cacher cette inclinaison fortuite et maitriser les sautes d'humeurs qui en découlent. Il serait indigne de lui, de reprocher la position dans laquelle il s'est fourré tout seul à l'autre.
Il trouve néanmoins la situation frustrante car il pressentait de temps à autre comme une "possibilité". Du moins avant que cette nana ne se pointe. Depuis, Yann lui donne l'impression d'être plus distant et pour le coup, plus rien ne va plus dans la tête de Liam. Quelle place peut-il trouver ? Comment avoir la légitimité d'être auprès du garçon pour l'aider ? Et puis effectivement, il ne comprend pas bien ce qu'une personne tel que Yann trouve comme intérêt, disons sexuel à une compagne féminine. Ou bien il n'a rien compris au personnage, ce qui se trouverait fort plausible. Ça ne serait pas la première fois que Liam se tromperait sur quelqu'un. Tout de même, là, les manières de Yann ne laissent pas tellement de place à l'hésitation.
En dehors de ces considérations purement terre à terre sur les goûts de son colocataire, il y a aussi la question de savoir si sa réaction face à cette plausible nouvelle moquerie, aurait été différente en admettant que la fille en question puisse être un homme. En y réfléchissant bien, un homme serait certainement pire.
- Serait-ce un moindre mal ? Yann n'essaie-t-il qu'une nouvelle combinaison ?
Il ignore à quel point, il est proche de la vérité.
*
- Ton portable sonne je crois, prévient Liam tout en mettant la table.
- Ha merde !
Yann fouille dans sa sacoche, la vidant à moitié sur le sol, sans succès.
- Trop tard ! C'est fou le nombre de bêtises que le sac d'une nana comme moi peu contenir !
- Une nana comme lui...
Non décidément Liam n'est pas prêt à accepter que cet énergumène "sorte" avec une fille, autrement que pour partager une journée shopping !
- Un appel urgent ? avance le blond curieux.
- C'était marie.
Les yeux de Liam lui sortent de la tête.
- Une autre ? Marie ? Je croyais qu'elle s'appelait Mathilde ?
Yann relève le nez de son portable, la mine tragi-comique que lui tire Liam attire son attention. Il ne sait plus quoi penser dernièrement, cette histoire de fille le perturbe vraiment. Quelque part au fond de lui, Yann en éprouve une sorte de fierté. Depuis le début il se rend bien compte qu'il plaît, voir les choses se préciser ainsi est une sorte de récompense. La façon qu'a Liam de le surveiller, de le surprotéger, de le prendre de haut, de le rabaisser même parfois, tout s'excuse dans un moment pareille quand Yann se sent désiré.
- Nan, Marie c'est ma Marie, je l'aime.
Un clin d'œil coquin pour marquer une légère pause avant de poursuivre la phrase qui rassurera l'autre sur la nature de cette relation.
- Elle et moi c'est une relation de quinze ans, tu ne peux pas rivaliser haha ! C'est ma meilleure amie.
- Ha d'accord... Tu devrais la rappeler !
Voilà typiquement bien le genre de comportement que Yann ne supporte plus venant de son colocataire : lui dire ce qu'il a, à faire. En quelques secondes le charme est rompu. Et quand Yann n'est pas content, il se venge...
- Bha oui, faut que je lui dise que je couche avec une nana haha ! Elle va tomber sur le cul, elle qui était tellement persuadé que je finirais dans ton lit mouhaha !
Sur ces dernières paroles, il quitte la pièce laissant Liam s'étouffer d'avoir avalé sa dernière gorgée d'alcool de travers.
- Salut beau gosse ! J'ai besoin de toi, c'est hyper important, une question de vie ou de mort !
La voix claire de Marie résonne telle une douce musique à son oreille.
- Bonsoir ma chère, que puis-je faire pour vous ? demande Yann d'un ton enjoué.
- Je suis en pleine révision pour mon TD de demain, un truc qui me prend la tête grave !
- Heu, chérie si tu attends de moi que je fasse tes devoirs...
- Racontes-moi tes amours plutôt, j'ai envie de changer d'air et de me marrer un peu, là !
- Tu te moques de mon cœur d'artichaut, c'est pas drôle.
- Ho allééé ! T'as forcément des trucs fendards à dire ! Va y, c'est quoi ce mois-ci le dernier ragot ? Ta dernière connerie ? Et des feux de tes l'amour qui est le nouveau personnage qui excite tes nuits ? J't'en pris je meurs d'ennui ici !
- Ok ! Alors assied-toi bien chérie.
- Haaan, toi t'as un truc croustillant à me sortir !
Il lui semble l'entendre presque se frotter les mains.
- Tien-toi bien, le suspense est à son comble, j'ai Couché avec...
- Arrête ! Laisse-moi deviner ! Liam ! C'est lui c'est ça ?
- Pouête ! Nan, ceci est une erreur essaies encore une fois !
- Sans rire ? Ça aurait été le moins pire. Me dis pas que toi et Gabriel vous avez remis le couvert !
- Repouête ! Attention vous n'avez plus qu'un joker !
- Nan, tu as pas fait ça ?
- Précisez votre pensée très chère ! Attention le temps qui vous est impartie arrive à sa fin !
- Uzu ?
- Tuuute ! Perdu ! La cagnotte est remise en jeu merci d'avoir participé !
- T'es pas drôle.
- Voulez vous la bonne réponse ?
- Tu as rencontré quelqu'un d'autre ?
- Désolé vous n'avez plus le droit de jouer !
- Yaaann !
- Me cries pas dans les oreeeilles !
- C'est qui ? Je connais ?
- J'ai couché avec une fille !
- ...
- Allo ? Tu es toujours là ?
- C'est vrai ? T'étais bourré ?
- Haha !
- Nan mais sans rire ?
- Je sors avec.
- Avec qui ? La fille ? T'es sérieux ? C'est qui ? C'est la fille de ton patron ou un truc du genre ?
- NAN ! Enfin, je crois pas... Roo putain tu crois que ça pourrait être sa fille ?
- Yann !
- Attend, je trouvais ça zarbi qu'elle bosse dans un job de mec ça se pourrait !
- Pffmouhaha ! Je t'adoore merci merci d'avoir ensoleillé ma soirée morne et terne ! Tu as un don inné pour te foutre dans les emmerdes c'est stupéfiant. Bon j'espère que c'est un canon !
- Je sais pas trop, si c'était un mec elle serait top ! Elle n'a pas plus de poitrine que moi c'est bizarre ! Elle est moins belle que toi mais...
- Mais ?
- Je sais pas, elle a du charme.
- Tu vas continuer à sortir avec elle ? C'est comment ?
- C'est étrange, c'est agréable sauf que j'arrive pas à jouir.
- Sans rire...
- C'est tout doux dedans, la première fois, j'ai cru que mon sexe était en train de fondre à l'intérieur.
- Ho pitié épargne moi les détailles !