Le château de Bréchevallon trônait sur une colline noire, rongée par les vents et le sel des terres mortes. Les murs suintaient d’humidité, et les tours décharnées semblaient prêtes à s’effondrer sur elles-mêmes. Une odeur de moisissure et de chair séchée s’accrochait aux tentures rouges, aussi épaisses que le sang coagulé.
Là régnait le comte Aldemir de Rauk, mais plus personne ne l’appelait ainsi. Son nom s’était dissous dans la peur. Dans les hameaux alentours, on ne prononçait plus que son surnom, à mi-voix :
Rauk.
Dans sa jeunesse, Rauk avait été un homme d’une rare intelligence, dévoré par une seule obsession : retrouver les traces de la Source de Vie et des Gardiens d’Argath, cette civilisation antique disparue dans le sang et la rouille. Il croyait descendre d’eux par quelque branche oubliée, et se considérait comme le dernier porteur d’un héritage supérieur. Il étudia les runes, les pierres, les flux vitaux, les textes interdits. Il méprisait les dogmes de l’église, les superstitions paysannes, et la morale des hommes.
Il lui fallait trouver la Source, seule solution qui lui permettrait de règner encore et encore sur ses terres. Comme une tique, il pourrait continuer à parasiter ses serfs.
Il allait vivre et s'adonner à tous ses vices. Pour toujours !
Lorsqu’il mit la main sur un artefact inestimable, le grimoire d’un Gardien nommé Elyas, récupéré au prix de nombreuses vies dans les ruines d’une ancienne tour — son destin bascula.
Le grimoire, relié de cuir noir, semblait vivant. Parfois tiède, parfois vibrant, il contenait des schémas, des récits, des avertissements. Rauk s’y plongea corps et âme. Mais très vite, il comprit qu’il ne suffisait pas de savoir : il fallait le sang. Il fallait une lignée.
Il ne possédait pas cette lignée.
Il tenta de forcer les secrets du fluide de vie décrit dans le grimoire. Des rituels, des dissections, des sacrifices. Il captura des enfants, des femmes, des vieillards. Il vida leurs veines dans des vasques de cuivre, grava leurs cris dans les pierres rituelles. Mais en eux, aucun fluide ! Seulement du sang et les larmes. Ils n'étaient rien. Il lui manquait la clef vivante.
Et puis un jour, un vieux paysan, torturé au bord de la folie, murmura un nom :
Myra.
On disait d'elle qu'elle était une fille solitaire, insaisissable. Vivant à la lisière de la forêt.
Elle aurait survécu à une attaque d’automate. Elle connaissait les bois comme personne.
Et surtout, elle porterait en elle quelque chose d'inexplicable. Une chaleur et une douceur comme nulle autre, une vibration.
Quelque chose que Rauk ne comprenait pas.
Il lui fallait cette fille !
Dès que ce nom franchit ses lèvres, le grimoire d’Elyas se mit à vibrer. Les glyphes s’animèrent, les pierres rituelles émirent une lueur trouble. Myra. Elle était la clef. Non pas pour comprendre. Mais pour devenir.
Depuis, Rauk ne dormait plus. Il parlait seul, dans les couloirs vides. Il se nourrissait à peine. Sa chair s’était amaigrie, ses yeux étaient devenus pâles, presque vitreux. Son dos s’était courbé, ses mains étaient tachées d’encre, de sang séché, de brûlures rituelles.
Il passait ses journées à relire les mêmes pages du grimoire. Un passage en particulier, écrit de la main même d’Elyas, le hantait :
« Celui qui forcera le fluide sans en porter la mémoire s’effacera dans la souffrance. L’outil devient le maître. Le créateur, la proie. »
Mais Rauk n’écoutait plus les avertissements. Il cherchait la clef. Il désirait le fluide. Il voulait redevenir chair véritable, être de puissance, briser la mort qui venait, inexorable. Il n’acceptait pas que les Gardiens aient chuté. Il croyait qu’ils avaient échoué faute d’audace.
Dans une salle basse du château, une vasque d’obsidienne recueillait ses tentatives. Il y avait versé des litres de sang. Des cœurs broyés. Des âmes. Rien ne répondait. Jusqu’à ce qu’il prononce son nom, encore une fois :
Myra.
Le fluide avait tressailli.
Alors Rauk comprit. Il ne suffirait pas de l’observer.
Il lui fallait Myra vivante. Ou morte.
Ce soir-là, dans les souterrains de son château, un vieux moine aveugle, les yeux arrachés et la bouche cousue, rampa jusqu’au centre de la salle rituelle. Il tint dans ses mains une pierre de sang qui vibrait doucement.
Rauk se pencha vers lui. Son souffle était glacial.
— Fais venir le chevalier. Celui des tourbières. L’Ecorché.
Il marqua une pause, le regard fixé sur le grimoire ouvert, ses lèvres gercées tremblant de fièvre.
— Dis-lui que je lui offre une proie. Une fille. Et la vie éternelle.
Dans les ténèbres du château, une cloche rouillée sonna.
Et loin, dans les marécages oubliés, quelque chose se mit en marche.
Découverte du personnage sombre de ton histoire. Rauk. Vraiment intéressant, j'ai trouvé le chapitre bien fait, tu nous montres tous ses vices et ce qu'il veut.
En espérant que Myra apprenne à utiliser ses pouvoirs aha
J'ai pas de remarques particulières, j'ai trouvé ça très fluide :)
Myra nous réserve en effet quelques surprises :)