Le super-héros

La porte de la bibliothèque s’ouvrit brusquement. Il souleva son petit corps dodu, comme un super -héros, venu sauver un pauvre innocent d’une fin tragique et lança un regard foudroyant à Awena, qui était pourtant experte en la matière. Il ne lui manquait qu’une grande cape flottant au vent, un costume en latex, de grandes bottes colorées et peut-être un marteau ou un accessoire dans le genre. A ces quelques détails près, il avait la force et la détermination d’un justicier.

« Qu’avez-vous fait à mon fils ? », vociféra-t-il, hors de lui.

«  Comment osez-vous pénétrer ici ? », hurla-t-elle, en posant à son tour des yeux furibonds sur lui. Sapristi s’approchait toutes griffes dehors, le poil hérissé. Sa queue battait l’air comme un fouet ensorcelé qui claquait.

Merlin restait muet, hagard. Il cherchait l’homme à qui appartenait la voix qui l’avait remercié juste avant que son père ne fasse une entrée tonitruante dans le sanctuaire d’Awena. Pourtant, il devait se rendre à l’évidence. Il n’y avait personne d’autre à part lui, l’ancêtre et son chat.

L’enfant s’échappa des bras de son père pour se remettre sur ses pieds.

« Je vais bien papa », lui dit-il de la voix la plus posée qu’il put prendre.

« Bien ? Alors que je t’ai entendu hurler et que tu es blanc comme un revenant ! »

Sa voix tremblait d’émotion, entre colère et inquiétude.

« C’était juste des exercices de diction, papa ! »

« Des exercices de diction », répéta-t-il incrédule.

« Awena m’apprenait à placer ma voix, et aussi un peu de latin. » Plus il mentait, plus il prenait de l’assurance, et plus sa honte s’accroissait. Il se découvrait un talent inné pour le mensonge, qui  l’effrayait.

Son père se pencha tout près, comme pour vérifier qu’il était bien sain et sauf, un genre de contrôle technique. Il se mit à renifler étrangement avant de lui ouvrir la bouche énergiquement. S’inquiétait-il pour son appareil dentaire ?

« Mais vous l’avez-fait boire ? Vous êtes complètement folle ! » s’exclama Léonard indigné. Il serra ses poings et fit un pas en direction d’Awena.

 « Espèce d’inconsciente !  Vieille bique sénile !  Allez au diable, vous, votre manoir et votre horrible sac à puces. Ne vous approchez plus jamais de Merlin ! Vous m’entendez ! Plus jamais ou vous aurez affaire à moi ! ».

Il ne lui laissa même pas le temps de répliquer et emporta le garçon dans un tourbillon. Ils dévalèrent les escaliers en un éclair. Justement, un orage grondait. Dans le jardin, l’air frais fit du bien à Merlin.

« Dès demain, nous quittons cet endroit ! clama Léonard.

- Papa, nous ne pouvons pas ! »

Le super-héros n’en crut pas ses oreilles. Merlin ignorait ce qui se tramait vraiment à Bréchéliant, mais il devinait que s’il prenait la fuite, il le regretterait toute sa vie. La famille devait rester pour que s’accomplisse son destin. Peut-être qu’Awena divaguait, peut-être même l’avait-elle drogué, peut-être que la voix surgie de l’obscurité n’était que le fruit de son ivresse… pourtant, il avait lu de la sincérité dans les yeux de la vieille dame. De l’espoir aussi, quand elle le regardait. Et si la magie existait vraiment ?

« Papa,  tout ça est un terrible malentendu ! Awena se préparait une tisane pour ses rhumatismes. Clou de girofle, cardamone, orange séchée, bref elle sentait tellement bon, que quand elle a eu le dos tourné, j’ai voulu y goûter.  Je n’aurais pas dû. J’ai mal agi, je sais, surtout qu’elle avait mis un peu de rhum, je crois. Je suis désolé. Tout est de ma faute. Punis-moi, je le mérite, mais ne quittons pas le manoir, s’il te plait. »

Il baissa la tête en signe de repentir, et aussi parce qu’il avait trop honte de son mensonge. Ses parents auraient dû le nommer Loki, comme le dieu de la dissimulation et de la malice. Que lui arrivait-il ? Il ne se trouvait pas beaucoup de qualités, mais jusqu'ici l'honnêteté et la franchise en faisaient partie. Voilà qu'à présent, elles vacillaient dans les ténèbres de Bréchéliant.

Quelques heures plus tard, une nouvelle tempête se déchaînait dans une des chambres de la propriété.

« Te rends-tu compte de ce que tu as fait ? Accuser une vieille femme sans défense de maltraiter  notre petit Merlin ? Tu l’accuses de démence, mais c’est toi le fou dans l’histoire ! »

La colère de Marie ne retombait pas, et elle s’abattait par vagues successives sur Léonard, qui demeurait impassible, muré dans son silence. Merlin  avait déserté les lieux. Leur dispute le rendait malheureux, d’autant qu’il en était au fond à l’origine. Ses pas le conduisirent au bord du lac. Il s’assit pour y noyer sa peine, et dans l'espoir aussi d' y apercevoir enfin Coventine. Devenir ami avec elle, lui aurait mis du baume au coeur. Mais la petite fille demeurait désespérément invisible depuis cette brève rencontre nocturne, à laquelle il repensait souvent. Il ferma les yeux et revit le clair de lune, les grenouilles, les insectes volants et surtout le beau visage, qui l'avait troublé plus qu'il ne l'aurait cru. Il se demanda comment elle se rendait à l'école dans ce coin si reculé et comme craint de tous. Un bruit de roues le sortit de sa rêverie. Tugdual approchait impassible, sa brouette remplie de feuilles mortes. Merlin prit son courage à deux mains et décida d'aborder le jardinier rustique. Il lança un "bonjour" jovial, avant de lui décocher son plus grand sourire. Et puis, il décida de plonger. Pas dans le lac, heureusement :

" J'ai croisé votre fille dans le domaine, je me demandais si elle aimerait jouer avec moi ou alors voir mes livres, on..."

Le vieil homme qui n'avait même pas pris le temps de s'arrêter pour le saluer, lui lança quelques mots qui l'atteignirent cruellement.

"Partie chez sa mère. Reviendra pas de si tôt !"

Et, il continua imperturbable comme un paysan tracerait un sillon droit dans un champ avant de semer. Cependant, si l'homme avait semé quelque chose, ce n'était que davantage de tristesse dans le coeur du petit garçon. Déconcerté, il se demandait pourquoi la vie faisait naître un espoir, si c'était pour le ravir un peu plus tard. Comme il la regrettait cette douce amitié qui ne verrait jamais le jour ! Il se sentait soudain condamné à évoluer dans un monde d'adultes. Pourtant, la bonne nouvelle c'est qu'il n'avait pas parlé à un fantôme. La surface se hérissa sous l’effet du vent.

« La vois-tu ? »

Il ne sursauta pas, au fond il s’attendait à ce qu’elle se manifeste à nouveau. Awena n’en avait pas fini avec lui.

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Maric
Posté le 22/07/2022
Coucou,
Ben alors ! tu es la reine du suspense :) je ne m'attendais pas du tout à l'ingérence du père bien qu'elle soit légitime si on y réfléchit bien. Merlin se découvre menteur pour convaincre son père. Il veut connaître le fin mot de ce qu'il se passe au manoir.
Je crois que la situation familiale ne va pas s'arranger.
A bientôot
Laure Imésio
Posté le 24/07/2022
Re(coucou),
Ravie que la suite te surprenne. Effectivement, la situation familiale risque d'être tendue. Merci encore pour tes retours de lecture fidèles et réguliers. A bientôt.
Romanticgirl
Posté le 28/10/2021
Bonjour Laure,
Encore un chapitre réussi. Merlin devient un héros, il accepte son destin, il s'émancipe et s'éloigne de sa famille. Les parents qui se disputent, c'est un sujet que malheureusement, connaissent les enfants. A bientôt !
Laure Imésio
Posté le 01/11/2021
Bonjour Romanticgirl
Merci pour tes retours réguliers et précis. J'espère que la suite continuera à te plaire. A bientôt.
Hortense
Posté le 11/09/2021
Le père surgissant en super Héro pour fustiger la vieille Awena, c'est très drôle. Merlin s'enfonçant dans des explications fumeuses, le voilà ferré par sa redoutable aïeule. Oubliés rondeurs et complexes, le voilà paré d'une assurance nouvelle, et prêt à accepter l'étrangeté de la situation.
Très bon chapitre !
A bientôt
Laure Imésio
Posté le 26/09/2021
Merci Hortense pour ton gentil commentaire. J'espère pouvoir continuer à garder de l'humour, mais avec les révélations qui approchent l'histoire risque de prendre une nouvelle direction. A bientôt.
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