Le Jardin des Enfants : Chapitre II

Par Rânoh

Après une journée passée seule en compagnie de ses enfants, Maeva s’installa devant une fenêtre. La pluie, toujours, martelait le toit et les rues pavées de la cité, bruissant comme d’ordinaire de ce son sourd et puissant à la fois. C’était véritablement la première fois que son mari partait à l’aventure sans elle depuis leur arrivée à Eve, cela la chagrinait beaucoup que de devoir l’attendre sagement, en bonne mère de famille. Cependant, les circonstances l’exigeaient, cela ne fit guère plus de deux mois qu’elle avait accouché de sa petite fille, cette dernière requérait donc toute son attention. Le visage entre ses mains, elle repensa aux dires des explorateurs, à propos de son bourg natal et de Dame Firel. Elle se remémora quelque souvenir sans importance, du temps où elle y vivait, de sa vie avant son départ pour Escare. De son père, de sa mère ou de ses frères et sœurs, elle n’en gardait qu’une vague image, les traits froids de ces gens du Nord se brouillaient dans la trame du temps. Ceci lui donnait la sensation que la vie d’avant le Cataclysme appartenait à un mythe. Puis, sans s’en rendre compte, le front collé au verre froid de la fenêtre, elle s’assoupit, bercée par l’écoulement de l’eau sur les tuiles.

 

Un grand bruit la réveilla en sursaut. Dehors, la pluie continuait à se déverser par torrent, mais l’orage demeurait absent des cieux gris. Interloquée, Maeva se leva de sa chaise et glissa prudemment jusqu’à la chambre à coucher, l’inquiétude allait naturellement pour ses enfants laissés à leur sort le temps de cette sieste. Lorsqu’elle ouvrit la porte, d’un geste lent et suspicieux, elle découvrit, stupéfaite, l’absence de son fils aîné sur la couche. Était-il tombé ? Pourtant, elle n’entendait pas le moindre pleur, pas une protestation, ceci lui fit craindre le pire. Elle s’approcha de sa fille, qui dormait toujours à poings fermés, puis se retourna soudain en entendant du bruit derrière elle. Une ombre fila à travers l’obscurité, de petits ricanements bruissèrent entre les murs de la pièce à vivre. Maeva attrapa en toute discrétion la dague dissimulée sous l’un des oreillers, s’avança en silence à la porte de la chambre et, après avoir jeté un œil par-delà l’ouverture, se jeta sur l’ombre qui y dansait.

La Princalienne fut reçue par un violent coup de pied dans le ventre qui la plia en deux, mais il en fallait davantage pour la mettre hors d’état. Chancelante, elle se redressa et vit la silhouette ouvrir la porte d’entrée, laissant entrer la faible lueur des dernières heures d’une journée grise. Là, sur le porche, elle reconnut les contours fins et la chevelure blonde de la prêtresse de Korag, Sibilha, un large sourire aux lèvres. Après un rire moqueur, la démente d’Ombra Negra prit la fuite sous le rideau de pluie qui couvrit ses traces. Folle de rage, Maeva se lança immédiatement à sa poursuite puis s’arrêta. La mâchoire serrée, elle dut reporter de quelques minutes sa traque, la femme ne pouvait résolument laisser sa toute jeune fille seule et sans surveillance. Prenant sur elle avec un sang-froid extrême, l’ancienne écuyère enfila une tenue plus commode à l’aventure et s’arma jusqu’aux dents.

— Il est grand temps de reprendre du service, déclara-t-elle pour sa personne.

Sabre, pistolets, rations, outre, elle disposait du nécessaire à la poursuite de sa cible. Son fils était aux mains de la femme la plus dangereuse de la région, le sauver relevait de la priorité absolue. Maeva récupéra sa fille et la couvrit chaudement en l’enroulant d’un tissu épais, puis s’élança au-dehors, sous la tempête. Ses pas précipités frappèrent le sol inondé jusqu’à l’ancien quartier des commerçants, elle navigua entre les trombes d’eau puis déboula à l’intérieur de l’auberge de la cité. Ici, la femme trouva trois chevaliers papotant aimablement avec la jolie Isidore, leur table s’entassait de piles de livres neufs. Tous se retournèrent au moment de l’entrée, peu discrète, de la Princalienne.

— Maeva ? s’étonna l’aubergiste. Il y a un problème ?

L’ancienne écuyère marcha droit sur la dame et lui tendit son bébé à bout de bras, forçant cette dernière à recueillir le petit bout d’être humain.

— Une urgence, je peux compter sur toi et Iseut ?

Hébétée, Isidor baissa un regard incertain sur le nourrisson endormi, elle considéra un instant la demande puis, au moment de relever la tête, n’eut le temps de voir qu’une ombre refermer la porte de l’échoppe. De leur côté, les chevaliers demeurèrent silencieux, incrédules, mais finirent par se lever à tour de rôle pour se lancer à la poursuite de Maeva. Rester seule, Isidor haussa les épaules.

— Bon, changement de programme pour la nuit, je suppose, soupira-t-elle.

 

Trop tard, la garde venait de condamner la sortie de la cité. La borgne enrageait, elle bouillonnait tant que l’on pouvait voir l’eau frémir sur ses vêtements. Devant la poterne, elle interpella Marina qui était en poste pour la nuit, exigeant de la fille de maître Rainier la permission de passer. Comme Maeva s’y attendait, elle se heurta à un refus catégorique. Agacée, elle tourna les talons sans un mot de plus et aperçut une silhouette blanche lui faire de grands signes. Intriguée malgré l’urgence, elle s’élança au-devant de cette tache déformée par les torrents de pluie que crachaient les cieux déchaînés. C’était un chevalier de l’Ordre de la Citadelle, un fusil sanglé sur l’épaule, son visage exprimait un curieux mélange d’inquiétude et de remords. Il salua respectueusement la femme, d’une courte révérence, et prit la parole d’une voix charmante, mais ne se présenta point :

— Je pourrais reconnaître Maeva la Borgne même en étant aveugle. Pardonnez mon impolitesse, cependant, une femme blonde et mince, portant une tunique blanche et les pieds nus, un enfant dans les bras, je ne me trompe pas si…

En voyant les feux de l’enfer embraser l’œil de l’ancienne écuyère, l’homme jugea qu’il ne s’était pas trompé. Il venait de croiser Sibilha à l’instant, sans être certain de son identité. Maintenant, il était sûr de lui. Sans attendre, l’homme entraîna la mère enragée à la poursuite de la prêtresse, ils serpentèrent entre d’étroits couloirs inoccupés, qui débouchèrent en un mince espace vide. Là, quelqu’un était venu poser des échelles des deux côtés des murs d’enceinte, l’une d’elles se déroba sous les yeux du chevalier. Alors, Maeva prit les devants et grimpa aux barreaux à un rythme effréné, la raison ne la guidait plus dans sa quête, seulement l’instinct d’une mère au passé guerrier.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez