A l'arrière de la voiture conduite par Erwan, le calme est total. Marie, assise à l'avant, est intimidée par la présence de ce conducteur inconnu à peine plus vieux qu'eux. Yann, enfoncé dans le siège derrière elle, la tête contre la vitre, observe à la dérobée un Gabriel manifestement troublé par sa présence. Yann est un peu excité. Il y a longtemps qu'il n'avait pas été aussi attiré par quelqu'un. Et c'est sans doute la première fois qu'il rencontre une personne aussi honnête avec ses sentiments, un peu naïve aussi.
- Il est timide et pourtant il ne réplique jamais à côté de ce qu'il pense, quitte à rougir. J'adore ça !
Yann est emballé à l'idée de le séduire. Elle lui semble excitante sur le coup. Il n'oublie pas son serment de ne pas sortir avec un touriste, mais ce sera pour le fun, juste de la drague. L'existence même du risque de vraiment tomber amoureux la rend dangereusement passionnante. Que fera-t-il, si les sentiments viennent à l'emporter sur sa volonté ? Il préfère ne pas y penser.
- J'ai bien le droit de vivre, non ? Et la vie ça sert à quoi si se n'est pas pour éprouver de pareilles choses ?
Marie remarque le visage aux yeux brillants de son ami assis derrière, dont elle observe le reflet dans le part brise. Elle a compris. C'est une évidence, Yann va encore foncer droit dans le mur, comme d'habitude. Elle aurait aimé lui éviter ça. Elle souhaiterait tant qu'il trouve le bonheur ici, mais il n'a jusque là pas eu d'autres opportunités que le sexe facile des rencontres rapides et ponctuelles d'inconnus du même bord que lui, uniquement des gens qui ne s'assument pas, des refoulés, des bisexuels, des mariés, des hommes plus âgés. Elle soupire en songeant que son ange qui ne rêve que du prince charmant n'a jamais eu de chance en amour. Sa seule vraie histoire d'amour est repartie sur le continent après un mois d'une passion à sens unique qui l'a laissé au bord du gouffre. S'apprête-t-il à recommencer ? Cette fois, elle ne le laissera pas refaire la même erreur, il faudra qu'il se bouge !
- Hooo ! Vous logez dans une jolie maison, dis donc ! On peut même voir la mer, je suis sûr ! s'extasie-t-elle.
- Oui, d'loin. C'est grâce à la hauteur.
- La chance ! C'est l'idéal pour les vacances ! affirme-t-elle.
- Vous n'voyez pas la mer, vous ? lui demande Gabriel.
- Mes parents habitent le centre, dans une maison de ville. On voit l'immeuble d'en face d'un côté et la rue commerçante de l'autre.
Gabriel se tourne vers Yann mais c'est Marie qui parle pour lui.
- Yann habite à deux rues d'ici, vous êtes presque voisins. On ne voit pas la mer non plus de chez lui, sa famille est installée dans le lotissement.
- Le lotissement ?
- Tu sais les maisons jaunes toutes moches et toutes pareilles, là ou la rue se termine par le local poubelle en pleine air ! Bah voilà, c'est chez moi, ajoute Yann d'un air désabusé.
- J'ai pas vu, on vient d'arriver. On loge pas loin l'un d'l'autre dans c'cas ?
En réalisant cela, Yann fait son petit sourire en coin.
- Je pourrais venir te voler un baiser de bonne nuit et casser in point*, tous les soirs, sombre princesse ! C'est pas super ?
Est-ce parce que Gabriel n'objecte pas ? Ou bien la rougeur qu'il voit apparaître sur ses joues ? Yann ressent une agréable chaleur à l'intérieur.
La maison semble jolie mais visiblement uniquement vu de dehors. De plein pied, on y débouche directement sur la vaste salle principale. Celle-ci se partage entre le salon, à droite, munie d'un canapé style Ikea et d'une table basse incassable en laiton, et à gauche d'une salle à manger, où trône une table en rotin et ses quatre chaises assorties. Un ordinateur portable et une pile de papiers encombrent le meuble d'origine suédoise, ainsi que des miettes dans les rognures du rotin. L'intérêt de Yann s'arrête sur le grand mec hétéro qui vient de leur a servir de chauffeur. Visiblement il a dîné seul, ce soir, et a passé une partie de sa soirée à travailler avant de tout laisser en plan pour venir les chercher.
Ils poursuivent la visite par la chambre de Gabriel. Pareille au reste, il s'agit d'un endroit où dormir, sorte de dortoir de vacances, sans âme et sans reflet. Des valises pas totalement vidées débordent dans les coins, une serviette qui devait être mouillée lorsqu'elle s'est retrouvée abandonnée là par son propriétaire bimestriel traîne sur le lit, des magazines de musique hard et un softcase entre-ouvert laissent s'échapper une sangle de guitare décorée de petites têtes de morts un peu trop to much au goût de Yann.
- Les toilettes ? demande ce dernier.
- Au bout du couloir, répond Gabriel.
L'exploration du couloir sombre où l'on ne trouve pas la lumière, et pourtant on cherche, mène Yann devant la porte d'une chambre grande ouverte. L'ameublement rappelle la table de la salle à manger. Un couvre lit, des oreillers et des rideaux bleus aux motifs de poissons jaunes, le tout assorti. Du côté des toilettes la couleur bleu hôpital domine, et le papier toilette beige premier prix est en feuille à feuille.
Yann ne remarque la salle de bain, à droite des toilettes, qu'au moment où Erwan en sort.
- Excusez-moi ? l'arrête Yann.
- Oui ?
Il lui montre sa main enrubannée.
- Auriez-vous des glaçons ?
- Je dois avoir ça, je vais voir.
Yann suit le locataire périodique jusqu'à la « magnifique » cuisine américaine surplombant de trois marches, la salle à manger, et l'attend pendant qu'il fouille dans le réfrigérateur/congélateur tout aussi faussement américain. Erwan revient vers lui avec quelques glaçons dans un torchon qu'il accompagne du questionnaire d'usage.
- Tu t'es battu ?
- Tiens, il me tutoie, le bougre, remarque Yann.
Fidele à lui-même, avide de pousser les gens dans leurs retranchements, il ne résiste pas à l'envie de choquer un peu son hôte.
- Oui, j'ai du défendre mon identité sexuelle ! déclare-t-il avec une jolie petite mimique narquoise.
- Il n'est pas bien compliqué de le mettre mal-à-l'aise, celui là ! pense-t-il aussitôt en le voyant pâlir.
- Ha... Oui, j'imagine que ce n'est pas évident.
- Eviter le sujet ! Eviter le sujet ! Eviter le sujet ! Voilà ce que Yann lit dans la façon qu'Erwan a de biaiser le regard.
- Vous n'avez rien contre l'homosexualité de votre neveu ? insiste-t-il.
Les yeux étonnés teintés d'un peu d'effroi s'immobilisent, Erwan se détourne avec embarras.
- Gabriel est le frère de ma copine, pas mon neveu. Je n'ai rien contre, heuuu, « ça ». Et ça ne me regarde pas vraiment, surtout.
Pourtant, devant l'expression narquoise de Yann, Erwan reprend de l'assurance. Ce jeune chineur lui déplait, il n'y a aucune raison qu'il le laisse le déstabiliser.
- Je viens d'une famille qui a une attitude assez réservée sur les questions intimes. Je n'ai pas pour habitude de parler de ce genre de chose avec Gabriel. Il est lui-même assez pudique sur le sujet. Je ne crois pas qu'il apprécierait que je me mêle de sa vie sexuelle.
Yann lui adresse un sourire, franc, cette fois.
- Et vous faites bien ! Pas un jour ne passe sans qu'on me fasse chier avec ça, il en a de la chance !
Yann fait mine de repartir en direction de la chambre du goth, la main posée sur la couche de glace, puis se ravise.
- Vous n'auriez pas aussi un peu de paracétamol, par hasard ? J'abuse, non ?
Tête à claques...
Lorsqu'il entre dans la chambre de Gabriel, Marie et lui ne lèvent même pas le nez. Ils sont tous deux captivés par ce qui défile sur le petit écran d'un ordinateur portable noir à paillettes.
- Bha tu faisais quoi ? lui demande sa meilleure amie, les yeux fixés sur l'écran. Tu t'es perdu ? Ha, ha, ha !
- J'étais occupé à perturber la fonction hétéro de l'adulte, dans la cuisine.
Enfin, à sa grande satisfaction, l'attention des deux autres se recentre sur lui. Leur expression, consternée pour l'une et stupéfaite pour l'autre, le réjouis au plus haut point.
- Qu'est ce t'as dit au copain de ma sœur ?!
- Putaiiiin, Yannick !
Yann fronce les sourcils.
- M'appelle pas comme ça ! Je délire, je suis juste allé demander un peu de glace et des médocs pour le mal de tête, c'est tout.
- Dégénéré ! C'est toi qui nous dis des conneries, à force avec toi on ne peut jurer de rien !
- L'mec de ma sœur est sympa, mais mieux vaut n'pas être trop "moderne" avec lui, il est assez vieux jeu c'type, se croit obligé de le prévenir Gabriel.
- Au moins, il t'emmerde pas avec tes goûts sexuels et vestimentaires à tout bout de champ, lui !
Gabriel se demande quand même, de quoi ils ont bien pu parler.
Mater "Dellamorte dellamore" en mangeant des pickles et en buvant du coca, se repasser inlassablement la scène du bus qui percute le pauvre gars et en rire à en attraper le hoquet, Marie en a rêvé. Ce genre de soirée sur fond sombre mais marrante, ce n'est pas fréquent par ici. Elle doit bien avouer que les goûts et l'esprit de Gabriel sont assez proches des leurs. C'est agréable d'avoir les mêmes sujets de conversations. Rien de mieux que de se finir à cinq heures du matin, devant " Dead man ", en écoutant le thème musical de Neil Young. Ce générique de fin pesant et répétitif si touchant et étrange, dans l'ambiance indéfinissable et mystérieuse de l'aube. Quand la lumière orangée des premiers rayons du soleil vient colorer les joues pâles d'un Yann endormi depuis déjà quelques heures, Marie le contemple.
- Il est malade, je crois. Il aurait dû le dire, on serait rentré.
- Ch'uis content qu'il n'se soit pas plaint d'ça, j'ai passé un très bon moment ! avoue Gabriel.
- Moi aussi ! Faudra qu'on refasse ça avant que je ne reparte !
- Quoi, tu repars ? s'étonne-t-il.
- J'étais en congé avant mes partiels, j'en ai profité pour venir voir la famille et passer du temps avec Yann.
- Tu travailles pendant tes congés toi ?
- Ha ha ! Oui, bah un peu d'argent de poche pour la rentrée, c'est bien utile quand même. Et puis c'est surtout pour être avec lui.
Son regard doux passe sur l'endormi.
- Et t'es où d'habitude ?
- IUT de Toulouse, génie informatique.
Gabriel reste bouche bé, jamais il n'aurait imaginé que cette petite nana puisse poursuivre de telles études.
- Wouaaa ! Ben dit donc ! T'es en métropole, alors ! On pourra se revoir ! a-t-il failli ajouter.
Mais il se ravise. Quelle raison aurait-il de dire ça ? Toulouse, ce n'est pas la porte à côté.
- Oui, acquiesce-t-elle d'une petite voix en dirigeant une fois de plus son attention vers Yann. Gabriel comprend qu'elle a des remords. Yann est donc seul le reste du temps ?
- Ça doit être dur, si vous êtes si proches, d'être séparés non ?
- Très. C'est de sa faute aussi. Il ne se bouge pas, ne fait aucun effort pour partir d'ici, moi j'ai des amis à Toulouse.
- Vous vous connaissez d'puis longtemps ?
- Il avait dix ans quand il a emménagé avec sa famille en face de chez moi. Lui, seul petit blanc au milieu d'une famille métisse et black, tu penses bien qu'on le remarquait rien que par ça ! Déjà il était...
Elle se tait, l'ombre d'une nuée de souvenirs passe devant ses yeux.
- Vous êtes amis d'enfance. C'est rare d'garder ses amis aussi longtemps. Quand on quitte l'école on s'perd souvent d'vue.
- Nous ne sommes jamais allés à l'école ensemble. Yann a deux ans de plus que moi. Quand je suis arrivée au collège, lui venait de le quitter pour le lycée professionnel. Il n'a été que jusqu'en cinquième.
Gabriel met un moment à réaliser la portée de ses paroles.
- Deux ans d'plus ? T'as quel âge ?
- Vingt deux ans.
Gabriel se relève d'un bond.
- Ce qui r'vient à dire que... Nan, tu m'fais marcher là ! Yann n'a pas vingt quatre ans ! Il a tout juste l'air d'en avoir dix sept !
- T'as tout-à-fait raison, un vrai mioche !
- Vingt quatre ans ? Il doit avoir pas mal d'expériences ! réfléchit Gabriel qui flippe de la différence d'âge.
*
Marie rentre chez elle. Gabriel laisse dormir Yann dans son lit et tente, tant bien que mal, de trouver un bout de couette pour s'y coucher aussi. Il l'observe un moment. Même sans ses gesticulations, son rire cristallin, ses mouvements exagérés et le son de sa voix cassée ambigüe, il a l'air fragile d'une adolescente. Gabriel se relève sur un coude et se mire quelques instants dans le miroir mural.
- Même moi, j'ai l'air plus vieux qu'lui.
Il s'endort en observant ce dos aux épaules si étroites, à quelques centimètres de ses doigts.
Lorsqu'il s'éveille, il doit être onze heure du matin, Yann est toujours là. Il est même la première chose qu'il voit en ouvrant les yeux. Assis par terre, il feuillette avec intérêt un magazine de musique. Un bruissement de draps suffit à Yann pour entamer la conversation, sans qu'il ne ressente le besoin de se retourner pour vérifier l'éveil du locataire de la chambre.
- Bonzour, koman i lé ? Byin* dormi ?
- Heu... ça va oui.
Yann se retourne à demi, reprend sa voix habituelle et son français.
- J'ai faim, princesse !
- C'est pas possible que t'ais vingt quatre ans ! pense-t-il a haute voix.
- La pééééétaaaasse ! Elle a vendu la mèche ! maugrée Yann en se laissant tomber par terre bras écartés.
- Maintenant, c'est sûr, tu ne voudras pas d'un vieux dans ton lit ! ajoute-t-il.
Gabriel rougit mais ne se démonte pas.
- T'y'as pourtant passé la nuit !
Yann affiche un amusement enfantin et ne réplique rien.
- Ta main va mieux ?
Pour toute réponse, Yann toujours allongé par terre, la lui tend.
- Tu veux que j'vérifie ?
- Pas spécialement, c'est toi qui demandes.
Gabriel reste un instant interdit, à voir l'expression très spéciale de Yann, il ne s'aurait dire s'il y lit de la curiosité ou de la tristesse, sans doute les deux. Il baisse les yeux tant le regard de l'autre se veut pénétrant.
- Tu es simplement un garçon bien élevé, hein ?
- Par... pardon ?
- Rien, je me demandais quelle était ta raison de ne jamais rien répondre à mes avances et d'avoir malgré tout l'air de t'intéresser à moi.
- ...
Que dire ? Un silence mal-à-l'aise plane quelques instants.
- Haa ! Désolé je t'embête, haha !
Yann, rendu un peu las par la fièvre et la douleur omniprésente, se relève au ralenti.
- Je rentre, merci de m'avoir laissé partager ton lit.
Au moment de passer la porte, Gabriel réagit.
- Je m'inquiétais c'est tout.
- Quoi ?
- Pour ta main, j'm'inquiétais c'est tout, et...
Le visage de Yann s'adoucit, on est loin de la grimace en coin un peu moqueuse de d'habitude.
- Et ?
Gabriel intimidé, rentre sa tête dans ses épaules et baisse une fois de plus les yeux en rougissant.
- Et pour l'reste, la plupart du temps ch'ais pas sur quel ton l'prendre, du coup c'pas facile d'réagir.
- Haha ! Tu as raison, je suis, un peu... joueur. Tu me pardonnes ?
Il a une folle envie de l'embrasser, là tout de suite. Il se retient avec du mal. Voilà qu'il se laisse prendre à son propre piège. Ça se confirme, il trouve ce garçon adorable. Il s'approche un peu raide et dépose un rapide baisé soft sur la joue droite du z'oreil.
- Salut !
Surpris, Gabriel n'ose rien dire, déjà Yann s'enfuit à reculons, l'expression taquine et le bout de langue sorti.
*
Il a feint d'être sûr de lui parce qu'il il a bien fallu amorcer le premier pas. Ce qui n'empêche pas ses mains d'être moites, ses jambes de trembler et son cœur de battre la chamade. A moins qu'il ne s'agisse de la fièvre ? Quand s'est-il endormi ? Il ne s'en souvient plus. Quelle surprise de se réveiller et de se retrouver nez à nez avec ce beau mec assoupi, une main sur sa hanche et le souffle de sa respiration dans les cheveux. Il souffre affreusement de la gorge et ses doigts le lancent, pourtant rien ne va entamer sa bonne humeur. Aujourd'hui c'est congé, il va dormir de toute façon, demain il sera guéri ! Guéri... de son rhume, tout du moins.
Gabriel a cru déceler de la tendresse dans les yeux de Yann et même quelque chose de plus. Quelle est la signification de ce bisou ? S'il doit évidemment y en avoir une. Le réunionnais l'a admis, il est joueur et Gabriel se rend bien compte qu'il s'amuse avec lui. Mais il ne peut s'empêcher de croire en une part de vérité. De quelle façon réagir ? Ignorer son manège afin d'espérer qu'il devienne plus explicite ? Cela ne risque-t-il pas de donner le résultat inverse ?
-Dans quelques semaines je ne serais plus là, à quoi bon ?
Gabriel, un peu abattu, se laisse tomber sur son lit.
Je vais malgré tout poursuivre ma lecture. Je n'aime pas rester sur un échec alors que l'histoire démarrait bien. J'espère y trouver un nouveau souffle.
Il y a des chapitres mieux écrit que d'autres ça j'en ai conscience mais bon... ça m'atriste de pas trouver exactement ce qui cloche parce que ces retours en arrière sont très important en fait pour la suite de l'histoire, justement parce que contrairement à ce que tout le monde semble en penser Uzu et Grabriel c'est peut être pas le couple de l'histoire, le rebondisement est toujours possible et il faut pour mon histoire que les gens comprennent pourquoi. Peut-être que j'aurais dû commencé par le début (la réunion et le couple Gabriel/Yann puis terminer par deux ans plus tard... Mais ça ne m'est pas venu comme ça et même quand j'y pense sérieusement, j'ai pas envie quoi...