Le Légionnaire : Chapitre VI

Par Rânoh
Notes de l’auteur : Dernier chapitre pour cette histoire, merci d'être là !

À la lisière du royaume des morts, le légionnaire observa les étoiles. La voûte céleste, dont la teinte rosée déclinait à vue d’œil, se couvrait lentement d’un sombre linceul. C’était un tableau à la beauté unique, exposé ici pour une occasion unique ; les mille constellations du cosmos se confondaient aux cieux colorés d’écarlate, d’ivoire et de cendre. Le spectacle funéraire de la nature s’accompagnait du souffle rauque du mourant. Il emplissait la clairière d’une brume morbide, d’un voile opaque de mélancolie. Ses pensées demeuraient limpides, plus claires que jamais, pourtant, le néant l’enrobait, il ne sentait plus ni ses membres, ni le reste de son corps : son cœur battait timidement dans une poitrine exempte de vie. Il porta un regard vitreux en direction de son foyer, vers l’infinité du vide stellaire, ses ultimes pensées y étaient destinées. Aux questions de l’existence, il ne voulait plus de réponse, rassasié de cette soupe indigeste qu’était la vie, il ne demandait rien que la paix de son âme. Ainsi s’endormit le légionnaire, ainsi fut-il libéré des obligations envers sa maîtresse, sous le regard attristé des astres d’où il venait, en une terre étrangère imprégnée de sang.

 

Sous la cime des arbres de la forêt, la flamme orangée d’une lanterne éclairait le chemin incertain de deux vives silhouettes. Ces ombres marchaient d’un pas précipité, hâtif, l’odeur nauséabonde du trépas les attirait comme des insectes vers le feu. Les effluves de la mort emplissaient déjà la clairière, un sombre mélange d’odeurs que les Hommes fuyaient d’ordinaire. Or, entre les troncs entachés de pourpre et les branches ornées de poils dégoulinants, naviguaient deux personnages singuliers, qui faisaient de l’extraordinaire le sens de leur quotidien. Kapris et Maeva émergèrent dans la désormais paisible clairière de roches noires, là où s’écoulait un mince ruisseau à l’eau trouble. Ils venaient de profaner le tombeau d’un défunt. Les aventuriers explorèrent les lieux que la pénombre dissimulait de sa malice, ils y trouvèrent les traces d’une lutte acharnée, un sol remué et souillé de combats, ainsi que l’objet de leur quête. Ce fut Kapris qui, le premier, identifia la curieuse forme qui gisait à terre. En voyant la blanche armure du légionnaire, il poussa un hoquet de surprise et recula d’un bond machinal, prêt à dégainer. Ses muscles se détendirent aussitôt lorsqu’il approcha la lueur de sa lanterne, sa flamme se répercuta sur les formes prismatiques entachées d’écarlate, illuminant le corps inerte.

— Par ici, Maeva, appela l’ancien chevalier.

Plus loin, la femme se redressa de la terre jonchée d’empreintes, puis accourut là où se tenait son mari. Elle se figea à la vue de cette carcasse par trop familière, un frisson glacial lui parcourut l’échine comme son œil se posait sur ces formes curieuses. Maeva s’accroupit prudemment, craignant une fourberie du légionnaire, mais ne put que constater l’état de ce dernier. D’un geste rapide, elle retira le heaume du défunt puis observa son visage meurtri avec attention, elle parcourut les traits brûlés de façon à les graver dans sa mémoire.

— Voici donc à quoi ressemblaient ces maudits légionnaires, fit-elle en se levant. Pourquoi son corps ne se transforme-t-il pas en poussière bleutée, comme ceux d’antan ?

Kapris secoua la tête, n’ayant aucune réponse à donner à ce propos. Lui avait une autre question à poser, une question dont la réponse s’était à jamais perdue dans les limbes de l’éternité.

— Je me demande de quelle façon il a survécu au Cataclysme, et comment il s’est retrouvé parmi les membres du culte de Korag.

— Allons ! l’interrompit la Princalienne. Cessons de perdre du temps, la nuit risque de nous engloutir et, visiblement, les infâmes bêtes rôdent aux environs. Enterrons celui-ci, même s’il est un probable responsable de la perte de ma famille, il a accompli sa pénitence en luttant contre les monstres de la forêt.

L’immortel fut d’accord avec sa femme et l’aida à transporter les restes du légionnaire quelques mètres plus loin. Ils le recouvrirent ensemble des pierres noires de la clairière, et y dressèrent de cette manière un cairn à la mémoire du défunt combattant. Par la suite, ils décidèrent de rebrousser chemin, sans avoir retrouvé Sibilha, car les environs demeuraient peu sûrs en cette heure tardive. Kapris et Maeva conversèrent longtemps au sujet de cette macabre découverte, ils gardèrent cependant le secret de la nature du guerrier pour eux, comme une promesse silencieuse pour le repos de ce dernier. Le culte disparut cette nuit-là, l’on n’entendit plus jamais parler des adorateurs de Korag ni de la grande prêtresse. Ombra Negra devint propriété de l’ordre de la citadelle, qui y construisit un monument pour pleurer la déchéance de l’humanité. Mais les ténèbres ne cessèrent de s’avancer sur la région d’Eve, elles gagnaient secrètement du terrain, prêtes à engloutir le monde.

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