Le loup

Par Sebours

Le premier surnom d’une ombre est toujours donné par le maître qui a jugé le chef-d’œuvre d’intronisation. Par la suite, le patronyme d’une ombre peut être modifié, allongé ou changé par les membres de la ligue en fonction de ses faits d’armes ou d’une particularité criante.

« Comment sont donnés les surnoms ? »

Codex de la ligue des Ombres

 

A quatorze ans à peine, Ome venait de tuer volontairement un être vivant sans aucune autre raison que l’ordre de la ligue des ombres. Sa tête tournait. Il était pris de vertiges face à l’ignominie de son acte. Bien que Crotos ne soit pas parvenu à le frapper, le nouvel assassin se trouvait sonné, là étendu sur le sol au milieu de cette ruelle sombre. Puis l’instinct de survie reprit le dessus. Fuir vite ! Disparaître comme une ombre, sans un bruit ! Ome se releva péniblement. Il regarda effrayé ses mains ensanglantées et, au bord de la folie, lâcha son poignard. Le cliquetis du métal sur le pavé ramena son esprit dans son corps. Rapidement, il ramassa son arme et quitta les lieux du crime en titubant. Une fois à gauche, deux fois à droite pour se retrouver, à bout de souffle, dans l’obscurité d’une autre ruelle. Là, dans un recoin noir, l’apprenti assassin vomit, les yeux embués du crime qu’il avait commis. Il se détestait pour ce qu’il avait fait, mais quel autre choix s’offrait à lui ? Il en allait de sa survie et de celle de sa mère.

Son archisuppôt, Sada l’étrangleuse l’avait suivi sans qu’il ne la remarquât. Elle était plus qu’une ombre. Elle se déplaçait comme un fantôme intangible et invisible, une brise insaisissable. La funeste épouse de Saburo posa affectueusement sa main sur l’épaule de son élève. « Ce n’est rien Ome. Cela m’a fait la même chose la première fois ! Ton esprit se galvanisera avec le temps. A présent suis-moi jusqu’au repère. Nous allons célébrer votre double adoubement à Hector et à toi ! » Ome cracha et s’essuya les yeux d’un revers de manche. Un peu plus et sa tutrice l’aurait surpris en train de sangloter. Elle avait raison. Avec le temps, il deviendrait froid comme la lame de son couteau. Pour l’instant, il devait surmonter ce tsunami de sentiments déferlants dans sa tête et dans son cœur. Il devait faire face au dégoût, la rage, le désespoir, la honte, l’anxiété...l’anxiété… l’anxiété d’être découvert ! Ses mains couvertes de sang ! Les laver devenait à présent sa priorité. Heureusement, la rivière se trouvait à deux pas.

« Maître Sada, pouvez-vous m’attendre un instant ? » demanda-t-il à sa tutrice.

La tueuse hocha la tête en signe d’approbation. Ome prit un maximum de précautions pour atteindre la rivière sans être vu. A genou sur la berge, il plongea les mains dans l’eau saumâtre, chargée des produits de tannerie. Cela empestait, mais ne constituait qu’un maigre châtiment pour l’acte qu’il venait de commettre. Alors qu’il se relevait pour rejoindre Sada, l’éclairage de la pleine lune dévoila à l’apprenti assassin sa propre tunique maculée de sang. Sans l’ombre d’une hésitation, il enleva le vêtement et le jeta dans le cours d’eau. Une fois prêt de sa tutrice, celle-ci le félicita. « C’est bien ! Tu as su te ressaisir rapidement et garder la tête froide pour éliminer les preuves. Tout cela sans mon aide. » Sur ces mots, l’étrangleuse partit au pas de charge sans mot ni bruit. Ome déjà tentait de l’imiter, fasciné par la souplesse des déplacements de la maîtresse assassin.

Le trajet jusqu’à la forteresse de l’ombre, le quartier général de la ligue fut avalé en un éclair, toujours par les ruelles les plus improbables et les moins éclairées, toujours dans les zones les plus obscures, toujours dans un silence angoissant seulement brisé par le chuintement d’un e fuite ou le grincement d’un volet. L’arrivée à la forteresse des ombres trancha net avec a solitude de ce voyage expiatoire pour Ome. Dès les portes du domaine passées, l’archisuppôt Sada l’étrangleuse harangua la population présente dans la cour.

« Mes frères ! Mes sœurs ! Venez acclamer notre nouvel coupe-jarret, Ome le loup ! »

Le nouveau membre de la guilde poursuivit donc son périple sous les viva de la foule. Une fois dans la bâtisse, il se dirigea vers son ami Hector pour le prendre dans ses bras. Sada le précéda et révéla haut et fort la nouvelle identité de son deuxième apprenti.

« Et voici celui que vous appellerez maintenant Hector Cul de bouteille ! » L’étrangleuse posa une main quasi maternelle sur l’épaule de ses deux élèves. « Tous deux ont brillamment réussi l’épreuve ! Ils font maintenant partie de la guilde des assassins ! Que toute la ligue le sache et le propage ! »

Les musiciens de rue sortirent leurs instruments, les serveurs tirèrent des chopines de bières et les réjouissances commencèrent. Ome avait remarqué depuis longtemps que toute raison était bonne pour faire la fête. La philosophie des derniers nés de Nunn pouvait se résumer ainsi « La vie est courte, il faut profiter de chaque instant ! ». Tout était donc prétexte à faire ripaille ou lancer une farandole comme à cet instant où les ombres dansaient pour célébrer le double meurtre commis par l’espion du grand chambellan et son ami le prince Hector. Ome aurait dû trouver cette situation comme le comble du cynisme, mais il n’en était rien. Son écœurement envers son crime passé et dépassé, le néo-assassin éprouvait même une certaine satisfaction à avoir un peu vengé sa mère, sa famille et son peuple en égorgeant cette brute de Crotos. Le centaure n’avait jamais manifesté le moindre remord à martyriser voir occire les derniers nés de Nunn. ; tout comme Pholos ou Néphélé. Pour une fois, ces demi-équidés recevaient la monnaie de leurs pièces ! La fierté d’avoir pris sa revanche effaçait peu à peu le sentiment le dégoût. En devenant membre de la guilde des assassins, Ome pourrait rétablir la justice. Mieux même, il pourrait devenir la justice, le défenseur des faibles et des opprimés. Hector avait raison. La destinée est un mensonge. Chacun peut choisir qui il deviendra. Ce sont les actes qui tracent l’existence. Igor se rapprocha en claudiquant jusqu’à ses protégés et manifesta sa satisfaction dans un rire guttural.

« Bravo mes jeunots ! Alors comme ça vous vous êtes fait un nom ! Ha ! Ha ! Ha ! » Puis le boiteux fronça les sourcils en mettant les mains sur ses hanches. Il poursuivit alors d’un ton grave et grandiloquente. « Le loup ! Voilà un patronyme qui fait peur ! Brrrrr ! » Puis, repartant de sa voix enjouée, il taquina. « Cul de bouteille par contre, ça fait castagneur de bar ! Ha ! Ha ! Ha ! Enfin, c’est toujours mieux que Galibert le fourbe ! J’aurais bien voulu assister à votre épreuve ! »

Sada stoppa net les moqueries d’Igor d’un geste de la main, affirmant par la même son soutien indéfectible à ses apprentis.

« Hector a fait montre d’un savoir faire frisant l’excellence ! N’essaie pas de dénigrer son nouveau nom ! Il a fait d’un simple tesson de verre une arme mortelle. Il fera un venimeux de premier ordre ! Voilà pourquoi je lui ai donné le nom de Cul de bouteille. Quant à Ome, il a traqué sa proie et l’a pris à la gorge comme un loup ! »

Saburo qui descendait les escaliers intercéda en faveur de sa femme. Il posa sa main sur le pommeau de son épée.

« Si fait ! A présent, le loup et cul de bouteille font partie de la guilde des assassins ! Tu leur dois le respect, Igor le boiteux ! Sinon, c’est la guilde que tu insultes ! »

« Je sais ! Je sais ! C’était une marque d’affection, l’estocade ! Pas besoin de me couper l’autre jarret ! »

Cette dernière remarque interloqua Ome. La blessure d’Igor proviendrait de Saburo ? Sur sa propre initiative ou bien sur commande de quelqu’un d’autre ? Était-ce une banale rixe entre ivrognes, le lavement d’un affront à la guilde des assassins ou une manœuvre politique visant à éliminer un concurrent ? Voilà un mystère qui demandait à être éclairci. Quand il en aurait l’occasion, Ome interrogerait son unique soutien de la ligue des ombres. D’ailleurs, il était de connaissance notoire que les deux nouveaux coupe-jarrets cultivaient une certaine connivence avec Igor le boiteux. Le nouveau tueur se doutait que le receleur avait récupéré la direction de toute la partie vol et cambriole suite à son accident. Précédemment, il devait posséder un statut plus important, similaire à celui de Galibert le fourbe. Levant les yeux vers le paradis, le garçon découvrit le cagoux du grand coësre regarder la scène, appuyé sur le garde-corps. Son faciès fermé et son attitude rigide jurait au milieu de la grouillante foule riante s’adonnant à la boisson et à la danse. Igor glissa un mot à l’oreille de Ome confirmant son sentiment.

« Méfie-toi du fourbe ! Vous avez survécu à son nouveau piège, mais la partie n’est pas terminée ! Crois-en mon expérience, elle n’est jamais terminée ! » Puis il lui fila une tape dans le dos pour donner le change avant de continuer. « Restez toujours sur vos gardes ! Le fourbe ne supporte pas la contradiction et l’humiliation. Et je n’avais pas vu Galibert aussi contrarié depuis...moi. » Igor récupéra deux chopes à la volée et trinqua avec son protégé. « Le loup va avoir besoin de se constituer une meute ! Ha ! Ha ! Ha ! »

Le boiteux avait raison. Galibert constituait une terrible menace. Tout d’abord, il voulait clairement les éliminer, Hector et lui. Mais n plus, s’il lui prenait l’idée de les faire suivre ; et qu’il découvrait qu’ils logeaient au château du roi Roll … Demain, il exposerait à Slymock la situation. Un coup de filet des autorités pourrait changer la donne. Ome connaissait à présent bien les arcanes de la ligue des ombres. En sélectionnant les personnes à emprisonner, peut-être que l’entreprise criminelle agirait un peu plus pour l’intérêt commun des derniers nés de Nunn et moins pour son profit personnel. Clairement, le cagoux en place apparaissait obnubilé par la défense de son statut et pratiquait les plus grandes bassesses pour se maintenir en place. Un peu à la manière du grand chambellan. songea le jeune espion. Pour la première fois, Ome sentait que ses actes détermineraient le futur. Il possédait entre ses mains l’avenir de son peuple. Il devait orchestrer une purge salvatrice au sein de la ligue des ombres. Il en avait le pouvoir ! C’était décidé. Le temps où il n’était que le jouet des grands dirigeant était révolu. A présent, il agirait selon ses propres convictions. Il serait la justice, le défenseur des faibles et des opprimés.

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Peridotite
Posté le 05/12/2023
Coucou Sébours,

Après leur premier assassinat, Ome et Hector font la fête et obtiennent des surnoms d'assassins.

Je trouve qu'Ome s'emballe un peu vite vers la fin. Il pense pouvoir faire justice en manipulant les assassins de la guilde, mais je me dis que ça ne doit pas être si simple que ça et que ça va mal tourner. Il va bientôt déchanter à mon avis, sans compter sur le fait qu'on va certainement les démasquer ! 🙂
Sebours
Posté le 05/12/2023
Bonjour Peridotite!

Je pense qu'il y aura du changement dans cette partie du récit. On est clairement dans une partie initiation du héros (très young adulte donc). Je ne sais pas comment réduire tout ça. Dois-je garder la partie ligue des ombres et supprimer la partie académie elfe, ou l'inverse?
Et en plus, je pensais fusionner Sauveur (l'oncle de Ome prisonnier des orcs) et Igor le boiteux. Mais j'ai peur que cela passe pour une facilité scénaristique.

Sinon, ton aventure éditoriale se passe bien?
Peridotite
Posté le 06/12/2023
Je trouve que l'arc narratif d'Ome pourrait faire un livre à lui tout seul. Je ne vois pas encore comment tu vas le rattacher au reste. J'ai l'impression qu'il est beaucoup plus détaillé que les autres personnages.

Je trouve aussi que tu pourrais d'avantage rappeler la ligne directrice du roman (les guerres lemniscates). Cette partie avec Ome ne semble pas y être attachee ?

Concernant l'aventure éditoriale, je suis débordée en ce moment car j'ai mes parents qui ont débarqué au Japon pour trois semaines. J'essaie de faire les dernières corrections dans les seuls moments de creux qu'ils me laissent. Il ne me reste plus grand chose, mais je tenais à réécrire le chapitre du duel (qui vient peu après là où tu t'es arrêté). J'arrête pas de faire des essais, je retourne le truc dans tous les sens. Donc je perds du temps là-dessus et je suis toujours pas satisfaite du résultat. À part ça, il ne me reste que deux corrections vers la fin qui seront plus rapides. Je dois avoir terminé les corrections de fond fin décembre. Puis viendront les relectures et les corrections de forme.
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