LE MALHEUR AU CHOCOLAT

Vendredi 10 janvier, 17h08. Le Diable fait son entrée, une patte sur la hanche, l’autre faisant tourbillonner un petit sachet en plastique dont le contenu brun et mou devient plus visible à mesure qu’il ralentit le mouvement. 

 

LE DIABLE

Hou hou ! Regardez ce que je vous ai apporté aujourd’hui. Inutile de prendre votre air dégoûté. Ce n’est ni ce qu’il paraît ni ce que vous pensez. Alors, qu’est-ce donc ?

Je le savais ! Vous êtes tombée en plein dedans ! Un sac à crottes ! Un sac à crottes plein, même que ! Faux ! Faux ! Berk, berk et reberk ! Ce n’est pas parce que vous occupez toutes vos journées à la phase anale que les gens normaux font de même. Wharf wharf wharf. 

Non. C’est tout simplement du bon gâteau au chocolat. Un Malheur au Chocolat pour être exact. Très raffiné. 

Pourquoi est-ce que je le mets dans un sac à crottes plutôt que sur une assiette ? Quelle question stupide ! C’est bien la ruse ! Au cas où vous n’auriez pas remarqué : à l’exception notable de quelques crétins, tous les propriétaires canins ramassent assidûment les crottes de leurs chiens. C’est un scandale ! Si ça continue, il n’y aura bientôt plus de crottes sur les trottoirs !

Fut un temps où je me cachais derrière les broussailles pour guetter les passants jusqu`à ce qu’ils plongent le pied en plein dedans. Splatch ! Ah, les joies simples de la vie ! Mais voilà la belle époque révolue. C’était mieux avant. Vous ne trouvez pas ? Alors, j’ai concocté un plan. Ou plutôt une idée géniale m’est tombée dessus comme la foudre alors que j’étais en train de cuisiner : la crotte en chocolat.

On peut soit la manger soit s’en servir en embuscade dans la rue. (Il sourit fièrement en ouvrant le sachet.) Goûtez- moi ça. Si ! Si ! C’est très bon. Ce n’est vraiment pas aussi dégoûtant que ça en a l’air. Regardez. (Il en brise un petit morceau…) Hop. (… qu’il jette dans sa bouche.) Miam.

Ou alors, vous pouvez vous en servir pour embusquer autrui si vous préférez. C’est un peu plus compliqué parce qu’il faut alors la rouler de manière très crédible. Le secret est dans la farine. Il ne faut pas en mettre trop, sinon la pâte devient grumeleuse alors que nous avons besoin d’une pâte bien collante et malléable. Et beaucoup de chocolat noir à cuire naturellement. La couleur doit être réussie, sinon l’embuscade rate. 

Laissez-moi vous faire une démonstration. Vous pouvez aussi m’aider. Non ? Je m’y attendais. Une fois de plus, je dois faire tout le travail tout seul. (Il pétrit le gâteau d’un air concentré.) Ça pourrait vous amuser, autrement dit vous être fatal. (Il roule le morceau en l’aplatissant comme de la pâte à modeler.) Hop. Et voilà la saucisse. (Il rit fièrement.) Fastoche. (Le résultat est en effet très convaincant.)

Maintenant, sortons pour la positionner et nous cacher à l’affût des passants. Ça ne rate jamais, car je les place toujours aux endroits les plus stratégiques. (Il glousse.) Devant les banques quand les gens sortent en comptant leurs billets. Splitch ! Devant les bureaux de tabac où ils allument leurs petites cibiches. Splatch ! Devant les écoles où accourent les ados retardataires ! Sploutch ! Devant les maisons où les clients parfumés attendent face à la porte close. Splatch ! Alors, on va où ?

Nulle part n’est pas une réponse valable. Peut-être dans le parc en face ? Non ? Évidemment que vous ne voulez pas sortir, vous êtes vissée à votre chaise ! Je n’avais pas compté dessus à vrai dire ! Je peux aussi y aller et vous observez le déroulement depuis votre fenêtre. 

Enfin, osez, mais osez donc ! Je pourrais les mettre sur le circuit des poussettes. Splitch ! Ou sous le banc du clochard qui cuve. Splatch ! Ou, ou, hou hou oh oh ! Croyez-en mon expérience, ça vaudra le coup. Splatch ! Leurs têtes consternées ! Et après, quand ils essayent, l’air de rien, de racler leurs semelles ou leurs roues ! Bonne chance, j’ai bien sûr pris soin de faire évaporer toute flaque d’eau aux alentours avant, PSCHHHTT... ! Avec un peu de chance, ils font une glissade le long de la rue avant de s’étaler ou alors ils se salissent les doigts… et ne remarquent même pas qu’ils pourraient les lécher... Oh oh...  

Une fois où j’ai ri si fort ‒ parce qu’une de mes victimes a roulé dans mon piège avec sa trottinette, puis a laissé tomber ses clefs dedans en s’énervant ‒ que les voisins ont dû appeler la police et qu’ils sont venus argh avec leurs sirènes ARGH… Pinponpin… Et puis sploutch ! Un flic a mis le…  hahahargh… en plein dedans… Splatcharghghgh je n’en peux plus. Mouchoir s’il vous plaît. (Il essuie les larmes et la morve qui dégoulinent.)

Assez plaisanté. Je viens de me rendre compte que je dois partir un peu plus tôt que d’habitude aujourd’hui. (Il se lève.) Je laisse le sac ici. Ce n’est pas un sale cadeau. Juste un succulent gâteau au chocolat fait maison. Bon appétit ! 

 

Alors qu’Elizabeth ramasse le sachet et ne fait plus attention à lui, le Diable sort furtivement un deuxième petit sachet de sous sa cape et en dépose le contenu devant la porte juste avant que la sonnette annonçant le prochain patient ne retentisse. 

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