Par un phénomène assez étrange, tous les bars miteux de toutes les galaxies se ressemblaient. Peu importait qu’ils soient plantés en plein milieu d’un désert aride ou d’une méga-cité noyée sous la pluie. Tous sans exception avaient la même tête.
Toujours, il y avait des néons qui grésillaient et une lumière incertaine. Comme si le proprio avait oublié de payer pour le courant.
Toujours, il y avait des comptoirs collants et des habitués scotchés dessus. Les deux faits étaient très certainement liés.
Toujours, il y avait en fond sonore une musique passée de mode il y a déjà plusieurs générations.
Toujours.
C’était limite fascinant.
Et le bar où on se trouvait ne faisait aucune exception à la règle.
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— T’es sûr de toi, petit ? On a pas vraiment besoin de ce, euh…
— Du moteur, Cap’taine ?
— Ouais, du moteur.
— Comment on va repartir si on n’a pas de moteur ?
— En… j’en sais rien, moi. En autostop ?
Félix fit signe au barman et deux verres se retrouvèrent devant eux. Niveau contenu des verres non plus, ça ne variait pas des masses d’un bar à l’autre. Félix se dit vaguement qu’il serait super intéressant de recenser tout ça et de faire un énorme guide touristique.
— De toute façon, reprit-il, c’était sûr qu’il allait lâcher. Ça fait une éternité que je vous dis de passer le contrôle technique, Cap’taine.
Le capitaine grogna en retour, renifla le contenu de son verre, puis l’avala d’un trait.
— C’était con de remplacer un moteur qui marchait, bougonna-t-il.
— Heureusement qu’il ne nous a pas lâchés dans l’espace.
Félix jeta quelques regards autour de lui. Le vendeur avec lequel il avait convenu d’un rendez-vous n’était pas là.
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S’il y avait un truc pratique avec les bars miteux, c’était bien de pouvoir passer inaperçue. C’était ce qu’était en train de se dire Kei en observant le duo accoudé au comptoir.
Celui de droite était grognon et avachi. Celui de gauche, alerte et impatient.
Elle se détacha du coin sombre où elle attendait, rabattit sa capuche sur sa tête, remonta le foulard sur son nez et se dirigea vers eux.
Ce fut le plus jeune qui la remarqua en premier. Elle le vit froncer les sourcils, comme si ce qu’il avait devant les yeux ne correspondait pas à ses attentes.
— On a à parler, je crois, dit-elle.
— Je pense que vous vous trompez, répondit le plus jeune.
— Vous êtes pas là pour faire affaire ?
— Si. Mais…
— Ca tombe bien, dans ce cas.
Elle passa un rapide regard sur le plus vieux. Il semblait gêné de se trouver là, comme si sa place aurait plutôt été dans les factures d’une boite de gestion. Elle reporta son attention sur l’autre.
— Quel est votre prix ? demanda-t-elle.
— Notre prix ? C’est plutôt à vous de nous le dire, non ?
Elle hésita une fraction de seconde. Elle avait l’impression que quelque chose clochait.
— J’ai pas toute ma journée, bougonna-t-elle. Nommez-moi votre prix.
— Euh… On était partis sur cinq cents unités.
Elle haussa les sourcils, les détailla de nouveau, plus attentivement.
— Cinq cents unités… Je pensais que ça me coûterait plus cher.
— Que ça vous coûterait plus cher ? De quoi vous parlez ?
— De me tirer d’ici. On m’avait promis une place dans votre boite de conserve.
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Félix ouvrit la bouche, la referma. Puis, son regard glissa rapidement au flingue qui se laissait deviner à la ceinture de la femme. Il valait peut-être mieux ne pas la contrarier.
— On ne transporte pas de passagers, dit-il. Vous nous avez confondus avec quelqu’un d’autre.
— Vous avez un vaisseau ?
— Oui, mais…
— Dans ce cas, c’est vous qui allez me servir de chauffeur. J’ai besoin de me tirer de cette planète et vite. Je paierai, ajouta-t-elle.
Félix glissa un regard au capitaine qui s’était reculé. Il avait l’impression qu’il essayait de se tirer d’ici de manière discrète.
— Le souci, c’est que notre vaisseau est immobilisé. En panne.
Il ne distinguait pas grand-chose du visage de son interlocutrice sous sa capuche et son foulard, mais il eut l’impression que cette remarque la contraria. Beaucoup.
— Quoi comme panne ? demanda-t-elle enfin d’un ton cassant.
— Le moteur. On attendait le vendeur pour le remplacer.
— Pour cinq cents unités ?
Il hocha la tête.
— Vous trouverez rien pour ce prix. Juste de la camelote qui va vous lâcher dès le premier voyage.
— Vous avez mieux ?
Elle ne répondit pas. Pendant un long moment. Très long. Félix se demanda si elle ne les ignorait pas, tout simplement. Il aurait été grandement soulagé si elle se levait et partait. Mais elle resta.
— J’ai peut-être un contact, dit-elle. Mais je vais avoir besoin de garanties que je pars avec vous.
— De garanties ? Genre, un papier daté et signé ?
— Genre, je vous lâche pas d’une semelle.
— Ce n’est pas plus simple de vous trouver quelqu’un d’autre ? tenta Félix. Je veux dire, il y a sûrement plein de gens qui ont un vaisseau en marche et qui seraient ravis de vous avoir pour passagère.
— Je vous fais une faveur, dit-elle.
Elle fit une pause vraiment très longue. Elle semblait beaucoup aimer les pauses.
— On n’a pas forcément besoin d’argent…
— Je parlais pas de ce genre de faveur.
Elle se leva, jeta quelques regards rapides autour d’elle. Puis, elle leur fit signe de la suivre. Le capitaine semblait scotché à sa chaise, Félix dut l’aider à se relever.
— Vous avez vu mon visage.
— Oh… oh, non, vraiment. Il fait très sombre ici, on ne voit même pas vos yeux.
— Et vous connaissez mon intention de partir d’ici.
Félix n’aima pas du tout son ton.
— C’est donc assez simple. Soit vous m’aidez à partir d’ici.
Elle fit une nouvelle pause.
— Soit je vais devoir vous tuer.
Toujours aussi fun à lire ! Le marché s'installe au fil d'un savoureux dialogue, et le petit côté bras cassés de l'espace avec les vaisseaux en panne, ahah.
En avant pour la suite ! :D
◊ Phrases préférées : "Elle fit une pause vraiment très longue. Elle semblait beaucoup aimer les pauses."
◊ J'ai eu un peu de mal au tout début de leur rencontre, parce que les termes "le plus vieux", "le plus jeune" et "l'autre" étaient trop flous (parce qu'en ce début de roman, on rencontre plein de monde). Peut-être que ça pourrait être plus "le grognon" et "l'impatient" par exemple ? Ou un détail physique plus significatif que leur âge ?
Alors c'est ici le début des ennuis ? C'est moi où les vaisseaux ne fonctionnent pas super bien dans ton univers ?
Après je comprends le capitaine, si le moteur fonctionnait, pourquoi le changer ?
Sinon je note que ce duo là ne tombe pas sur une personne aussi charmante que Scorbut. Après je dois avouer que ça ne me dérange pas. Elle sait ce qu'elle veut, elle s'en donne les moyens et elle a de bons arguments.
Par contre sur le dernier dialogue, je ne sais pas pourquoi, le coup du visage et de la réponse m'a perturbé. Je ne suis pas sûre de qui parle vraiment. Je fais une association sur le fait que le capitaine reste scotché à sa phrase, comme s'il l'avait reconnue. Que c'est lui qui dit qu'ils n'ont pas vu son visage... Et en relisant, je me dis qu'en fait c'est peut-être juste une coïncidence. Peut-être aussi que c'est toujours Félix qui parle.
Une chose est sûre, le programme de compréhension de mon cerveau a planté en beauté.
Mais après ça reste très agréable à lire dans son ensemble. :)
J'ai bien aimé les deux "extrémités" du chapitre l'incipit et la chute, très drôles.
L'alternance de pdv fonctionne bien.
J'ai hâte de retrouver scorbut !
Je poursuis...
L'ambiance est excellente, je trouve que tu laisses beaucoup de liberté au lecteur pour que son imaginaire prenne le dessus tout en "imposant" une atmosphère. L'équilibre fonctionne très bien
Je me demande pourquoi Kei cherche à fuir et j'aime bien Félix, on dirait une choupette qui doit se faire souvent arnaquer xD Et le capitaine qui cherche à s'enfuir de la conversation xD
Bref, toujours un kiff ;)
Bisous !
Ce nouveau chapitre est intéressant même si on ne suit pas les mêmes personnages. Cela permet d'avoir une image un peu plus grande du contexte et de l'univers.
J'ai notamment beaucoup aimé les premiers paragraphes où tu parles des bars en en faisant une généralité universelle. Ça permet originalement de comprendre que l'univers que nous allons explorer est assez vaste.
A bientôt pour la suite !
Malgré cette incertitude, j'ai continué sereinement la lecture et j'aimerais savoir le nom de cette jeune femme. Histoire d'être sûr que je ne m'approche pas d'elle. Elle n'a pas l'air super chaleureuse et facile à vivre au quotidien. Quoi que… Si on est de son côté, ça devrait aller.
En tout cas, tu as su percuter le lecteur sur la fin. Tu uses des silences à bon escient et ça fait son petit effet. Coopère ou meurs. BOUM!
J'ai hâte de voir si je retrouve Scorbut au prochain chapitre, Félix et cette jeune femme ou bien d'autres personnages… héhé… !
A très vite !
J'aime toujours ce texte, les personnages sont très attachants et un peu timbrés, ça me plaît beaucoup. Le texte se lit comme une explosion de feu d'artifices, on sait pas où ça va, mais c'est rigolo donc on se laisse embarquer avec grand plaisir. Le côté science-fiction est aussi très bien maîtrisé et l'absence de descriptions va très bien, alors que j'ai besoin perso de beaucoup de descriptions pour réussir à entrer dans une histoire. C'est un peu le même tour de magie que Quand la mousse pousse, j'avoue.
Très bon chapitre :D A bientôt pour la suite !
Haha, je suis contente que mon absence de descriptions ne te dérange pas plus que ça. Plus le temps passe, moins j'ai envie d'en faire. Donc... on va dire tant mieux, hein x)
Merci d'être venue lire !
Je peux pas m'empêcher de faire le lien avec tes écrits full-dialogues : ta plume, on dirait presque du théâtre et le rythme est très entraînant !
Bon, j'imagine que je devrai attendre quelques chapitres avant de retrouver Scorbut ?
Le full dialogue n'est jamais vraiment loin, tu sais xD D'ailleurs, ça m'a donné envie de m'y replonger, cette fic. Mais j'ai décidé d'être sage. Pas plus de cinq fics en même temps !
Scorbut... p'têt qu'il reviendra au prochain :P
L'atmosphère est très bien rendue, et la petite demoiselle inquiétante me plait beaucoup. Toujours cette touche d'humour, c'est un régale.
À quand ma suite ?
Ouais, on aime toujours les gens qui risque de nous planter un couteau dans la gorge <3
Merci d'avoir lu !