Vendredi 30 mai, 17h13. Seules les cornes du Diable apparaissent derrière une montagne de produits alimentaires et ménagers qu’il apporte avec lui.
LE DIABLE
Faites place au Grand Directeur Marketing Manager. Je connais toutes les astuces marketing, vous savez. Et comme je dois tout vous dire ici, je vais tout vous révéler. Vous ne pourrez pas me reprocher de vous faire des cachotteries.
Première ruse : changer la forme du packaging, et HOP passer de 12 à 10 gaufrettes l’air de rien. Et POF le paquet super design passe de 50 à 36 grammes et ces crétins n’y voient que du feu ! Les petits ruisseaux font les grandes rivières. Ce n’est pas pour rien que je m’enrichis sur le dos d’autrui ! J’enlève l’air de rien, trois M&M’S dans un paquet de 100, c’est plus léger à transporter et ça fait 17 % de bénef ni vu ni connu ! HOHOHO !
Deuxième ruse ou est-ce qu’on dit seconde ruse ? Je pense que c’est du pareil au même. Les céréales pour enfants avec seulement 30 % de sucre ! Il suffit de mentionner « seulement » pour pouvoir augmenter le pourcentage de sucre en toute impunité. Ou « nouvelle » devant « recette », pour pouvoir augmenter le prix du baril de lessive ou du flan maison ! Et si on écrit « Bio », on a même le droit de doubler voire de tripler le prix tout en économisant les frais de pesticides.
Car le vent commence à tourner. Pour être dans l’air du temps, il faut être non seulement bio, mais aussi végan ou prétendre l’être. Fini le temps où il était bon teint de diffamer les végétariens et de vanter les bienfaits de la viande rouge. Maintenant, il faut diffamer les carnivores et vanter les bienfaits du chou kalé et des grains de chia. D’ailleurs, dans mes labos, je suis en train de développer un steak plus vrai que nature aux protéines biologiques à base d’algues et de bicarbonate de soude.
J’appose donc une vignette « Végan » sur le jus de pomme et HOP je triple les ventes ! C’est ma meilleure astuce. Ah, je ris de me voir si malin et rusé.
À ce propos, ma ruse numéro… je ne sais plus, mais la plus grandiose en tout cas, reste celle du diamètre de l’orifice du tube de dentifrice ou du shampoing. Sachant qu’une brosse à dents fait en moyenne 15 millimètres de surface, il suffit d’augmenter le diamètre du tube de quelques précieux millimètres. Hop, plus gros est le boudin de pâte dentaire, plus vite le tube est terminé ! La qualité du tube est également importante : il faut soit qu’il se perce pour répandre le produit à l’extérieur, soit qu’il soit peu flexible pour retenir le produit à l’intérieur. Qui paye ? Le client ! Qui s’enrichit ? MOI ! HAHAAAA ! Que je suis rusé, que je suis malin, qu’ils sont crétins. Enfin, la crétinerie des uns fait le bonheur des autres, n’est-ce pas ?
On peut aussi combiner les ruses, surtout quand il s’agit d’une ménagère ou mieux encore de son innocent chérubin. La grosse ouverture sur le shampoing démêlant nouvelle recette à la fraise des bois et PAF, voici un demi-litre de shampoing biologique dans la sale menotte du chérubin ! La ménagère n’a plus qu’à aller acheter un autre shampoing, elle n’avait qu’à le surveiller en train de prendre son bain ! HOHOHO !
Les familles sont de toute façon si naïves et faciles à rouler dans la farine qu 'il suffit d'offrir un MAXIPACK ou un format familial pour qu'elles sautent dessus, sûres de la bonne affaire sans contrôler le prix surtout avec un cadeau (il ouvre des guillemets invisibles de ses doigts crochus) gratuit à l'intérieur.
Car bien sûr, les plus faciles à berner sont les enfants. Les chewing-gums, les images autocollantes, les cadeaux à collectionner. Ils sont si adorablement bêtes qu’ils ne se rendent même pas compte de la supercherie. Ils en redemandent. Qui paye ? Les parents ! Qui s’enrichit ? MOI !
Les femmes sont encore plus stupides que les enfants et presqu'autant que leurs maris. Un beau packaging doré et une jolie boîte à faux-fond et le tour est joué ! Et... j'ose à peine vous le dire parce que vous êtes la clientèle cible mais... si on écrit « anti-rides », ou mieux encore « soin lissant » ou « éclat jeunesse » parce que les coquettes détestent qu'on pense qu'elles puissent être victime du temps qui passe, on peut multiplier les prix autant qu'on veut. Par 10, par 100, et même par 1000 ! Plus c'est cher, plus elles y croient et plus je m'enrichis ! Si vous voulez je pourrais vous donner un pot gratuit, vous devri... ah, ça ne vous intéresse pas ? Bon, ben, vous pouvez garder vos rides alors.
Il faut dire qu’il n’y a pas de mal à profiter de la niaiserie d’autrui. Après tout, personne ne les oblige à consommer autant. C’est très mauvais pour l’environn… (DING DONG) Tout comme ce consommateur stupide et pollueur. Laissons-le sonner et revenons à notre conversation : j’ai remarqué qu’en précisant sur le packaging qu’un euro serait attribué à la reforestation ou aux enfants mourant de faim, je peux encore augmenter le prix de deux eur… Quoi encore ?
Ah, vous tenez vraiment à le faire entrer ? Dans ce cas, tenez, ma bonne dame ! (Il se lève en laissant les paquets sur le divan.) Ce ne sont pas de vrais cadeaux, seulement des pièges à abrutis de clients. Je vous les laisse.
Le prochain patient entre et jette un œil inquisiteur sur la montagne de produits.