Alors que Sofia et Aidan abandonnèrent temporairerement le fiacre qu'ils avaient emprunté, tous deux se hâtèrent en direction de l'entrée des grilles qui menait ensuite vers les portes en chêne
Tandis qu'ils coururent à en perdre haleine, le vent faisant valdinger les cheveux de Sofia de tous les côtés, Aidan quant à lui retira de sa poche intérieure sa montre à gousset pour glisser une oeillade furtive sur la cadran tressautant.
-Onze heures moins vingt-cinq, dit-il. Les membres de la Chambre se réunissent dans moins d'une demie-heure. Faut se grouiller !
Ils arrivèrent alors devant l'entrée des grilles où y étaient positionnés des gardes affublés d'un uniforme rouge et qui tenaient des hallebardes.
-Pardonnez-nous de...de vous importuner Mess...Messieurs, dit aimablement Aidan, essoufflé par sa récente course. Mais c'est extrê...extrêmement urgent. Nous devons...remettre...ce discours à...à Mr. Gladstone...
Sofia sortit alors de sa sacoche le discours en question pour le montrer aux gardes. Ces derniers échangèrent entre eux des sourires amusés, dépeignant leur incrédulité par rapport à ce qu'ils venaient d'entendre.
-A Gladstone ? Rien que ça ? demanda un des gardes avec une pointe d'ironie. Et on peut savoir qui vous êtes ?
-Euh...Nous...nous avons été...envoyés par Lord Connors, mentit Sofia qui était tout aussi essoufflée qu'Aidan. C'est lui qui l'a rédigé à l'attention du pro...projet de loi qui doit être déba...débattue aujourd'hui mais il...il a connu un...petit imprévu qui fait qu'il n'est pas en mesure de se rendre à la Cha...Chambre...
Les propos de Sofia furent accueillis par de nouveaux rires étouffés venant des gardes. De toute évidence, ils ne croyaient pas un seul instant en son demi-mensonge.
-En dix-neuf ans de carrière, j'en ai entendu de ces couleuvres de la part d'imbéciles qui voulaient à tout prix rentrer à l'intérieur du Parlement, dit le garde le plus âgé d'une voix moqueuse. Et la Mademoiselle, vous venez de faire votre entrée sur la liste des dix stupidités les plus absurdes qu'on nous ai jamais sorti.
-Pourtant on vous assure que c'est vrai ! affirma Aidan. Lord Connors ne peut pas se rendre au Parlement et ce discours permettra de compenser son absence.
-Monsieur, Mademoiselle, dit le même garde, votre discours est bien joli mais vous devez tout de même vous douter que nous avons besoin de quelque chose de plus solide que votre seule parole pour que nous puissions permettre à deux personnes du peuple de rentrer dans l'institution la plus importante du monde.
Sofia commençait à sentir une chaleur de panique englober tout son être. Non seulement Aidan et elle étaient en train de perdre du temps mais en plus les gardes ne semblaient pas disposés à employer la moindre forme de coopération. Pourtant l'enjeu était beaucoup trop important. Ils devaient les laisser passer !
-Nous ne demandons pas forcément à rentrer, dit Sofia, mais que vous puissiez vous même remettre ce discours à un Lord...
-Et puis quoi encore ? dit un autre garde qui commençait à s'impatienter. Vous croyez que nous sommes des pigeons voyageurs, peut-être ? Nous n'avons pas que ça à faire ! Les ordres sont les ordres. Personne ne passe, point !
-Messieurs, je vous en prie, c'est trop important ! implora Sofia.
-Bon assez plaisanter maintenant. Allez faire votre cirque ailleurs !
-Mais...
-Allez, ouste !
Aidan saisit délicatement le bras de sa cousine.
-Allons So', viens..., murmura Aidan. Inutile d'insister...
Sofia eut alors la sensation de ressentir un coup de bélier en pleine poitrine.
Ils avaient été à deux doigts de pouvoir faire passer ce discours qui pouvait changer la donne pour le vote du droit des femmes. A deux doigts. Et l'espoir de pouvoir aider à faire que le souhait de millions de femmes puisse se réaliser s'échouait ici. Si près du but.
A contre-coeur, Sofia comprit qu'elle n'avait pas d'autre choix que de se retirer car de toute évidence, les gardes étaient fermement décidés à ne pas leur apporter de contribution. Tandis qu'Aidan emmenait Sofia un peu plus loin, cette dernière ressentit une avalanche d'émotions se fracasser à l'intérieur de sa cage thoracique et faire naître une boule encombrante dans sa gorge. Elle avait envie de hurler, d'exploser en sanglots, de crier sa colère et le dégoût qui sévissaient en elle. Des larmes commençaient à piquer ses yeux.
-Ils n'ont pas le droit faire ça...s'indigna Sofia sur un ton mêlé de colère et d'accablement tandis que des larmes coulaient sur ses joues. Ils n'ont pas le droit !
-Je suis désolé, So'...
-Ils peuvent dire tout ce qu'ils veulent, comme quoi ils obéissent aux ordres qu'ils ont reçu, tu parles ! Je te parie ce que tu veux que si c'était leur droit à eux qui se jouaient à l'intérieur de la Chambre aujourd'hui même, ils ne cracheraient pas sur une opportunité de pouvoir faire changer la situation et ils auraient sûrement pris la peine d'envoyer au moins l'un d'entre eux remettre ce fichu discours à un Gladstone !
-Ouin je le pense aussi.
-On ne peut tout de même pas rester comme ça sans rien faire ! Il y a forcément un autre moyen pour remettre ce discours à Gladstone !
-So'...On a fait tout ce qu'on a pu...
Sofia avait le coeur rongé par la frustration. Cette proposition de loi était née après les efforts durement fournies par tant de feministes au fil des décénnies qui s'étaient battues pour revendiquer le droit d'être considérées. Revendiquer le fait qu'elle refusaient de céder devant le mépris séculaire et injustifié que les hommes leur manifestait. Accepter de capituler, c'était cracher sur les efforts de ces femmes. Sur le courage, la pugnacité, la détermination qu'elles avaient eu. Que sa mère avait eu en créant le mouvement des Dédaignées Indignées. Sofia ne voulait aucunement abandonner ces lionnes. Elle voulait essayer jusqu'à la dernière seconde de la dernière minute de trouver une solution. Et elle la trouverait.
Desesépérée, Sofia balaya les alentours du regard, comme si une solution miracle allait immédiatement se présenter devant elle.
-Allons, viens So', dit Aidan sur un ton compatissant. Commençons déjà par aller rendre ce fiacre qu'on a volé...
Sofia vit le fiacre en question situé juste devant les grilles.
Puis une idée traversa son esprit. Le miracle qu'elle attendait venait de se présenter devant elle.
-Aidan ! T'es un génie !
-Le fait de vouloir être honnête n'a rien à voir avec le génie. Mais bon si tu le dit, tout compliment est bon à prendr...
-Mais non, idiot, l'interrompit Sofia. Voilà ce qu'on va faire. Toi, tu retournes auprès des gardes et tu opères une diversion. Moi, je me charge du reste.
Mais avant qu'Aidan n'ait eu le temps de comprendre ce que voulait dire sa cousine, Sofia se hissa sur la banquette du fiacre, monta sur le toit puis s'accrocha aux grilles.
-Non Sofia, ne fais pas ça ! Sofia, arrête !
Mais Sofia avait déjà passé ses jambes de l'autre côté de la grille et venait de sauter sur la pelouse du Parliament Square. A peine ses pieds avaient-ils atteri au sol qu'elle courut à toute vitesse vers les portes en chêne du Palais de Westminster.
Aidan savait qu'il était trop tard pour arrêter sa cousine. Il n'avait donc plus d'autres choix que de retourner voir les gardes et de les distraire afin de s'assurer que leur regard ne se tourneraient pas vers Sofia, ce qu'il s'empressa alors de faire. Sa distraction fonctionna car aucun des gardes ne vit Sofia pénétrer à l'intérieur du Parlement.
Sofia se trouvait à présent dans le Palais de Westminster. Le lieu le plus important au monde ! Car c’était en son sein qu’étaient élues les lois régissant le gouvernement britannique. Et celui-ci ayant étendu son pouvoir sur plus du quart du globe, son impact était des plus capitales pour l’avenir de centaines de millions de personnes.
Au rythme d’une cadence effrénée et d’une respiration hachée, Sofia traversa les innombrables grandes pièces du palais, tapissées de peintures murales représentatives d’évènement historiques et d’ornements obséquieux, ses pas empressés se répercutant en écho contre les parois des murs. Tout en continuant de courir, la pile de feuilles emprisonnée entre son torse et son coude, Sofia jeta des regards de tous les côtés afin de pouvoir apercevoir une horloge qui lui indiquerait l'heure qu'il était. Elle ignorait depuis combien de temps elle courait à en perdre haleine. Plus les secondes s'égrenaient, plus l'angoisse montait en elle. Etait-il déjà trop tard ? Gladstone était-il déjà rentré dans la Chambre des Lords et...Gladstone !
Il...Il était là !
Près d’un immense tableau aux bordures dorées et d’une table où trônait un vase remplie de roses rouges et noires se trouvait un grand homme vêtu d’une robe de parlementaire. C’était William Ewart Gladstone. Le chef des libéraux. Le Chancelier de l’Echiquier. L’ancien Premier ministre.
Sofia eut du mal à réaliser qu’elle se trouvait devant cet homme qui demeurait l’une des personnalités les plus emblématiques de Grande-Bretagne. C'était tout simplement invraisemblable. Mais elle n’avait pas le temps d’écumer son sentiment impressionné. Le temps pressait.
Tandis que Sofia se précipitait vers Gladstone, ce dernier se tourna vers elle, alerté par le bruit de pas.
-Euh…Bonjour Mr Gladstone…dit Sofia, complètement essoufflée et la gorge brûlante…c’est très long à…à vous expliquer. Lord Connors a connu un…un petit problème et n’a pas été en mesure…de se rendre à la Chambre aujourd’hui...Voici le discours… (elle marqua une pause de quelques secondes afin de retrouver légèrement son souffle) …voici le discours qu’il a rédigé à l’atten...à l'attention de la loi qui doit être votée aujourd’hui.
Gladstone resta interdit durant quelques secondes, observant le feuillet tendu par Sofia. Bien qu’il conservât un masque d’impavidité, le chef des libéraux était de toute évidence déconcerté par la situation. Puis il saisit le discours et le compulsa rapidement.Un brouhaha agité provenant de Chambre lui firent comprendre que tous les Lords devaient être présent.
-Je vois…, dit-il. Bien. Merci Mademoiselle.
Gladstone se dirigea ensuite vers une grande porte en bois massif, qui était sans doute celle de la Chambre des Lords.
Sofia poussa alors un immense soupir de soulagement qui lui donna l'impression d'extirper en dehors de son corps toute la pression, l'accablement et la panique qu'elle avait accumulé ces dernières heures. Elle posa ses mains croisés sur son torse et un sourire radieux vint éclaircir son visage luisante de sueur. Les larmes qui avaient coulé sur ses joues il y a encore quelques minutes n'étaient plus qu'un lointain souvenir. Seule un puissant sentiment d'allégresse vint maintenant l'envelopper toute entière. Ainsi qu'un sentiment de fierté.
Car oui, elle était si fière d'elle. Fière de ne pas avoir baissé les bras malgré que tout semblait lui indiquer qu'elle aurait du capituler. Fière d'avoir cru en elle et d'avoir écouté son coeur. Tous ces risques qu'elle avait pris aujourd'hui, c'était pour toutes les femmes. Et aussi pour sa mère. La loi allait peut-être enfin passer. C'était inesperé...
-Cette fois, c'est peut-être la bonne maman, murmura Sofia d'une voix empli d'émotion. Cette fois, le destin des femmes va peut-être enfin changer...
Mais alors que Sofia continuait d'écumer son soulagement et de retrouver son souffle, elle entendit une agitation provenir de la Chambre des Lords. On entendait des dizaines de pas paniqués se presser à l’intérieur. Quelques secondes plus tard, la grande porte s’ouvrit avec fracas et un vacarme assourdissant emplit alors le couloir, renvoyant un écho bruyant contre les murs.
"Vite, je dois me cacher !" pensa Sofia "Les autres parlementaires ne doivent pas me voir ! "
Elle se dissimula alors vers la première cachette qu'elle put aperçevoir, à savoir derrière la statue en marbre du roi George IV. Elle entendit des pas empressés résonner de plus en plus fort. Elle aperçut alors une nuée de robes noires virevoltantes en tous sens envahir les couloirs et se diriger en direction de la sortie. C’étaient bien les Lords de la Chambre.
-Vite ! Vite ! Poussez-vous !
-Allez, dépêchez-vous !
Ils couraient, se bousculaient au travers une allure affolée. Ils étaient submergés par la panique. L'un d'entre eux renversa même le pot de fleurs qui se brisa avec fracas sur le sol, répandant sur le tapis des roses rouges et une rose noire.
-Messieurs, veuillez garder votre calme s’il vous plaît ! résonna une voix dans l’océan d’agitation.
-Garder notre calme ! Après ce qui vient d’arriver à Nimbert ! Il en a de bonnes lui !
-Laissez-moi passer ! clama un autre Lord.
-Que se passe-t-il ? demanda Gladstone, qui s’était reculé contre le mur afin d’éviter de se faire piétiner dans la cohue.
-Lord Nimbert est mort ! Il s’est effondré au sol. Il avait une flèchette plantée dans le cou. Certainement une flèche empoisonnée ! Le meurtrier n’était pas dans la pièce, ce qui signifie forcément qu’il est dissimulé quelque part ! Nous devons tous sortir du Parlement avant qu’il ne tue encore !
Gladstone se joignit alors à la foule paniquée, en conservant toutefois beaucoup plus de tenue que ses prédécesseurs. Tandis que le sol tremblait toujours sous l’effet de l’agitation fébrile, Sofia était en pleine réflexion. Lord Nimbert ? Ce nom lui disait quelque chose...Où l'avait-elle entendu déjà ?
Puis elle se souvint. Il s'agissait du Lord qu'elle avait vu en compagnie de lady Belling sur le quai de la gare il y a plusieurs jours ainsi que celui qui avait, avec un air hautain, dépassé tout le monde au Stand de la Générosité. Ainsi, il avait été tué par une fléchette empoisonnée. Mais...Mais qui donc avait bien pu faire ça ? Et pourquoi ?
"Il vaut mieux que je sorte d'ici le plus vite possible" pensa Sofia qui commençait à paniquer. "Sinon je risque moi aussi de tomber sur ce meurtrier"
Sofia émergea alors de la statue et suivit le long couloir que les Lords venaient d’emprunter. Tout en longeant ce couloir, Sofia ne cessait de tourner la tête de gauche à droit à chaque fois qu’un corridor adjacent se présentait à elle, afin de s’assurer qu’elle ne tomberait pas sur une personne s’apprêtant à leur envoyer une fléchette empoisonnée.
Mais alors qu’elle continuait de courir toujours tout droit, Sofia aperçu une fine silhouette encapuchonnée se tenir au milieu d’un couloir adjacent. Elle s’arrêta brusquement.
La silhouette était vêtue d’une robe jaune, portait un manteau en cape où une touche marron conférée par un médaillon se démarquait au niveau du torse et une capuche couvrît jusqu’au raz de ses yeux. Sofia parvint à distinguer suffisamment son visage pour deviner qu’il s’agissait d’une femme, dont les mèches châtains ondulés s’échappaient de la capuche pour retomber sur ses épaules. Dans sa main à la peau métisse, la silhouette tenait un long bâton.
Une sarbacane.
Depuis plusieurs chapitres, on ressent que les événements s'enchaînent de manière plus rapide, avec beaucoup plus d'action, ce qui ne me déplaît pas du tout. J'avais parfois ressenti une certaine frustration dans ce type de récit où l'action n'est pas toujours la priorité, mais cette accélération attise ma curiosité et me donne envie de continuer à lire, ne serait-ce que pour en découvrir un peu plus.
La tension monte à mesure que Sofia prend des risques de plus en plus grands, et on ne peut s'empêcher de se demander si cela ne va pas se retourner contre elle. Vu qu'elle se trouve encore sur place, alors qu'elle n'était pas censée y être, il ne serait pas surprenant qu'elle soit considérée comme coupable de l'attaque. Je suis vraiment curieux de voir comment les choses vont évoluer dans une prochaine session de lecture."
Merci beaucoup pour ton commentaire !! 😍😍
C'est vrai que j'avais un peu peur d'ennuyer les gens car l'action de mon roman met pas mal de temps à démarrer, étant donné qu'il me faut poser un peu les bases du récit (l'introduction des protagonistes, des enjeux, des sous-intrigues...). Et je m'étais dit qu'une fois ces bases installées, je pourrais enfin distiller l'action de manière plus régulière.
Je te remercie beaucoup d'avoir poursuivi ta lecture malgré le fait que le récit mette du temps à démarrer💖💖💖
Surtout qu'en plus je sais que ce n'est pas le genre que tu préfères, ce qui me touche encore plus 🥰
Héhé c'est vrai que les actions de Sofia ont matière à la mettre dans de beaux draps ! Du coup elle risque en effet d'avoir de sérieux problèmes, encore plus si elle continues sur cette lancée