Le Moine aux Yeux Avides

Notes de l’auteur : Dans cette partie, nous allons rencontré le moine Aurélius. Mentor de Caldar et guide, il s'est isolé du monde pour mieux le servir et le comprendre. Aujourd'hui, les évènements qui se présentent vont réunir Ser Caldar et Aurélius. Mais pourquoi ?
Nous ferons aussi la connaissance de Garric. Qui est-il ? Quel sera son rôle ?

 

La pluie avait cessé. Le ciel, toujours couvert, pesait comme un linceul de plomb sur les collines détrempées. La route n’était plus qu’un ruban de glaise brune, serpentant entre des champs abandonnés. Des haies mortes, des arbres flétris, des silos effondrés. Rien ne vivait plus ici, si ce n’est la rumeur des choses oubliées.

Caldar marchait encore, son fidèle cheval Frison à ses côtés.

Ses bottes éclaboussaient la boue, ses jambes étaient fatiguées, mais son pas restait déterminé. La douleur était devenue un vieux compagnon. La faim, une amante capricieuse. Il avait vu trop de morts, trop de villages en ruine, trop d'enfants aux orbites vides et de bras pendants comme des pantins sans croix.

Au détour d’un chemin, une sente étroite entre deux murs de pierres moussues menait à une chapelle, le Monastère Beorgstān.

Il était là, dressé sur une colline chauve, comme un doigt d’os pointé vers le ciel maudit. Les vitraux étaient brisés, les cloches arrachées. Une croix de bois noir, rongée par les vers, penchait sur le côté. Mais de la lumière filtrait à travers les fentes des volets, une lueur rougeâtre, tremblante, presque animale.

Ser Caldar s’approcha.

Un homme l’attendait, assis sur les marches. Un moine, maigre comme un corbeau, la robe en loques, les mains croisées sur un grimoire de cuir noué par des chaînes. Son visage était recouvert d’un capuchon grossier, et deux yeux usés dévoraient les manuscrits comme des rats la chair putride. Des filets de sang séché coulaient de ses paupières déchirées.

— Tu es en retard, chevalier, dit-il d'une voix creuse.

Ser Caldar plissa les yeux.

— Je ne te connais pas, fou.

— Non, mais moi je te connais.

 

Le moine se retourna et fit face à Caldar.

—Frère Aurélius !  Mon ami !

 Dit, surpris, Caldar en le serrant délicatement dans ses bras.

—C’est donc toi qui m’avait envoyé ce Corbeau et ce message :

— "Viens ! La Chapelle, Beorgstān. Quand il le faudra ! "

—Parle vieux fou ! Pourquoi m’avoir fait venir ?

Aurelius leva une main parcheminée et pointa vers l’horizon.

— Ils sont là. Dans les collines. Les autres. Ceux de métal. Les premiers. Les anciens.

— Tu les as vus ?

— Je les entends. Je les rêve. Ils sont dans les sols. Ils creusent. Ils boivent la chaleur des vivants ! Et la Fille !

Il éclata d’un rire sec et délirant, puis recouvrit sa bouche de sa manche souillée.

— Ils cherchent ! Quelqu’un qui pourra faire vivre la Vie en eux.. Ils ne veulent plus ramper. Ils veulent marcher.

— Tu dis n’importe quoi, souffla Ser Caldar, mais sa voix tremblait.

— Alors va vers le Nord. Suis la rivière morte. Trouve la fille. La bâtarde. Elle est la clef.

— Quelle fille ?

— Celle qui n’aurait pas dû naître. Celle que les machines craignent et vénèrent pour ce qu’Elle porte. L’enfant de l’ombre et du sang et de l’espoir.

Puis, le moine se leva, titubant vers la porte de la chapelle. Il l’ouvrit… et un hurlement mécanique s’échappa de l’intérieur. Des cris d’enfants. Des chants inversés. Des râles d’acier vivant. Une hallucination ?

Il entra. La porte se referma lentement.

Puis, dans un fracas de bois brisé, la chapelle explosa dans un cri de métal et de feu. Une lumière écarlate jaillit, traversant les nuages. Et des silhouettes, indistinctes, rampèrent hors des flammes.

Ser Caldar fut assommé par la lumière et le bruit des âmes.

Lorsqu’il reprit conscience, il se réveilla seul dans un champ humide, le ciel gris au-dessus de lui. Son cœur battait encore trop fort.

Il se demanda alors si tout cela s’était bien passé, ou s’il n’avait été que le spectateur d’un rêve... ou d’un cauchemar.

La nuit tomba sur Ser Caldar comme un manteau de plomb.

Le champ où il avait repris conscience s’étendait, vaste et froid, recouvert d’une herbe humide qui collait à ses bottes. Il s’assit un instant, reprenant son souffle, ses doigts tremblants serrant la garde de son épée. La douleur dans son flanc lui rappelait que la réalité n’avait rien d’un rêve.

Frison, son vieux destrier noir à la robe terne, piaffa nerveusement à ses côtés. Les naseaux dilatés, il soufflait des volutes blanches dans l’air glacé. Ses oreilles pivotaient à chaque bruissement, chaque craquement venant de la forêt voisine. Frison ne voulait pas s’approcher plus près du bois dense, son regard inquiet fixé sur l’ombre mouvante des arbres.

Il n’osa pas tourner le regard vers la forêt dense qui bordait la plaine. Cette masse noire semblait vivante, murmurante, comme un gouffre avide de proies.

Personne ne s’aventurait là-dedans la nuit.

Les histoires couraient dans les tavernes, les anciens chuchotaient à voix basse : la forêt était hantée, peuplée d’ombres et de créatures oubliées, d’yeux rouges morts qui suivaient chaque pas. Caldar, pourtant, sentait ce regard.

Dans le voile des feuillages, il croyait apercevoir des éclats vermillons, scintillants comme des braises, figés entre les branches. Chaque fois qu’il fixait ces lueurs, elles disparaissaient aussitôt, laissant derrière elles un silence glacé.

Frison se raidit soudain, hennissant faiblement, reculant d’un pas. Il secoua la tête, agité, ses sabots frappant la terre dans un petit tambourin nerveux.

Un corbeau croassa, son cri déchirant la nuit épaisse. Puis un autre. Et un autre encore.

Les bêtes nocturnes s’éveillaient, leurs ombres s’étirant dans la pénombre, mêlées aux soupirs du vent.

Le cœur battant, Ser Caldar serra son épée. Il avança lentement, longeant le bord de la forêt , prudent.

Le poids de la nuit l’enveloppait, un poids sourd et oppressant, chargé de secrets trop lourds à porter.

Mais soudain, à travers la brume qui s’épaississait, il distingua une fumée pâle, montant en volutes fragiles vers le ciel noir.

Des lueurs vacillantes dansaient plus loin, comme des étoiles basses.

Frison se tendit à nouveau, ses naseaux frémissants captant l’odeur du feu et du bois brûlé. Il piaffa, prêt à s’élancer, mais Caldar le retint d’une main ferme.

Caldar redressa la tête.

Une silhouette se dessinait à l’horizon : un bourg misérable, un amas de toits penchés, de cheminées crachant des volutes de feu et de cendres.

Un refuge, peut-être. Ou un piège.

Il serra les dents, caressa le cou de Frison, se remit en marche.

 

Le village se dressait à peine sur la lisière de la forêt, un amas de toits penchés et de murs branlants faits de terre et de paille jaunie. L’air était chargé d’une odeur âcre, mélange de fumier, de chair en décomposition et de cendres froides. Chaque pas de Frison soulevait des éclaboussures de boue froide, mêlée aux miasmes de la peste qui rongeait la contrée.

Les rues étaient étroites, serpentant entre des maisons si proches qu’elles semblaient s’appuyer l’une contre l’autre pour ne pas s’effondrer. Les fenêtres béaient comme des orbites vides, et les volets claquaient au vent, grinçant des plaintes lugubres.

Des silhouettes hâves, aux visages émaciés et aux yeux creux, se glissaient dans l’ombre des maisons. Des enfants blafards, maigres comme des rats, se traînaient sans force, chuchotant des prières brisées. Les anciens, le dos voûté, murmuraient des malédictions dans une langue oubliée, tandis que les femmes portaient des voiles déchirés, tentant d’éloigner les fantômes.

Dans cette ambiance de mort rampante, Caldar sentit son cœur se serrer.

Il passa devant une fosse commune à ciel ouvert, où des cadavres à demi dévorés par les rats jonchaient déjà la terre craquelée. Une lourde odeur de putréfaction flottait dans l’air.

Au centre du village, une petite auberge émergeait, bâtie de bois noirci par le temps et coiffée d’un toit de chaume percé. De l’intérieur s’échappaient des éclats de voix rauques, des rires grossiers, et une musique maladroite jouée sur un vieux luth.

Poussant la porte, Caldar entra.

L’air y était épais, saturé d’alcool rance, de sueur et de désespoir.

Des hommes aux traits durs, au regard vide et aux mains calleuses, se tenaient accoudés au comptoir. Des filles trop jeunes, aux yeux hagards et aux lèvres gercées, tournoyaient maladroitement entre les tables, offrant leur corps pour quelques pièces ou un souffle d’oubli.

Le brouhaha contrastait étrangement avec le silence mortuaire du village.

Le patron, un homme à la barbe sale et aux dents pourries, jeta un regard suspicieux à Caldar.

— Qu’est-ce qu’un étranger vient faire ici ? grogna-t-il.

Caldar répondit d’une voix basse, la fatigue dans chaque syllabe.

— Je cherche un refuge. Juste un abri pour la nuit.

Autour de lui, les conversations s’éteignirent un instant, les regards se tournèrent, lourds de suspicion et de rancune.

Un silence pesant s’installa, troublé seulement par le grincement d’une chaise déplacée.

Au fond de la salle, une silhouette s’éloigna des ombres et s’approcha de Caldar d’un pas assuré, presque félin. C’était un homme grand, sec, au visage marqué par la vie rude des chemins. Ses yeux d’un gris perçant brillaient d’une lueur rusée, il portait à sa ceinture, un fouet en acier et une épée courte de très bonne facture.

Garric Krholm, voyageur des nuits et chapardeur aguerri, avait repéré la fatigue et la solitude du chevalier. Il s’était faufilé silencieusement, prêt à délester l’étranger de ses quelques biens.

Avant que Ser Caldar ne puisse réagir, Garric tenta de lui glisser la main vers la bourse accrochée à sa ceinture.

Mais Ser Caldar, alerte malgré tout, attrapa brusquement le poignet de l’homme.

— Pas si vite, grogna-t-il, ses yeux sombres fixant ceux de Garric.

Une tension électrique emplit l’air.

Sans un mot de plus, Garric dégaina un petit poignard, mais Ser Caldar, plus lourd et puissant, le repoussa violemment. La bagarre éclata, brutale et rapide, mêlant coups secs et esquives précises.

Des chaises éclatèrent sous le poids de la lutte, des tables se renversèrent dans un fracas de corps projetés et de coup portés avec la violence de la nuit.

Finalement, Ser Caldar immobilisa Garric au sol, le regard dur, le souffle haletant.

Il le domina d’un geste ferme, la lame de son épée effleurant la gorge de son adversaire à terre.

Garric grimaça en se tenant les côtes 
— Tu frappes comme un forgeron enragé… mais t’épargnes comme un moine. Faut savoir, chevalier.

Ser Caldar essayait de se calmer tout en essuyant sa lame . Il ne répondit pas directement et puis à mots soigneusement choisis, il lui dit :
— T’es pas un homme bon. Mais t’as survécu à des choses que je ne peux qu’imaginer. Et  je suis certain que tu connais les chemins mieux que personne. Puisque tu n’es pas un chevalier ni un artisan, tu dois gagner ta soupe d’une autre façon. De ces façons qui te font courir vite et longer les murs quand les sergents du Duc ou le bourreau sont dans les parages ! Parfois… la fuite mène en des lieux inexplorés.

Garric crachat un caillot de sang et se mit à ricaner.
— Tu veux que je te guide dans la boue, c’est ça ? Tu crois que j’ai envie de jouer au guide pour un homme en haillons qui croit encore à l’honneur ?

— Non. Je crois que t’en as marre d’attendre la mort à chaque malheureux que tu détrousse ou chaque chaumière que tu visite. Tu sais des choses. Tu vois des choses, tu entends des choses que ni je sais, ni j’entends, ni je vois. Sur les ombres qui bougent là où plus rien ne vit. Tu sauras m'être utile. Plus utile que mort dans ton sang !

Garric haussa un sourcil, soudain un peu plus sérieux.
— Tu parles des marais et des bois au nord de la rivière Morte ?

 
— Oui. On dit qu’un souffle ancien y rôde.. Des voyageurs ont disparu. D’autres sont revenus avec des histoires farfelues . Et quelque chose en moi me dit que là-bas, il y a un fragment de vérité. On  devra chercher une fille. Elle serait une réponse à de nombreuses questions.

Garric dans un long silence regarda les flammes. et se tourna vers Ser Caldar..
— Tu cours après des fantômes, chevalier. Des histoires que les vieux radotent entre deux fièvres.


— Peut-être. Mais si ces histoires sont vraies, je dois les suivre. Et seul, je ne franchirai pas deux lieues dans ces contrées.


— Et pourquoi moi ? Pourquoi pas un autre chien galeux de ce foutu bourg ?

Ser Caldar s’approcha et à voix basse lui adressa ces mots :
— Parce que t’as quelque chose que je perçois. Quelque chose que tu ignore et je veux être là quand tu le verras aussi.

Garric hésita puis détourna les yeux, troublé par cette confiance alors injustifiée.
— Si je viens avec toi, c’est pas pour ta foutue cause. Qu’est-ce que tu crois ? C’est pour moi. Car j’imagine que je serai toujours mieux partout ailleurs que dans ce cloaque dégueulasse et parce que crever là-bas sera moins pathétique que mourir ici d’une mauvaise bière ou d’une chiasse matinale.


— Alors ça me suffit. Dit Ser Caldar qui n'était pas vraiment dupe.


— T’as un plan ?


— Non. Juste une direction répondit Ser Caldar en tendant une main ferme à Garric pour le relever.

— Ça me va. Je suis Garric Krholm et toi ?

— Impatient et colérique ! Lui dit Ser Caldar avec un petit sourire en coin.

 

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Talharr
Posté le 25/07/2025
Re,
Chapitre sur la lancée du précédent. le style est vraiment chouette et sombre.
La rencontre avec Aurélius est très mystique et pour l'instant je suis perdu dans ce qu'il dit (normal) aha
Sinon le passage avec Garric était vraiment sympa même s'il accepte vite, ce qui pourrait se comprendre dans la suite :)
On dirait Geralt qui va cherche Ciri aha

Quelques retours :
"Frère Aurélius ! Mon ami !

Dit, surpris, Caldar en le serrant délicatement dans ses bras.

⦁ C’est donc toi qui m’avait envoyer ce Corbeau et ce message :
⦁ Viens ! La Chapelle, Beorgstān. Quand il le faudra ! » -- Je pense que c'est une errur sur plume d'argent ;)

Pareil ici "Parle vieux fou ! Pourquoi m’avoir fait venir ?" il manque le tiret devant.

"L’enfant de l’ombre et du sang et de l’espoir" -- j'aurais mis "enfant de l'ombre, du sang et de l'espoir".

Voilà à la suite :)
Brutus Valnuit
Posté le 25/07/2025

Merci pour le super commentaire !!
Je vais travailler le passage avec Garric qui c'est vrai, maintenant que vous le dites, prend sa décision bien trop rapidement.
Je ne comprends pas ce que vous voulez dire avec le commentaire ci-dessous :
⦁ Viens ! La Chapelle, Beorgstān. Quand il le faudra ! » -- Je pense que c'est une errur sur plume d'argent ;)
Talharr
Posté le 25/07/2025
😁 pas de soucis.
Pour le commentaire cité c'est vraiment juste la mise en page sur plume d'argent je pense. Enfait le dit-il est en dessous de sa phrase et les phrases me semble un peu éloigné. Mais je vois que ça a été corrigé aha
Brutus Valnuit
Posté le 25/07/2025
Merci pour les bonnes infos !
J'ai modifié quelques passages et j'ai ajouté un long dialogue entre les deux hommes.
Je pense qu'il est maintenant plus crédible que Garric suive Ser Caldar.
C'est ma toute première tentative d'écriture, je tâtonne encore.
Talharr
Posté le 25/07/2025
L'ajout est parfait. Il ajoute exactement ce qu'il manquait je trouve. On a la voix de Garric, qui hésite et pose des questions, tout ce qu'il fallait. Et la petite touche de Ser Caldar a la fin est pas mal aussi aha

On est dans le même cas alors aha mais on est là pour ça 😁
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