La pluie battait les pierres noircies du vieux chemin royal, creusant des flaques dans la glaise rougeâtre, comme si la terre elle-même pissait le sang. Le vent hurlait entre les branches décharnées d’un bois mort, fouettant les feuillages pourrissants comme un bourreau ivre. Le ciel, bas et huileux, n'était qu'une suie en suspension, lourde et muette.
Au milieu de ce décor oublié des dieux marchait un homme seul.
Sa silhouette massive fendait la brume avec une lenteur de statue. À chaque pas, ses bottes s’enfonçaient dans la boue comme dans des tombes molles. Son armure n’était qu’une ruine sur son dos : fer terni, cabossé, craquelé par les années et les coups. Sa cape en cuir noir, détrempée, collait à lui comme une peau de bête morte.
Il s’appelait Ser Caldar.
Autrefois banni, puis repêché par les ducs de l’Est pour guerroyer contre les Saxons. La guerre fut longue. Trop longue. Une décennie de tranchées puantes, de collines souillées de cadavres et de villages noyés dans la cendre. Et pour quoi ? Ni victoire, ni royaume. Juste la rouille. La fièvre. Le silence.
Maintenant, il revenait. Comme un fantôme revenu hanter une terre qui ne voulait plus de lui.
La pluie redoubla. Il plissa les yeux, avançant dans le bruit épais de l’eau et du vent.
Soudain, un son étrange se glissa entre les branches.
Cliquetis. Crissements.
Pas d’homme. Pas de bête non plus.
Il s’arrêta. D’instinct, sa main se posa sur la garde de son épée, « Rüwa » la magnifique !
Il n’y avait rien. Juste les arbres, tordus, suintants. Juste la pluie, les feuilles, les fumerolles du sol humide.
Mais quelque chose bougeait.
Et puis il le vit.
Ou pensa le voir.
Dans l’ombre des troncs, se dressait une silhouette immense, presque humaine, mais haute de plus de deux mètres .
Un colosse d’acier, revêtu d’une armure lourde, usée par les siècles, noire, aux plaques épaisses et anguleuses, comme forgées dans un métal d’un autre âge.
Sa stature évoquait celle d’un chevalier croisé, figé dans un cauchemar d’acier.
À la place du visage, une plaque lisse et aveugle, creusée de deux fentes étroites d’où jaillissaient deux lueurs froides, rouges comme des braises mourantes.
Le silence pesait. Puis Ser Caldar dégaîna son épée, le cœur battant.
Un cri rauque fendit l’air. Il frappa sans réfléchir. Le choc du métal contre métal fit jaillir des étincelles.
L’énorme forme recula lentement, puis, d’un bond sec, disparut dans les arbres, fondant dans l’ombre avec une rapidité effrayante.
Ser Caldar resta figé, haletant, le doute noué à la gorge.
Avait-il vraiment vu cet homme d’acier ? Ou n’était-ce qu’un mirage né de ses peurs ?
Il scruta la forêt. Rien. Aucune trace. Pas une empreinte. Pas une tache d’huile. Même les branches n’étaient pas brisées.
Il resta là, longtemps. À écouter. À douter.
Puis, il rengaina lentement.
— Peut-être… rien du tout, murmura-t-il. Peut-être juste… un souvenir.
Il se remit en marche, les yeux dans le vide, traînant son épée derrière lui comme une croix.
Dans son dos, un arbre saigna d’un mince filet noir.
Ce n’est que bien des années après qu’il se rappellera sa première rencontre avec ce qui sera plus tard décrit comme « Un des Trois Derniers Gardiens »
Intéressant. Voici donc le personnage principal.
Bonne présentation on le visualise bien.
Pour le monde également avec une guerre qui dure.
Puis "un des trois derniers gardiens". Intriguant. A voir la suite :)
une petite proposition : "Même les branches n’étaient pas brisées." -- j'ai juste trouvé la formule peut-être étrange à lire. peut-être "Même les branches semblaient intactes". Mais c'est comme tu le souhaites aha
A plus :)