Dans un petit village appelé Basse-Cour,
Un grand oiseau d’azur aimait se pavaner.
Du matin jusqu’au soir on pouvait le croiser,
Le voir se déhancher, faire des tours et détours.
C’est qu’il aimait à plaire, n’était bien qu’étant vu,
Et tout était bien, car on aimait à le voir.
Il était ravissant, aussi beau que le soir
- Ou peut-être le jour, on ne l’a jamais su – ,
On l’admirait de loin, bref, vous l’aurez compris,
Il était fort connu dans tout le quartier.
Souvent on demandait au Vieux de raconter
L’histoire qui disait comment vint à la vie
Celui que sa mère avait appelé Paon.
Et le Vieux racontait que cette dernière,
Bien que née de dindons, avait aussi un air
D’une grande bécasse. « Il faut, assurément,
Avoir l’esprit naïf pour aller, tard le soir,
Vadrouiller toute seule, très loin de Poulailler,
- Ainsi que l’on appelle le bouge où elle est née –
À la merci des loups. Sans parler de Renard,
Ce vil individu rôdant toujours par là,
Cherchant quelque poulette à croquer en passant. »
Mais la dindonne, bravache, était sortie pourtant,
Refusant d’avoir peur, et ne le croisa pas.
Mais un autre danger, bien plus grand, la guettait.
Car ce soir-là, le ciel, traversé d’éclats d’or,
Jeta contre la terre l’un de ses mauvais sorts,
Et elle n’eut pas le temps d’énoncer un souhait.
Déjà le feu brûlant et la roche éclatée
Sont tombés sur son bec et l’ont anéantie.
« En tout cas, dit le Vieux, c’est ce qu’on aurait dit.
Deux foutus miracles, alors, sont arrivés. »
D’abord on la revit, à peine grésillante,
Une fois la fumée noire dissipée dans les airs.
Nul ne comprit jamais à quelle fin l’univers
Décida de laisser la volaille vivante.
Mais à coup sûr cela était lié à l’autre,
Au second miracle dont nous avons parlé.
Vous me voyez venir : c’est bien sûr l’arrivée
De notre bel héros, demi-dieu, apôtre.
Le dindon rescapé, au bout de quelques jours
- Entre vingt-huit et trente, si ça vous intéresse –
Se sentant ballonné, vit une doctoresse
Qui la soulagea d’un œuf déjà très lourd.
Et ainsi vint au monde Paon, dit le Magnifique,
À qui sa mère, fière, racontait chaque soir,
Telle que je vous l’ai dite, cette bien belle histoire
Qui le fit, peut-être, quelque peu narcissique.
Il était flamboyant, et ne l’ignorait pas.
Ses plumes étaient si belles, et brillaient au soleil ;
Du plus bel indigo, de l’aigrette aux orteils.
Sa longue queue traînante, en voile délicat,
Suivait son pas tranquille – il marchait lentement,
Afin que tout le monde profite de sa grâce,
Et pour que son public le suive à la trace.
Subjugués, fascinés par cet enchantement,
Tous admiraient, émus, ses couleurs et reflets,
Port de roi et robe de dentelle brodée.
Il semblait être un songe qu’on ferait éveillé ;
Le voir chauffait le cœur, pour cela on l’aimait.
Aussi beau qu’ambitieux, Paon se voyait très haut,
Et souvent se prenait à rêver d’or, d’argent,
De soieries, d’émeraudes, de bijoux scintillants,
D’habits chics ; enfin bref : de la vie de château.
Et justement, un jour, le destin facétieux,
Frappa un équipage qui passait près de là,
Allant à Haute-Cour, qui soudain valdingua,
Cul par-dessus tête, à cause d’un essieu,
Usé, mal boulonné, rongé ou vermoulu ;
En tout cas la charrette, vautrée sur le chemin,
Enfanta deux valets, hagards et orphelins,
Qu’on extirpa de là, tout sales et courbatus.
Et en se relevant, les laquais aperçurent,
En retrait de la foule, regardant à distance,
L’oiseau prodigieux qui, fendant l’assistance,
S’approcha quand il vit un drapeau à dorure.
Il avait reconnu l’emblème de la reine.
Montrant ses jambes fines et son cou gracieux,
Le ciel étoilé de son corps soyeux,
Il soigna son entrée, comme un taureau d’arène.
Et pour parfaire le tout, le clou du spectacle :
Lorsque chaque regard fut bien braqué sur lui,
Il déploya sa roue, atour d’oiseau de nuit.
Dévoilant les figures, les motifs de pentacle,
Ses grands filets de plumes, gigantesque éventail,
Parsemés de bourgeons ; cent regards grands ouverts,
Fixant la vaste foule en passant à travers,
Couronne tissée d’or, de perles et d’opales.
Les gardes, en la voyant, ouvrent de grands yeux.
Ils regardent approcher ce prince des volailles,
L’empereur des poulets, l’oiseau fils d’une étoile,
Et n’en reviennent pas de se voir si chanceux.
Ils songent l’un et l’autre que c’est là belle aubaine,
Un hasard à saisir pour toucher le jackpot :
De laquais ils pourraient passer cireurs de bottes.
Et pour ne surtout pas laisser passer leur veine,
Le premier s’avance, et ainsi parle à Paon :
« Vous êtes si beau, sire, que j’en reste sans voix.
Vraiment, je vous le dis, vous pourriez être roi
- De Basse-Cour, du moins – ; un grand parmi les grands. »
Et le second poursuit : « Et comment ! Pour ma part,
Je vous vois en baron, en grand seigneur de guerre,
Peut-être en courtisan, en seul dépositaire
Des secrets de la Dame. ». Alors, l’autre lascar,
N’y tenant plus, s’écrit : « C’est tout à fait cela !
Vous seriez l’ami, le confident sans peur ;
Vous seriez l’oreille à portée de son cœur,
Comme un feu amical au creux de l’estomac. »
Écoutant leurs éloges, Paon se met à rêver.
Ainsi donc vient son heure, la gloire à bras ouverts,
Le faste qu’il mérite, recouvrant les champs verts.
Et sans s’en retourner, il quitte Poulailler.
Les laquais, obligeants, lui offrent un coussin,
Et sitôt leur charrette passée par l’atelier
Des deux frères Faisants, artisans du quartier,
Ils fouettent cocher, et s’en vont au loin.
C’est une longue route, de Basse à Haute-Cour,
Et qui monte sans cesse en terre accidentée ;
Partout des bouts de roche, qui se sont écrasés.
Mais devant eux, lointaines, de gigantesques tours,
Surmontées de drapeaux aux emblèmes royaux.
Paon en tremble de joie : le voilà au Palais.
Leur chariot s’avance sur des routes de grès,
Si larges qu’autour d’eux vont mille autres tacots.
Ils passent sous une arche qui crève les nuages,
Et de l’autre côté, la foule est un seul corps,
Si dense qu’il s’étend, sans rompre son accord ;
Elle danse dans un sens, puis dans l’autre, rouage
Huilé par les besognes des uns et des autres.
Des maçons agités bichonnent les remparts,
Des marchands s’époumonent depuis leur présentoir,
Des gamins courent et crient, et quelques uns se vautrent.
Dans un coin de la place, un groupe s’est formé
Autour d’un haut panneau et d’une grande affiche.
« Abrogation, dit-elle, du port de la barbiche,
Usage, désormais, au roi seul réservé. »
Le chariot s’arrête et les laquais descendent
Pour tenir sa porte, avec une courbette,
À un Paon ébahi qui quitte sa couchette
Et emplit ses poumons d’une odeur de lavande,
Regardant en tout sens, soucieux de tout voir.
Il voudrait s’attarder, noter chaque détail ;
Les visages, les habits, et toute la pagaille,
Les rires et les cris de ce peuple bavard.
Mais déjà on l’entraîne à l’écart de la foule.
« Venez, dit-un valet de son air important.
Nous allons vous mener à vos appartements. »
Ils le poussent devant, et ils croisent des poules
Picorant des miettes qu’on a oubliées là,
En grattant les pavés de la route piétonne.
Ils passent tout près d’elles, et alors Paon s’étonne,
Car les poules, affairées, ne le regardent pas.
On le mène tout droit vers des piquets plantés,
Alignés dans le sol, et Paon, un peu nigaud,
Va, car à Poulailler il n’y a pas d’enclos.
Il entre donc, l’éphèbe, et reste bouche-bée,
Car tout autour lui, partout tout à la ronde,
De grands oiseaux d’azur, scintillants d’émeraudes ;
Et Paon les regarde de sa mine penaude.
Il ne savait pas les étoiles si fécondes.
« Vous serez bien ici, en attendant la suite,
Lui dit l’un des valets. Nous reviendrons bientôt. »
Et ils s’en vont tous deux, en refermant l’enclos.
Paon regarde alentour : aucun espoir de fuite.
Et plus rien ne se passe. Les autres oiseaux bleus,
A peu près immobiles, sont comme cent statues.
Ils frémissent à peine, et leurs beaux yeux vaincus
Ne regardent plus rien ; tout à fait silencieux,
Ils ne remarquent pas le nouvel arrivant.
Paon se met dans un coin, soudain intimidé,
Ne bouge plus non plus, et n’ose pas parler.
Les heures et le jour passent, et lui, de temps en temps,
Lève les yeux au ciel, vers toutes les étoiles,
Et regrette en silence, en regardant Orion,
De tenir davantage de sa mère le dindon :
Il ne peut voler bien loin, ni mettre les voiles.
La nuit entière passe, et le matin aussi,
Avant que les valets réapparaissent enfin.
Paon, tout en s’ébrouant, s’avance et se retient
De blâmer leur accueil ; il veut être poli.
« Ça y est, voici l’heure de remplir votre tâche,
Dit-on aux oiseaux bleus. Venez donc avec nous.
Vous allez rencontrer – tenez-vous bien, surtout ! -
La plus belle de toutes, grande reine Panache.
Aussitôt Paon se dresse, le torse bien bombé.
Il sent renaître en lui un espoir qui l’inonde.
Enfin il va pouvoir prouver à tout le monde
Qu’il est là à sa place, a bien fait de quitter
Sa mère et sa maison, tout ce qu’il connaissait,
Pour exaucer son rêve : vivre de sa splendeur.
Il s’avance, dandinant, droit vers ses deux sauveurs,
Et réalise, frustré, qu’en fait les deux valets
Les ont tous appelés, les fils et filles d’étoiles.
Et tous s’avancent aussi, en file résignée,
Et lui passent devant, leurs têtes bleues baissées.
C’est ainsi qu’on les mène vers une vaste salle.
C’est soir de grande fête, aujourd’hui au Palais.
On attend tous, fébriles, de voir à Haute-Cour
Des gens prestigieux dans leurs plus beaux atours.
Coiffeurs et gouvernantes, serveurs et cuisiniers,
Tout le monde s’agite, court, crie, râle et se presse,
Les cheveux se défont et les têtes bourdonnent.
Dans la salle de bal, l’atmosphère détonne.
On bavarde en riant, les esprits en liesse.
Sur les tables garnies, des plats d’or et d’argent,
Et à l’intérieur, des mets de toutes sortes :
Vins, soupes, patates en sauce, pain, poisson en cocotte,
Et volailles juteuses en accompagnement.
Soudain un grand silence. Dans le fond de la salle,
Deux portiers élégants font tourner sur leurs gonds
Les battants d’une porte aux poignées de laiton.
Les gorges sont nouées, les invités sont pâles,
Et la reine s’avance, la démarche charmante.
C’est une apparition, les mâchoires s’en décrochent.
Elle est belle, grandiose, et la flamme des torches,
Que tiennent les portiers, la font resplendissante.
Sa robe, de soie brodée, aux reflets bleus et verts,
Fait vaciller les têtes et monter les ardeurs.
Mais le plus merveilleux c’est, tout contre son cœur,
De grands bouquets de plumes, qui captent la lumière.
Pareil : je pense qu'une morale énoncée, et un peu décalée, pourrait être chouette, pour nous proposer un autre axe de lecture que ce qui est énoncé, par exemple ici de ne pas suivre des inconnus, ou de bien considérer l'amour de notre famille et de notre maison avant de choisir un grand départ vers l'inconnu — tandis que le texte se charge lui-même de nous parler de la vanité et de ses dangers.
Un plaisir