Les autres avaient-ils aussi entendu la voix venue du puits ? Sombrait-il dans la folie ? Le phénomène devenait-il aussi diurne ? Comment s’appelait ce genre de pathologie ? Certains n’ont pas le pied marin, peut-être que lui n’avait pas le pied breton, tout simplement !
Les questions se bousculaient, oppressantes … Lorsqu’il abandonna l’obscurité du puits comme pour reprendre une bouffée d’air pur, le vertige se dissipa un peu, mais pas son malaise. Personne ne semblait s’être aperçu de son état de confusion. Instinctivement, il ferma les yeux pour emplir ses narines du parfum de l’aubépine, ses oreilles du chant des oiseaux, et sa peau du doux frisson d’un léger souffle venu opportunément. Il n’avait jamais éprouvé une telle communion avec ces trois sens.
La voix de sa mère qui l’appelait, le contraignit à quitter ce nouveau monde de sensations, qu’il explorait à peine, mais dont il devinait la puissance et la plénitude qu’il pouvait procurer à celui qui le maîtrisait.
Lorsqu’il retrouva ses esprits, il croisa le regard d’Awena. Il crut y déceler une lueur d’amusement, comme si elle avait compris l’univers qu’il avait entrevu, le monde d’où il revenait. Cette femme constituait une véritable énigme. Pas certain que Champollion en personne eut réussi à la déchiffrer !
Les parents Petitbond s’apprêtaient à faire demi-tour, convaincus que la promenade avait atteint son paroxysme avec cette rencontre autant insolite qu’esthétique de chevaliers. Mais Awena ne l’entendait pas de cette oreille. La visite n’était pas terminée. Et, elle continua à s’enfoncer plus profondément au cœur du bois, repoussant avec vigueur du bout de sa canne, les branches qui s’opposaient à sa progression, esquivant habilement les obstacles .
« Elle tient la forme mémé ! constata Léonard. J’appelle pas ça une promenade, mais plutôt une rando ! » La bonne nouvelle, c’est qu’ils ne mangeraient peut-être pas à 18 heures pétantes pour une fois.
Des arbres immenses étiraient leurs branches vers le ciel. Leurs silhouettes parfois étranges troublaient les promeneurs. Enfin, après avoir suivi un parcours sinueux, ils comprirent qu’ils venaient de découvrir sans doute le bien le plus précieux du domaine. C’était un arbre, auquel aucune description ne saurait rendre justice, un arbre comme on en rencontre que dans les légendes, mais qui pourtant se trouvait bel et bien en sève et en racines devant eux. Plus qu’un arbre, un colosse, l’âme millénaire de cet endroit ! Un monument végétal, qui laissait sans voix ou presque.
« C’est sidérant ! » put quand même articuler Marie, visiblement émue par la découverte.
Sa circonférence, ses branches qui se perdaient dans les nuages, son tronc qui aurait pu abriter toute la famille, son âge, tout était hors normes.
En allant à sa rencontre, Merlin sentit une douce chaleur l’envahir. Il ne savait comment se l’expliquer, c’était comme s’il allait retrouver une vieille connaissance à la présence rassurante. Alors, il pressa le pas, impatient. Il ressemblait à un petit personnage aimanté. Et il vint enlacer la peau ridée du roi de la forêt. Il ne voulait pas l’embrasser, pas plus que caresser son écorce. Non, ce qu’il désirait par-dessus tout, c’était entendre son cœur. Battait-il encore après tant de siècles ?
Le petit garçon sentait bien que tout cela n’était pas rationnel, pourtant il ne pouvait résister à cette attraction. Il vint coller avec délicatesse son oreille contre le châtaignier séculaire. C’était comme s’il perçait différentes couches toujours plus dures, plus profondes. Il était un médecin au chevet d’un patient. Pourtant, le patient avait l’air en bonne forme. Le reste du groupe approchait, amusé par l’attitude de Merlin. Le pommeau de la canne d’Awena scintillait à présent, et ce n’était pas à cause d’un rayon de soleil frondeur, non c’était à cause d’autre chose. Pourtant, personne ne semblait s’apercevoir qu’il brillait plus intensément au fur à mesure qu’ils le rejoignaient. L’arbre, la canne… Etait-ce comme pour la voix du puits ?
Enfin, il l’entendit : lointain, mais régulier. Leurs pulsations s’accordèrent. Et Merlin n’eut plus de doutes, du moins sur l’instant : dans les entrailles de ce patriarche feuillu se trouvait une partie de la réponse. Une force, un écho, un souvenir. Peut-être les trois à la fois.
Soudain, une présence tout près. Un cri, celui de Marie.
Je suis comme Romanticgirl, j'ai adoré la phrase "certains n'ont pas le pied marin, peut-être que lui n'avait pas le pied breton, tout simplement !".
Un chapitre avec toujours une touche d'humour et de magnifiques description. Et ce suspense qui nous tient en haleine : mais pourquoi Marie crie-t-elle ? bon sang de bois !
Ben faut lire la suite :)
A bientôt
Merci pour ton commentaire enthousiaste. Ravie que les touches d'humour fassent mouche et que les descriptions te plaisent. J'ai beaucoup apprécié les tiennes également. A bientôt.
Ton commentaire me touche énormément. Merci à toi pour le temps que tu consacres à Merlin. De mon côté, j'ai aussi hâte de retrouver tes personnages et voir si la sorcière pointe le bout de son balai magique. :) A très bientôt.
À très bientôt
Tu rends très bien le malaise de Merlin en évoquant ses impressions et ses sensations. La description de la nature est très réussie, très vivante. Tu maintiens encore le suspense avec l'étrange pommeau et surtout le cri de la mère qui nous donne envie de tourner la page ! Une phrase qui m'a fait bien rire "Certains n’ont pas le pied marin, peut-être que lui n’avait pas le pied breton, tout simplement !" A bientôt !
Merci d'être toujours au rendez-vous chapitre après chapitre avec des commentaires encourageants et précis. Bonne inspiration pour la suite des aventures de Clarissa. A bientôt.
Ta plume se précise encore dans ce chapitre, mais l'humour est toujours présent et fait toujours du bien ! Une nouvelle page semble s'ouvrir pour Merlin, et on a hâte de savoir ce qu'elle cache !
Merci infiniment pour ton commentaire . J'ai beaucoup apprécié aussi l'évocation sensible de la nature dans ton conte. Nos personnages ont un lien particulier et privilégié avec les arbres. J'espère que la suite te plaira tout autant. A bientôt. Laure