Trois cartons ici, sept là-bas, comme un château, un rempart entre lui et sa douleur. Il les voyaient se déchirer depuis longtemps mais il s'était pourtant convaincu que c'était comme ça dans chaque famille. Partout les adultes criaient tous les soirs pour des raisons floues. Partout les enfants disparaissaient sous les cris, recouverts par la colère de leurs parents.
Il finit la tour gauche avec un nouveau cartons. Ici il était totalement protègé. Le monde disparaissait sous tous ces t'as de cartons qui contenaient l'entièreté de sa petite vie. Ici et là, les têtes de ses peluches sortaient des cartons. Elles souriaient avec ce sourire éternel qui pouvait aussi bien être un sourire de joie qu'un sourire de peine. Aujourd'hui c'était un sourire de peine.
Le haut de sa tour droite disparu.
Petit à petit, quatre mains démontrent son château. Elles perforaient son armure, laissant libre aller et venir aux disputes et aux reproches.
Il se sentit soudainement vulnérable. On lui enlevait ses repères subitement.
- Viens nous aider à mettre les cartons dans le camion Tom.
Il attrapa le carton avec ses peluches, les repoussa au fond de la boîte et slaloma entre les meubles recouverts de papiers bulles et les cartons éclatés dans le couloir.
Le camion les attendait en bas de l'immeuble, une bouche géante prête à accueillir des souvenirs une vie finie.
Un homme lui prit des mains son carton et l'entassa sur deux autres. Autour de lui tout le monde s'activait de la femme qui conduisait pour se rendre à son travail aux trois personnes qui descendaient les cartons de leurs appartements.
Son monde s'écroulait mais personne ne s'en rendait compte.
Des mains inconnues le décoiffaient, lui caressaient les joues. Il les esquivait, soucieux de retrouver son château. Là il redeviendrait le seul roi de son monde, capable de tout gérer seul.
Il remonta dans son royaume quatre à quatre. Deux hommes l'esquivèrent tandis qu'il passait sous le canapé qu'il portait. Il regagna sa chambre aussi rapidement qu'il le pouvait.
Les murs du château avaient complètement disparus. Il ne restait que son tapis au sol et ses sacs. Même ses dessins avaient été décollés. Sur sa porte les trois lettres de son prénom attendaient patiemment leur heure ou leur prochain propriétaire.
Il s'assit au milieu de sa chambre. Un roi n'a pas besoin d'un grand château. Un tapis fera l'affaire pour aujourd'hui.
Les murs se construirent autour de lui. D'abord le mur devant la porte. Un grand mur en pierre indestructible. Les flèches tirées par l'ennemi de l'autre côté ne faisaient que rebondir contre ce rempart.
Ensuite le mur de sa bibliothèque. Un mur coloré, recouvert de livres, de grimoires aussi vieux que lui et d'oeuvres d'arts.
Le mur des souvenirs suivit. Il était jauni par le temps. Malheureusement toutes les photos accrochées au mur s'étaient fracassées contre le sol. Les photos étaient déchirées, les visages manquaient, plus rien n'avait de sens dans tout ce capharnaüm. Le mur resterait vierge en attendant que d'autres photos soient raccrochées.
Le dernier mur celui destiné à sa fidèle population permettait au roi d'accueillir tout le monde dans de tout petit lits adaptés à la taille de cette population-peluches. Il avait même son lit au milieu de dizaine d'autres. Le soir il pouvait parler longuement avec ses sujets de leurs journées respectives ou encore du programme de divertissement qu'ils regarderaient le lendemain.
Tandis qu'il consolidating les dernières pierres, le mur de pierres trembla. Le petit roi se tourna pour constater les dégâts. Rien que un peu de poussière.
Le mur trembla de nouveau, deux coups furent frappés, faisant bouger l'ensemble du royaume.
Il ne pouvait plus résister.
Le mur s'écroula sous ses yeux. Un homme apparut. Le visage rond, les yeux verts clairs, les pommettes, rappelaient le petit roi. Un ennemi connu par le royaume.
- On a fini de ramener les cartons Tom. Je vais y aller, on se voit dans deux semaines.
L'ennemi s'accroupit devant le roi, les bras ouverts.
Il s'avança lentement, retenant ses larmes. Il ne pouvait pas pleurer, il était trop grand pour ça. Il s'accrocha à l'ennemi comme a une bouée.
Les larmes coulaient entrecoupées de paroles jamais finies.
La reine du Grand royaume apparut derrière. Elle enleva des bras du roi le petit roi et le posa au sol.
- Tu devrais y aller maintenant.
Le roi acquiesça. Il attrapa son sac à dos, embrassa une dernière fois le petit roi et claqua la porte derrière lui.
La reine se laissa tomber au sol. Elle ragrda autour d'elle sous le regard du petit prince.
- Je sais mon grand, c'est pas facile deux royaumes qui tombent.
La dernière pierre du Grand royaume tomba, réduisant en poussière tout le reste.
Plus aucun des deux royaumes n'existaient.