« Recommence ! ». Cet exaspérant petit rongeur n’avait que cette phrase à la bouche. Au passage, il agrémentait ses ordres d’un « empoté » ou « héritier en carton », qui encourageaient le garçon… à renoncer.
« C’est pourtant pas sorcier ! Trois mouvements, brefs, rapides et harmonieux ! Tu fais glisser le plat de la main sur ton avant bras. Puis main droite, tu vises le sol, main gauche tu appelles le ciel paume grande ouverte. »
Merlin avait beau répéter la figure, le bâton ne se matérialisait toujours pas. Les oiseaux et les caméléons brillaient et s’agitaient plus qu’à l’accoutumée, mais restaient coincés sous sa peau. C’était un peu comme s’il avait gratté une allumette, qu’il l’avait sentie grésiller, mais qu’au dernier moment l’étincelle avait refusé de voir le jour.
Pourtant, il essayait encore et encore, au point que ses mains s’agitaient seules pour exécuter une mécanique devenue familière. Peu à peu, il ancra de lui-même ses pieds dans la terre, il plia un genou pour accompagner le mouvement qui devint plus large et harmonieux. Ses mains entonnèrent une danse aérienne. Il ferma les yeux pour faire le vide. Il inspira profondément et expira pour chasser la magie de son corps. Les oiseaux s’élevèrent les premiers dans les airs nimbés d’une lumière argentée, ils se mirent en cercle, puis ce fut au tour des caméléons de quitter son poignet. Eux aussi flottèrent dans le ciel avant de se placer à leur poste. Tout ce petit monde se mit à tourner dans une intense lumière. Le temps paraissait suspendu, pourtant l’opération n’avait dû prendre que quelques secondes. Espéride apparut dans toute sa splendeur et alla se loger dans la paume de Merlin, le plus naturellement du monde.
« Enfin ! soupira Panache. Eh ben, on peut pas dire que tu sois un rapide, gamin ! Après cette entrée en matière plus que laborieuse, on va passer au plat principal : la pratique. »
L’enfant n’écoutait plus vraiment. Il n’en revenait pas de son succès. Lui, tout seul, il était parvenu à réaliser un truc qui dépassait l’entendement, un truc que personne ne croirait. Pourtant, il tenait fermement la preuve que tout cela n’était pas un rêve. Il avait tellement envie de faire tourner le bâton au-dessus de sa tête et de pousser des cris d’attaque comme dans les vieux films de Kun fu qu’il avait parfois regardés. Comme il était envieux de ces héros, respectés et craints. Dire qu’aujourd’hui, il pouvait devenir l’un d’entre eux. Alors, il commença à agiter Espéride maladroitement dans les airs. La réalité de sa maladresse naturelle le rattrapa vite, car il manqua de peu de s’assommer.
« Ce n’est pas un jouet ! Tonna Panache. On n’est pas au cirque !»
L’enfant ramassa Espéride, un peu honteux. Panache l’abreuva de termes techniques, lui parla de trajectoires, de lignes de force ou encore de centre de gravité.
« Je disais donc la pratique ! lui souffla l’écureuil au visage. N’oublie jamais un principe fondamental. Manipuler Espéride, c’est éprouver à la fois du plaisir et de la peur. »
Il poursuivit : « Hier, tu as pu te familiariser avec elle. Découvrir ses aspérités, la soupeser, la mesurer. Tu dois continuer à la découvrir en utilisant tes sens. Bien sûr, la vue, le toucher, mais aussi l’ouïe. Elle a sa propre musique, ses petits rouages et même son odeur. Chaque bâton de magie est unique. Tu dois bien le connaître et le comprendre avant de parvenir à l’utiliser efficacement.
- Cela signifie qu’il en existe plusieurs ? Des plus puissants ?
- Ils remontent à la nuit des temps et sont aussi indispensables aux enchanteurs, que les noisettes à mes congénères. On raconte qu’ils sont nés en Afrique. Ils accompagnaient les médecins, ils les aidaient à accéder aux secrets de la terre et de l’air. Puis, ils ont pris la forme de « bâton de guerre » en Asie. Les combattants se connectaient aux éléments et devenaient presque invincibles. L’origine de leur puissance reste mystérieuse. Certains prétendent qu’elle est liée à leur métal, d’autres à leur formule de consécration, mais tous s’accordent pour dire qu’elle provient en grande partie du mage qui les utilise. La meilleure des épées se révèle inutile sans le guerrier qui guide sa lame et tient fermement son pommeau. Il en va de même pour les bâtons de magicien. »
Cet exposé captiva Merlin, mais ne manqua pas non plus de l’inquiéter. La logique voulait que Morgane possède elle aussi une telle arme, ce qui impliquait qu’elle avait eu tout loisir d’en parfaire son maniement depuis des décennies. Dire que lui commençait à peine sa première leçon. Il avait l’impression qu’un candidat à la conduite accompagnée allait affronter une pilote de formule 1 !
« Tu dois être rapide et efficace, mais ne néglige pas pour autant l’esthétique dans ta technique. Elle impressionne l’adversaire, qui te jaugera dès tes premiers mouvements et tes premières incantations. C’est un art exigeant, qui convoque tout ton être. Ton esprit et ton corps doivent être parfaitement accordés ! Il te faudra à la fois contrôler ton pouvoir et laisser les forces qu’il offre se déchaîner. Tu dois contrôler tes émotions. Rien ne doit troubler ta concentration. »
Là, il marqua une pause et se posta tout près pour l’observer.
« Ce sera pas de la tarte vu ton jeune âge et ton absence d’expérience. Et si tu réussis à survivre malgré tout, ne te crois jamais tiré d’affaires .Tu auras toujours à apprendre, pratiquer, t’entraîner ! »
Après ces paroles qui n’avaient rien de réconfortant, le petit rongeur lui demanda en guise d’échauffement de faire tenir le bâton à la verticale sur la paume de sa main. Ouf ! pas sur la tête ou le bout de nez ! Pourtant l’exercice s’avérait plus difficile qu’il n’y paraissait. Comment faire tenir le bâton en équilibre sans refermer sa paume ? C’était instinctif cette envie de replier ses doigts pour le retenir. Les réprimandes pleuvaient, Merlin se désespérait. Enfin, Espéride consentit à se tenir debout une seconde et l’écureuil mit fin au supplice. La leçon n’était pas pour autant finie.
« Concentre-toi ! Brandis Espéride vers le ciel et convoque les vents ! Utilise tes deux mains pour améliorer ta prise. » ordonna Panache.
Rien que ça ! pensa Merlin. Le garçon leva très haut le bâton au point de sentir ses muscles sur le point de le trahir. Le bec des oiseaux pointait un petit nuage.
« Plus haut ! Tiens bon ! Ne perds jamais de vue que dans un combat réel si tu lâches ton arme… »
Il n’eut pas besoin de préciser la suite. Le cercle tourna un peu et une légère brise rafraichit l’air.
« Pas franchement convaincant ! lança Panache. Je ne t’ai pas demandé le mode ventilateur gamin ! Tu ne dois faire qu’un avec le bâton, si tu veux convoquer toute sa puissance. Ton bras doit être son prolongement, ton esprit doit ressentir le métal ! Ecoute son souffle ! Entends sa vibration ! »
Merlin baissa son bras à bout de force. Il était désolé de constater qu’il n’avait pas l’étoffe d’un Luke Skywalker. Mais peut-être était ce aussi parce que son maître n’avait pas l’aura d’un Yoda. L’écureuil lui fit signe de frapper à présent le sol énergiquement avec l’autre extrémité du bâton. L’apprenti cogna la terre vigoureusement. Il y mit tout son cœur, comme s’il devait réveiller le monde souterrain pour une assemblée exceptionnelle. Le cercle formé par les caméléons s’anima comme un petit manège. Une faible secousse se fit sentir sous les pieds du rongeur. Il adressa une moue pas très engageante à son élève. Merlin, vexé, essaya à nouveau. Il convoqua toute sa rage pour faire vibrer les forces occultes. Il prit de l’élan comme s’il allait planter le bâton dans le sol. Cette fois-ci une onde de choc plus puissante se répandit. Un petit tremblement de terre. L’écureuil ne vacilla pas, mais ébaucha un demi-sourire. L’enfant comprit alors vraiment le sens des paroles de Panache : le plaisir et la peur. C’était exactement ce qu’il éprouvait à présent.
« Essayons un enchaînement, proposa l’implacable instructeur. Les deux extrémités d’Espéride peuvent être utilisées aussi bien pour te défendre que pour attaquer. Au cours des entraînements, tu devras constamment rechercher à économiser tes frappes car elles puiseront dans ton énergie psychique et physique. Et on ne peut pas vraiment dire que la nature t’ait doté d’un naturel très endurant. »
Merlin baissa la tête. Pas besoin de lui rappeler qu’il n’avait pas le corps pour cet emploi. Un instructeur devait-il se montrer cruel et blessant pour asseoir son autorité ? L’enfant en doutait. Les moqueries de ses camarades avaient beau l’avoir endurci, les mots de Panache lui faisaient perdre le peu de confiance qu’il possédait. Coordination, synchronisation, autant de qualités qui lui manquaient. Merlin revivait le calvaire des séances de sport où il suait sang et eau, tandis que ses petits camarades restaient frais et dispos. Il le savait, c’était acté : c’était un intello, hermétique à toute forme d’activité physique. Pourtant Panache s’acharnait à le transformer en quelque chose qu’il n’était pas.
Il dut s’arrêter à bout de forces et de souffle. Même avec la meilleure volonté du monde, tout son être déposait les armes. Il s’embrouillait dans le ballet des mains et des pieds, Espéride semblait à chaque instant plus lourde et il finit par chuter. Le bâton roula à ses pieds. Les oiseaux avaient l’œil vide et les caméléons paraissaient inertes. Merlin avalait l’air à grosses gorgées comme s’il allait étouffer, et aurait donné tous les royaumes imaginaires pour un verre d’eau bien réel. Panache qui ne tenait sans doute pas à perdre son élève dès la première leçon malgré ses discours musclés décida de lui laisser un peu de répit.
« On remet ça demain, tâche d’être plus en forme. Et essaie de dégoter Naïa ! »
Epuisé, Merlin se contenta d’opiner du chef. Naïa, le masque possédait-il aussi son instructeur ? Cette pensée le plongea dans un abîme de perplexité. Il s’allongea sur l’herbe et ferma les yeux. Il les ouvrit presque aussitôt. Il venait d’avoir une intuition ou plutôt une vision. Il rappela Espéride à lui, en inversant l’ordre des mouvements appris par Panache. Le bâton lui obéit. Il se dématérialisa en une pluie d’étoiles et de symboles scintillants. Invisibles pour le commun des mortels, le faisceau lumineux coula comme un précieux liquide dans les veines de l’héritier. Les animaux reprirent place sous sa peau. La magie vivait à nouveau en lui. Cette fois l’opération ne lui avait causé nulle douleur. L’écureuil n’avait pas menti. L’enfant se releva comme un vieillard perclu d’arthrose et prit le chemin du lac des Vérités, d’un pas lent mais déterminé.
Tu fais référence au Kung-Fu au début de cet épisode; il y manque un "g" et un "F" majuscule.
Il y a aussi une petite faute dans le paragraphe qui commence par "Essayons un enchaînement .." : il ne faut pas de "t" à "ai", dernière phrase.
Pourquoi allies-tu "plaisir et peur" pour Espéride ?
Amicalement.
Je reprends la lecture de ton (petit) Merlin, avec curiosité et plaisir.
Je me demande pourquoi tu as relié/réuni le plaisir et la peur dans cet épisode ?
Et dans la phrase "il expira pour chasser la magie de son corps", je me demande quel sens tu donnes au verbe "chasser" ?
Je pense à d'autres verbes plus positifs comme "extraire" ou "exprimer". Qu'en penses-tu ?
La formation de Merlin avance, il manie de mieux en mieux Espéride. Il me tarde qu'un danger se présente pour qu'il puisse utiliser ses nouveaux pouvoirs. Le chapitre du cours est bien mené. J'ai trouvé drôle la phrase sur la conduite accompagnée et le pilote de formule 1.
A bientôt.
Je prends note de vos remarques et je vais améliorer ce point, merci de poursuivre ta lecture et de livrer tes commentaires bien utiles. A bientôt.
Quelques remarques formelles :
- ses mains entonnèrent une danse => je ne suis pas sûre qu'entonner soit le verbe qu'il faut..
- les films de Kun Fu => manque un g ?
- Il adressa une moue pas très engageante à son élève. => rappeler que "il" renvoie à Panache à ce moment-là ? on confondrait entre les 'il" pour Merlin et "il" pour l'écureuil et ça rend le début de la phrase confus.
A très vite,
Claire
Le professeur Rogue carrément, je pense que Panache rougit du compliment... merci infiniment pour tes encouragements et tes remarques. A bientôt.
Première leçon tonique pour Merlin qui doit puiser en lui des ressources inconnues jusqu'à présent. Panache est un instructeur redoutable et exigeant mail il sait qu'il a peu de temps pour former son jeune élève.
Quel rôle Naïa va-t-elle à présent jouer dans l'histoire, celle d'une partenaire de combat ? J'avoue que je l'avais un peu oublié mais je suis heureuse de la voir ressurgir dans l'histoire.
En tout cas l'idée du bâton qui se fond dans son bras est astucieuse et j'aime toute la description que tu en fais. Peut-être pourrais-tu expliquer la signification des différents symboles : oiseaux, caméléons etc.
Aucune coquille ne m'a sauté aux yeux.
A très bientôt
Merci infiniment de m'apporter aide et encouragements à travers tes commentaires réguliers. Je vais clarifier les points dont tu parles. A bientôt.