Son avant-bras et son poignet étaient presque rouge écarlate. D’irrésistibles démangeaisons ne lui laissaient pas un instant de répit. Il labourait son bras meurtri de ses petits doigts. Sa mère observait le phénomène sans comprendre.
« Tu dis qu’un moustique, t’a fait ça ? s’étonnait-elle.
- Moi, j’ai jamais vu un truc pareil, ajoutait Lilwenn tout en se penchant pour regarder de plus près.
- Ca ressemble davantage à une allergie, mon chéri.
Et puis lui posant la main sur le front, la voilà qui s’alarmait.
- Mais tu es tout brûlant ! Tu as certainement de la fièvre ! »
De la fièvre ! pensait Merlin. Evidemment, qu’il en avait ! Et c’était peut-être le moins dangereux des effets secondaires qui l’attendait après ce qu’il avait vécu.
Dire que cet écureuil de malheur avait appelé ça « l’appropriation » ! Une torture, oui ! Il ne parvenait toujours pas à réaliser ce qui s’était passé.Il oublia la cuisinière et sa mère pour revivre cette scène incroyable.
Espéride une fois la paume de sa main refermée s’était muée en une pluie de figures et symboles brillants qui un par un avaient pénétré sous sa peau, suivi ses veines pour se faufiler dans son bras. Cette opération magique lui avait arraché des cris de douleur. Le bâton et lui ne faisaient plus qu’un.
« Et voilà, ni vu, ni connu ! » s’était écrié Panache.
Paniqué, Merlin avait protesté. Il avait mal, avait manqué de s’évanouir. Désormais, il apercevait les oiseaux et les caméléons s’agiter comme de petits êtres vivants. Ils visitaient son poignet et semblaient faire le tour du propriétaire.
« Il faut me débarrasser de ça ! Mes parents vont me punir jusqu’à la fin de mes jours s’ils s’en aperçoivent. Ils vont croire que je me suis fait tatouer tous ces animaux !
- Gamin, arrête ta parano ! La magie est invisible pour les simples humains. Tu ferais mieux de redouter Morgane !
- Mais vous allez m’en débarrasser, avait répété l’enfant d'un ton suppliant.
- T’inquiète ! En attendant au lieu de te plaindre, n’oublie pas qu’Espéride est une arme redoutable, un trésor parmi les plus précieux. Tu portes en toi le pouvoir de l’air et de la terre. Et puis un héritier ne peut être un pleurnichard. Tu es allé trop loin pour reculer. »
Comme l’enfant était au bord des larmes et de l’épuisement, il avait rajouté sur le ton de la confidence : « Maintenant qu’Espéride et toi vous êtes liés, la douleur va s’atténuer. Tu possèdes dans ta chair un talisman protecteur très convoité. Quand tu auras besoin d’aide, tu l’ôteras aussi facilement qu’on enlève un gant de sa main. Tu n’es rien sans Espéride et elle a besoin de toi pour prendre vie. Dans ce combat, elle sera à la fois ton armure et ton Excalibur !
- Mais quel combat ? J’ai rien demandé moi ! Je ne suis pas un chevalier, je ne suis qu’un enfant qui n’a même pas encore atteint la dizaine ! » avait hurlé le garçon à bout de forces.
Et puis le trou noir ! Il s’était retrouvé allongé au pied du grand châtaignier. Il avait ouvert les yeux brusquement. Ses idées étaient troubles. Il ne savait plus très bien où il se trouvait. Un instant, il avait paniqué à l’idée d’être en retard à l’école. Puis tout lui était revenu en un éclair. Bretagne, Merlin, Héritier. Son maître aurait appelé ça les mots clé de la leçon. Il aurait tant donné pour avoir juste la clé de cette histoire.
Autour de lui, tout était calme. Sapristi avait disparu. Il s'était alors demandé s’il n’avait pas rêvé. Panache, Espéride… tout ça n’était peut-être pas réel au fond, plutôt pas magique. Etait-il soulagé ou un brin déçu ? Qui avait la chance de vivre pareille aventure ? Qui se retrouvait dans la peau d’un héritier magicien ?
Il avait commencé à se relever toujours un peu perdu. Une image étrange s’était invitée dans sa tête. De puissantes branches s’enroulaient autour de son corps, et avec délicatesse le berçaient dans les airs. Il avait fixé le grand châtaignier avec un air de regret à l’idée que le grand escalier qui menait à son sommet ne soit que pure fantaisie. En revanche, il ne pouvait qu’éprouver du soulagement en pensant que Panache resterait le fruit de son imagination.
Un picotement, un tiraillement, une brûlure. Il avait jeté aussitôt un regard inquiet vers son bras. Des oiseaux et des caméléons y dansaient une farandole.
Lilwenn et sa mère continuaient à présent à disserter sur son sort. On avait sorti la panoplie d’huiles essentielles et dégainé le paracétamol. La cuisinière répétait que c’était déconseillé pour les enfants, sa mère répliquait que tout était une question de dosage. Dans le doute, on l’avait envoyé au lit avec un verre d’eau et deux bisous. En espérant que « ça aille mieux demain ! »
Tout devait être un peu enchanté dans le vieux manoir de Bréchéliant, puisqu’effectivement le lendemain il se portait beaucoup mieux. L’ancêtre avait fait une discrète apparition pour prendre de ses nouvelles, son père était passé en coup de vent et sa mère s’était montrée ravie de son rapide rétablissement. Merlin avait prétendu lire la matinée dans sa chambre, mais dès qu’il en avait eu l’occasion, il avait filé pour son rendez-vous matinal. Sapristi le suivait silencieusement..
Une fois parvenu au pied de son ami séculaire, Merlin eut l’impression qu’un truc allait lui débouler dessus. Une intuition doublée d’un son étrange qui venait de très haut. Effectivement, depuis la branche la plus élevée, Panache préparait son entrée en scène. Tel un nageur s’avançant vers le bord du plongeoir, l’écureuil progressait patte après patte vers l’extrémité de la branche. Tournant, le dos au vide, il adressa un clin d’œil à un moineau et se jeta à l’assaut de la terre. L’épaisse frondaison freinait sa progression, mais l’exercice n’en demeurait pas moins risqué. Merlin avait déjà aperçu des écureuils grimpant aux arbres, sautant agilement, mais jamais amateurs de sports extrêmes. Pas le moins du monde inquiet, le rongeur en profitait pour exécuter une série de saltos avant et d’autre pirouettes de son cru. Sa queue virevoltait avec grâce, traînée de lumière au milieu du vert dominant. Il ne restait que quelques mètres avant que sa petite personne heurta le sol, comme un plongeur se fracassant dans une piscine sans eau. C’est alors qu’il effectua une manœuvre improbable et agrippa ses griffes à la plus basse des branches. Quelques feuilles s’envolèrent. Il s’amusa à faire d’harmonieuses rotations autour d’elle cette fois comme un gymnaste, avant de s’immobiliser pour remettre de l’ordre dans son panache de feu. Un vrai artiste de la haute voltige.
« Alors gamin, remis de tes émotions ? Prêt pour ta leçon ? Des nouvelles de Naïa ? »
Aux trois interrogations, Merlin avait envie d’hurler : « Non ! » et de s’enfuir.
La dernière question le mettait particulièrement mal à l’aise, il avait l’impression d’être un mauvais élève qui n’avait pas fait ses devoirs, et qui s’apprêtait à recevoir les réprimandes du maître. Vu les événements de la veille, c’était miraculeux qu’il soit revenu. Sapristi visiblement fatigué lui aussi, décida de s’allonger dans l’herbe. Depuis sa branche, l’écureuil autant vif qu’agile l’avisa et lui fit une belle révérence, mais trop appuyée et empruntée, pour ne pas être un poil moqueuse.
« Votre royale chatitude, nous fait l’honneur de sa présence. Le modeste serviteur que je suis, s’en trouve honoré ! Néanmoins, j’ai le regret d’informer sa chatesté que mes cours sont privés et payants.
- Payants comment ça ? s’écria Merlin, sous le coup de la surprise.
- N’aie crainte gamin, c’est arrangé avec mon maître. Si je réussis ta formation et que ta mission est un succès, il me donnera ce que je lui ai demandé. D’ailleurs, seul lui le peut. »
Une phrase qui laissait dans son sillage le parfum du mystère. Encore une, remarqua avec dépit l’enfant. Il éprouva le même dépit à voir Sapristi obéir sans broncher au petit rongeur qui semblait désormais la danse et programmé pour lui mener la vie dure. Mais n’était-ce pas le propre de tout maître de malmener celui qu’il allait former, histoire de l’endurcir. Il aurait tellement voulu se trouver dans les pages d’un livre et que toute cette aventure ne soit qu’un conte. Il aurait tourné à toute allure les passages sur les épreuves du jeune initié, pour passer directement à la complicité maître-élève, mieux au début d’une relation paternelle.
« Qui aime bien, châtie bien ! » ce vieux diction surgit sans crier gare dans l’esprit de Merlin. Il aurait préféré que Panache le déteste, mais le laisse tranquille. Cela ne semblait pas du tout dans les projets du voltigeur.
Dernier paragraphe, troisième phrase "Il éprouva le même dépit à voir Sapristi obéir .." : il semble manquer un mot pour lui donner du sens.
Amicalement,
Ce chapitre est réussi. Pas de problème pour le retour en arrière, on comprend bien le lien avec le passage précédent. J'ai bien aimé l'extrait où la mère et Lilwenn "soigne" Merlin. Le mode de paiement de Panache laisse planer le mystère.
A bientôt !
C'est gentil de te replonger dans les aventures de Merlin, Merci pour tes retours réguliers. J'espère que tu apprécieras la suite.
Je reprends ma lecture avec toujours autant de plaisir. J'aime beaucoup la querelle autour du paracétamol et la dernière phrase : "- Dans le doute, on l’avait envoyé au lit avec un verre d’eau et deux bisous." J'aime bien aussi les tatouages dansants, très belle image, et le numéro de voltige de Panache.
Par contre j'ai un doute sur l'usage des flashbacks et du flashforwards. Ils montrent bien que Merlin, comme il a perdu connaissance, est en train de reconstruire ce qu'il s'est passé mais il faut savoir qu'un cerveau neurotypique moyen ne les comprend pas avant l'âge de 14 ans...
Et deux petites remarques aussi :
- Il éprouva le même dépit à voir Sapristi obéir sans broncher au petit rongeur qui semblait désormais la danse et programmé pour lui mener la vie dure. => manque un mot mais ça ferait deux fois mener, voire 3 avec le malmener de la ligne d'après
- mieux au début d’une relation paternelle. => virgule après mieux ?
Voilà pour mes remarques,
A très vite
Claire
Première leçon d'initiation, pour l'instant le maître est plutôt dans la démonstration. J'ai hâte de découvrir les détails de l'apprentissage et je redoute le pire pour Merlin ! Une question intrigante à la fin, qui peut bien être le fameux maître de Panache ?
Ton texte fonctionne bien, les retours en arrière sont clairs. Pas de souci.
A bientôt
Merci beaucoup pour tes impressions positives. La leçon arrive dans le chapitre suivant. J'espère qu'elle te plaira. A bientôt.