Rien ! Depuis de longues minutes, il scrutait la surface du lac à la recherche d’un indice. Elle se troublait sous l’effet de rafales de vent. L’onde se hérissait de vaguelettes, qui prenaient l’aspect de crêtes de jeune dragon. Impossible de lire quoi que soit dans le miroir des vérités. Il lui fallait être patient. Après tout, Espéride n’avait pas cédé à ses premiers assauts. Sans oublier l’escalier aux innombrables marches qu’il avait dû gravir pour avoir le droit de la contempler.
« Tu es sûr de ta vision ? » interrogea Sapristi d’un miaulement.
Merlin sursauta, il était tellement concentré, qu’il en avait oublié la présence du roi. Il opina du chef en guise de réponse.
« Peut-être, dois-tu plonger », suggéra l’animal d’un nouveau miaulement.
- Mais je sais à peine nager ! » s’écria le garçon effrayé par cette perspective nautique.
Sapristi fit valoir que cela n’avait pas l’air bien profond et que le tout c’était de flotter. Enfin, exaspéré il conclut : « Le masque ne va pas apparaître tout seul comme par magie, il te faut forcément prendre des risques ! » Et pourquoi pas après tout, pensa le petit garçon. N'était-il pas justement question de magie depuis le début de cette histoire.
Les idées se bousculaient dans la tête de l’héritier, dans son fort intérieur, il avait espéré que la légende se répéterait. Une main bienveillante sortirait par magie de la surface de l’eau et lui tendrait Naïa. Il sentait bien qu’il devait faire une croix sur cette version. Pourtant, l’Enchanteur avait bien dû prévoir une solution au cas où son héritier soit du niveau « bébé nageur » en natation.
Il se déchaussa sans conviction, s’approcha du bord vaseux et trempa ses pieds.La température de l'eau qui vint lécher le bout de ses doigts le fit grimacer. Il recula, puis retenta la douloureuse expérience. Lorsqu'il se fut un peu habitué, il se décida à agir. Il lança un regard à Sapristi resté au sec sur la rive. Celui-ci le fixait en silence, mais Merlin devinait ce que pensait le royal félin.
"Ah! tout de même! C'est pas trop tôt ! Un bain, ça n'a jamais tué personne !"
L'enfant fit un premier pas mal assuré, décontenancé par la consistance du sable qu'il foulait. Il ne retrouvait pas les sensations rassurantes du bord de mer. Il ne voyait plus ses pieds recouverts par la vase et quelques lianes visqueuses flottaient à la surface. Décidément, le lac faisait meilleure impression de loin. Pourtant, l'absence de panneau du style "baignade interdite" l'encourageait à poursuivre. Il avait à peine avancé de deux pas qu’il avait déjà de l’eau jusqu’aux genoux. Le sol continuait à se dérober sous lui. D’étranges créatures effleurèrent ses chevilles. Il cria. Il s’agissait sans doute d’algues ou de petits poissons, pensa t-il pour se rassurer. Mais rien n’y faisait, il imaginait que s’il restait là, il allait se faire aspirer par le sable mouvant, un tourbillon fantastique ou attaquer par des monstres aquatiques. Il rebroussa chemin à la hâte et au passage manqua de tomber tout habillé dans l’onde.
De retour sur la terre ferme, il était bredouille avec en prime un pantalon mouillé et sale. Dans les pupilles de Sapristi d’habitude si indéchiffrables, on lisait la consternation. Au stade, où il en était, Merlin décida de ne pas craindre le ridicule et se mit à appeler « Naïa », comme un promeneur hélerait son chien perdu. Là encore, un fiasco !
« Parce que tu crois vraiment qu’elle va te répondre ! » s’exclama Sapristi. Dépité, le félin tourna les coussinets pour rejoindre les allées du jardin.
Merlin fut à la fois soulagé de son départ et un brin vexé.L’enfant résolut d'adopter une autre tactique, à défaut de trouver le masque, il serait peut-être plus facile de mettre la main sur son instructeur. Alors, il chercha à dénicher la moindre grenouille, s’adressa aux libellules et tenta d’approcher les oiseaux qu’il aperçut. En vain !
« Ah ! Te voilà enfin ! »
Il aurait aimé que cette voix appartienne à un inconnu, mais ce n’était pas le cas.
« Merlin, je ne veux plus que tu mettes un seul orteil dans ce lac ! ordonna son père en voyant ses affaires trempées. Tu sais à peine nager ! Si ta mère l’apprend, elle ne te laissera plus aller et venir dans le domaine à ta guise ! Ce lac n’a rien à voir avec la piscine gonflable que nous installions chez tonton. Il est dangereux. »
- Je sais, je ne le referai plus, je te le promets. Ne dis rien à maman, s’il te plait, papa. »
La tête baissée et la voix tremblante, Merlin formulait de sincères excuses. Il était autant désolé que découragé. Léonard lui fit signe de le suivre. Le garçon marchait à ses côtés, l’air soucieux. Il s’attendait à ce qu’ils retournent au manoir, mais à sa grande surprise ils se dirigèrent vers la grille d’entrée. Là, le jardinier s’activait pour ouvrir le lourd portail. Il grinça comme un vieux pont levis rouillé, mais finit par laisser filer le fils et son père.
Devançant les questions de Merlin, Léonard se contenta de dire :
« Merlin Petitbond, ceci est un enlèvement en bonne et due forme. Oui, je t’enlève à ce vieux domaine et à tous ses habitants grincheux ! »
Il avait un air malicieux dans les yeux. Merlin se demanda si sa mère faisait partie des grincheux. Ils marchèrent sur le bord de la route ombragée. Aucune ne voiture ne passait, le lieu était vraiment désert. Son père sifflotait. Le garçon savait que cela lui arrivait lorsqu’il était de bonne humeur. Sans doute, redevait-il joyeux, loin d’Awena et de Bréchéliant.
« Papa, on va où ? » demanda l’héritier au bout d’un petit moment. « Surprise ! » lui répliqua son père.
« Papa, c’est encore loin ? » interrogea à nouveau l’enfant. La réponse fut la même.
Et puis la sonnerie du portable de son père couvrit le chant des oiseaux. Léonard décrocha et répondit d’une voix enjouée : « Nous arriverons dans quelques instants au point de rendez-vous. Tout s’est passé comme prévu. Merci d’avoir pris le sac. »
Trois phrases qui sans raison inquiétèrent l’enfant. Tout à coup, il se sentait en danger. Il essaya de se raisonner . L’homme qui l’entraînait au loin, n’était pas un inconnu qui lui voulait du mal. Soupçonner son père de comploter contre lui ! N'importe quoi !
« C’était qui ? » demanda néanmoins le garçon, qui d’habitude n’était pas aussi indiscret.
« Une amie, tu ne vas pas tarder à faire sa connaissance, mon grand ! »
Il rangea le téléphone dans sa poche, mais Merlin eut le temps de voir le nom du correspondant.
Morgane ! L’enlèvement en bonne et due forme n’était peut-être pas une plaisanterie.
« Papa !… » Il était sur le point de prétexter un mal au ventre cuisant, lorsqu’une voiture noire aux vitres teintées freina brusquement et s’arrêta à leur hauteur. Les portières claquèrent et en moins de temps qu’il faut pour le dire, il se retrouva poussé à l’intérieur par son père.
J'ai beaucoup aimé ce passage. Il fait écho aux premiers chapitres où Merlin se sent en danger. On imagine qu'il va devoir utiliser Espéride ou trouver Naïa pour s'en sortir. Le personnage de Merlin, le petit garçon maladroit qui tente de se dépasser, est toujours attachant. Une coquille "son for intérieur".
A bientôt !
Je suis contente que ce chapitre te plaise. J'espère que tu seras surprise par la suite, toi qui manies si bien l'art du suspense. Merci en tout cas pour tes commentaires. A bientôt.
J'aime aussi "Sapristi tourna les coussinets".
Une toute petite coquille : dans son fort intérieur => for
Hâte de savoir la suite !
A très vite
Claire
Merci beaucoup pour tes commentaires réguliers et précis. J'espère pouvoir écrire ce weed end le chapitre suivant et lire la suite des aventures de Loup et Bell. A bientôt.
Décidemment les choses allaient presque trop bien pour Merlin déjà empêtré dans sa quête. Entrée en jeu de Morgane… Avec la complicité de son père. Ce dernier serait-il victime d’un envoutement ? Ou se serait-il laissé embobiner bien naïvement ? Dans tous les cas, Merlin est dans le pétrin et si Morgane est à hauteur de la légende, les choses devraient terriblement se corser pour lui.
Toujours un plaisir de te lire.
A très bientôt.
Merci infiniment pour ton retour. Tes hypothèses de lecture me ravissent . Tu risques d'avoir quelques surprises...j'espère heureuses. A bientôt.