LE POIL DANS LA SOUPE

Vendredi 13 décembre, 17h14. La porte s’ouvre et le Diable fait son entrée, indigné jusqu’à la pointe de son bouc qui est recouvert d’une légère croûte verdâtre.

 

LE DIABLE

Vous ne devinerez jamais ce qui m’est arrivé aujourd’hui. Une véritable impudence. Je n’arrive toujours pas à y croire. Laissez-moi raconter depuis le début. Je vous préviens, vous n’avez jamais rien entendu d’aussi dég… dég… dégoûtant ! Abrégeons vos souffrances. J’ai trouvé. Un cheveu. Dans. MA. Soupe.

Dans mon velouté de poireaux-pommes de terre, pour être exact, car je fais très attention à manger des légumes, soit dit en passant. Vous vous rendez compte ? Dans un restaurant étoilé en plus! Apparemment, ils ne savent pas à qui ils ont affaire. Je peux vous dire que je ne vais pas me laisser faire ni laisser passer. Par chance, je ne suis pas né de la dernière pluie. J’ai surmonté mon dégoût et repêché le poil, puis j’ai fait un scandale et demandé à parler au chef !

Je lui ai ordonné de faire aligner tous les marmitons devant moi pour soulever leurs toques et débusquer le coupable. Comme prévu, personne n’a voulu avouer, alors j’ai glissé le poil dans un petit sachet transparent et me suis rendu tout de suite dans mon laboratoire. Là où tous les ADN et toutes les empreintes digitales de tous les pécheurs du monde sont soigneusement répertoriés. Personne n’y échappe. Vous comprenez bien qu’aucun crime ne saurait rester impuni. Sinon, ils feraient tous les innocents, plus personne n’irait en Enfer, et je serais au chômage.

Heureusement que je prends mes précautions. J’ai donc fait analyser le poil coupable et je viens de recevoir les résultats. Là, dans cette enveloppe scellée que voilà. J’ai exprès attendu notre rendez-vous pour l’ouvrir devant témoin et que nous puissions réfléchir ensemble à une sentence adéquate. On ne m’accusera pas d’injustice. Je sais d’avance que vous allez essayer de plaider la cause de cet effronté, mais je vais en profiter justement pour vous montrer l’importance de la fermeté quand il s’agit de faire face à des criminels. 

Criminel. Tout à fait. Vous avez parfaitement entendu. J’aurais pu m’étouffer ou attraper le sida. Pas la peine de me rappeler que je suis immortel, ce n’est pas une raison pour tolérer pareil outrage. L’heure de vérité approche : (Il déplie la lettre.) Votre Majesté, nous avons l’honneur… blabla… trouvé ADN compatible... AH ! Je le savais ! Je le tiens ce mécréant ! Nous avons le regret… Quoi encore ? Blabla… Le matériel génétique correspond à votre pro… NON ! Ce n’est absolument pas possible. Il ne peut s’agir que d’une grossière erreur. J’appelle le labo illico presto.

Allô ? Non, je les ai bien reçus, ce n’est pas pour ça que j’appelle, bande de tartuffes ! Comment osez-vous confondre les échantillons ? C’est bon, j’attends. Oui, long et noir. Tout à fait. Sans aucun doute ? Comment ça ? Sans aucun scrupule, oui ! Vous allez voir ce que vous allez voir, le coupable sera… sera… Oh zut, ça coupe. (Il raccroche.)

Bon alors, je suppose que c’est l’occasion rêvée de démontrer que ma magnanimité n’a d’égale que ma générosité. Je vais donc… gracier le coupable. C’est la seule solution pour statuer un exemple et me rendre encore plus populaire que je ne le suis déjà. Vous savez, je trouve que vous avez raison finalement, c’est important de savoir faire preuve de clémence quand on est en position de force. Je laisse la pièce à conviction ici, je compte sur vous pour la faire disparaître le plus discrètement possible. 

 

Il la quitte en lui adressant un clin d’œil complice.

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Arnault Sarment
Posté le 16/12/2024
Sapristi, quelqu'un a échangé les échantillons récupérés par le laboratoire ! Notre bon Diable serait victime d'une conspiration que ça ne m'étonnerait pas.
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