La lumière est jaune ce soir et le sable prend une couleur kaki. Toute la côte lumineuse se reflète dans une mer d'huile très noire. Deux ou trois passants trainent bras dessus, bras dessous, le long des planches. La silhouette fine de Yann, assis sur les marches en bois qui mènent à la plage, se découpe sous l'éclairage. Il lui tourne le dos, ses frêles épaules légèrement voutées manifestent une fatigue visible.
- J'peux m'asseoir ?
Gabriel se pose comme toujours, sans attendre que le jeune au sourire lasse l'y autorise.
- J'ai foutu tes plans d'la soirée en l'air ? insinue-t-il, curieux.
- Tu es bien présomptueux ! J-F est un homo refoulé et complexé du cul qui persuade les gays qui le sucent qu'il a des tendances bi et passe pour un hétéro macho devant le reste du monde. J'y ai suffisamment goûté, je n'avais nullement l'intention de le suivre.
Gabriel accepte l'explication, même s'il n'y croit qu'à moitié.
- Il n'assume pas ? l'interroge t-il.
- Ici ça n'est pas simple.
- C'est simple pour personne et nulle part, c't'un connard.
- Tu ne vis pas ici.
Long silence tout relatif, bercé par le bruit des vagues au loin et le passage de quelques voitures sur l'avenue.
- Déjà pour t'traiter de cette manière... Moi ch'uis gay, croit obligatoire d'ajouter Gabriel.
A cette annonce le sourire de Yann s'élargit.
- Comme ci ça n'était pas évidement depuis le début !
- J'l'ai toujours su et toi ?
- Si j'ai toujours su que j'étais pédé ? Ha,ha ! Les gens l'ont su depuis le début, l'on dit de suite, l'on présumé dès le départ. En réalité je n'ai pas eu vraiment le choix, j'ai été modelé ainsi, même par mes parents.
- Bha j'croyais qu'ta famille n'l'acceptait pas ? !
- Nan, c'est fou, hein ? ! Ils n'acceptent pas ce qu'ils ont créé.
- J'comprends pas.
- Ma naissance reste une zone de floue sur laquelle je n'ai pas envie de m'étendre pour le moment. Par la suite j'ai été un petit enfant un peu trop sensible, il paraît. Tu ne trouves pas que j'agis comme une nana ? Je ne parle pas de mon côté pétasse hein, ça, je crois que ça se développe au contact du milieu !
Yann ponctue sa phrase d'une petite grimace automatique.
- Ou c'est un peu un déguisement, si tu veux, ajoute-t-il. Je suis presque une fille, donc forcément il FALLAIT que je sois homo ! Comme si le sexe avait un rapport là-dedans.
- ...
- Ce qui est ridicule, si tu y réfléchis, car même les homos ne veulent suuuurtout pas entendre dire qu'ils ne sont pas des hommes, des vrais, des purs, des durs, des tatoués ! C'est tellement avilissant d'être une tapette sans cesse comparée à une fille.
Il ajoute à son discours moults mouvement de mains et efets de voix, se retourne et regarde Gabriel sous le nez.
- La fille tu sais, cet être faible et sous-développé, glousse-t-il.
- Si tu l'dis.
- J'entendais souvent mes parents, enfin mon père et sa femme, les amis, les voisins, faire des remarques sur mon côté fille. Tu vois le : «Il sera homo lui ! C'est pas possible autrement ! Mes pauvres, décidément !» Mes parents jouaient les martyrs et moi je m'identifiais à une image toute faite.
- T'aimes les garçons, non ?
- La première personne dont je suis tombé fou d'amour fut Marie, ça a duré des années. J'ai fini par comprendre qu'elle ne le croirait jamais. Je me suis fait une raison, puis son amitié est devenue tellement indispensable pour moi que j'ai abandonné l'idée de la perdre un jour.
- Vraiment ?
Gabriel craint cette drôle de relation depuis le début.
- Après, j'ai fini par mater les garçons et, effectivement, je me suis retrouvé à ne plus imaginer le sexe autrement qu'avec des mecs. En dehors de Marie je n'ai pas cherché les nanas sexuellement, par contre j'ai eu de nombreuses potes. Est-ce que mon cerveau a vraiment subit un lavage ou bien mon entourage avait-il compris avant moi ce que j'étais, j'en sais rien. Mais oui, j'ai une bite et j'ai envie de n'être touché que par des gars, ha, ha ! Je suis excité par les queues ! Pourtant j'aime être de temps en temps une fille, un peu... et parfois un mec, pas trop non plus. J'aime l'entre-deux, l'indéfini... Deux camps seulement, c'est un peu réduit comme choix de départ, tu ne trouves pas ?
Quelle question Gabriel a-t-il posé ! L'autre s'avère bavard sur le sujet, à croire qu'il y avait là, un besoin retenu.
- Chéri, soit t'es un mec bien dans le moule, avec une bite qui parle à la place du cerveau, de bons gros biscotos, des jeux de tordus et violents quand t'es môme, soit t'es une petite chose craintive et soumise. C'est l'être humain qui crée des cloisonnements, pas la nature. Elle, elle invente plein d'autres trucs qui ne devraient même pas avoir de noms ! Y'en a marre des étiquettes et marre de devoir choisir.
Il s'assoit sur le muret et dévisage tristement Gabriel.
- Je te parle de sexe, c'est quoi ton idée sur ce que je représente ? Comment tu me définis toi ?
- Le sexe, y'a pas que ça !
Yann sourit.
- C'est vrai, le sexe n'est pas tout... On s'en fiche après tout, hein ?
- Heu...
- Tu sais, après Marie, un jour, je suis tombé amoureux de nouveau, c'était un z'oreil aussi, un garçon. Je me suis mis à rêver d'une vraie relation pas que d'une histoire de sexe. Une vraie aventure, un vrai futur à deux. Il était pas hétéro, pourtant je n'ai eu aucune chance car il ne restait que trois semaines. Ce fut court mais désastreux, ça me poursuit depuis, tel un mauvais sort. J'en rêve tout le temps... Pas de lui hein ! À cette envie là.
Il se tourne vers la mer et y laisse se perdre son regard.
- Sauf qu'ici, ça n'existe pas, c'est pas dans les mœurs. Ici on se cache, faut pas que ça se sache.
Gabriel ne sait pas trop quoi en dire, il se contente de l'écouter.
- Je suis une grande pétasse romantique, moi ! ironise Yann.
- Pourquoi c'que tu parles d'toi d'cette manière ?
Yann hausse les épaules.
- Pourquoi pas ? Ça me vient naturellement, je suis un peu une nana, non ?
- J'parle pas d'ça, j'ai l'impression qu'c'est une façon d'te rabaisser. Tu t'compares pas à une nana, tu t'compares à une salope, et j'trouve que tu l'mérites pas ! Toute les filles n's'ont pas des pétasses.
- Certes...
- T'as l'air d'quelqu'un d'bien pour l'peu que j'connais d'toi. T'es gentil, visiblement fidèle en amitié. Tu souhaites une relation sérieuse, c'qui par les temps qui court est tout à ton honneur...
Yann lui coupe la parole.
- Entre ce que je souhaite et ce que je fais en réalité, y'a des kilomètres chéri, crois moi !
- J'arrive pas à t'croire.
- J'aime la luxure ! Ha, ha, ha ! Ca m'exciiite ! Si les gogos avec qui je couche sans les connaître ne réussissaient pas à me faire jouir de cette façon je serais incapable de me faire prendre, et ça rendrait ma vie vide de sens.
- Un sens ? Dans quel sens ?
- Haan tu es drôle quand tu veux.
(Silence.)
- C'est un rôle qu'tu joues, c'pas vraiment toi, moi j'te parle de c'ui qui rêve du prince charmant, pas d'l'acteur porno.
Yann le contemple avec de grands yeux brillants. Étonné qu'il ne se soit pas détourné, surpris de ne pas l'avoir dégoûté ou simplement choqué. Le visage de Gabriel n'a nullement changé d'expression, le plus important étant surtout qu'il l'a visiblement compris.
- Hihihi ! Un acteur porno ! Alors toi, t'es vraiment marrant ! Remarque, je devrais peut-être faire carrière, l'ambigüité ça attire les névrosés et les pervers et vu mon allure, je gagnerais sûrement à être connu. Je m'y vois bien !
- Moi pas.
- ROoo ! Tu ne me trouves pas suffisamment beau gosse ?
- J'doute pas qu'y aient du people qui aime c'genre de trucs vraiment, mais toi, tu rêves d'aut' chose. À ton âge, tu d'vrais avoir le courage de t'affirmer.
- Quelle audace... Tu as sans doute raison, ha, ha ! Ça a dix neuf ans et ça me donne des leçons !
- J'cherche pas à t'donner de...
- Je sais chéri ! Mais le prince charmant c'est bon pour les gamines !
- Bah, elles z'ont pas raison ?
- Peut-être... Et toi ? Tu cherches quoi ?
Au tour de Gabriel de se tourner vers la mer.
- À être bien. Une chose est sûre, l'sexe pour l'sexe, ça m'dégoûte. Les gens font c'qu'ils veulent, j'juge pas, moi j'peux pas, c'est tout !
Lorsque leurs yeux se croisent de nouveau, Yann ne cherche pas à cacher son trouble.
- Être bien... Pour combien de temps ? Tu restes quoi ? Six semaines ?
- Y s'rait p't'être temps qu'tu t'décides alors ! plaisante Gabriel en ponctuant sa «sortie» d'une claque sur la cuisse de l'androgyne.
Yann un peu surpris, manifeste un rire nerveux. Étrange mélange entre désarroi et rire cristallin.
- Allez rentrons, suggère Gabriel tout en se levant sans attendre, afin de ne pas prendre le risque de voir l'autre objecter.
Ils traversent la ville, remontent tranquillement le long de la côte sombre dans un silence presque total, jusqu'à la villa. Parfois leurs mains qui se frôlent les électrisent un peu. Indécis, Yann se questionne. Va-t-il continuer le chemin jusque chez lui et laisser filer cette, sans doute, dernière occasion ? Gabriel se charge de répondre à la question muette en lui prenant la main, l'attirant à lui, afin de le retenir. D'abord sans un mot jusqu'à ce que Yann l'interroge en silence.
- Reste... se contente de lui souffler Gabriel à l'oreille.
Yann ne se sent pas de refuser la proposition, une fois de plus. Leurs visages s'effleurent. Doucement, hésitants, ils entrent, seuls au monde, dans cette maison sans âme, la traversent d'un même pas et se retrouvent rapidement enlacés dans la chambre. Gabriel s'éloigne quelques instants pour mettre un peu de musique, laissant l'autre s'asseoir sur le lit. Yann est affamé, tremblant et intimidé comme pour un premier rendez-vous. Après tout, c'en est presque un.
Gabriel aussi est nerveux, il prend le temps de tamiser la lumière, d'entre-ouvrir la fenêtre, tourne autour du canapé.
- C'est pas l'moment d'foirer, réfléchit-il.
Enfin, les notes du piano s'égrainent, apaisantes.
- Tu... T'as envie d'boire un truc ? demande Gabriel d'une voix devenue plus rauque.
- N... Non.
Gabriel prend l'initiative, ses doigts effleurent la peau des joues du jeune andro qui ferme déjà les yeux. Yann panique, cette expérience ne ressemble en rien à ce qu'il a connu jusque là. Elle pourrait sortir tout droit de son imagination, si proche de ce dont il a tant rêvé, trop proche peut-être. Il craint la moindre erreur. Ses lèvres tremblent sous les doigts de son futur amant. Le souffle de l'autre se rapproche et il le laisse agir. Gardant les yeux clos, il savoure l'instant. Une autre main glisse dans ses cheveux. Gabriel l'attire à lui.
- R'garde-moi.
Les yeux de Yann s'ouvrent, la proximité de ce corps le fait réagir et l'embarras de la subite monté de désir, l'empourpre.
- T'es magnifique, l'assure Gabriel les yeux brillants.
Il embrasse ce visage, ces yeux, ces joues et cette bouche entre-ouverte qui réplique de suite, exigeante.
Les mains de Yann serpentent rapidement sous le teeshirt. Ils basculent sur le lit, Yann devient animal. Passionné, il chevauche bientôt un Gabriel allongé au milieu des coussins, qui se laisse facilement submerger, bien heureux de ce retournement de situation. Ils sont déjà presque nus.
- La peau... Sa peau, si veloutée... Son corps...
Yann est impressionné, le physique de Gabriel est fin et élancé. C'est celui d'un jeune homme de dix neuf ans un peu sportif. Ses épaules et ses pectoraux sont ronds et légèrement musclés. Une ombre légère dessine un peu ses abdos. L'ensemble est aussi doux à regarder que sa peau l'est à être caressée. L'expression du jeune réunionnais est un peu troublée. Il a des papillons dans le ventre et de l'électricité au bout de ses doigts.
- Ça va ? s'inquiète l'autre.
Est-ce la question qui stoppe Yann ? Il se contente de se laisser glisser contre lui, ferme les yeux et s'offre de nouveau aux multiples caresses de son ami. Leur étreinte est de miel et il n'y résiste pas longtemps. Il ne lui faudra en effet que quelques instants pour répliquer tel un fauve.
Gabriel n'a guère l'habitude, il s'étonne de ses réactions qui parallèlement l'excitent au plus haut point.
De calme, Yann devient survolté en quelques secondes, puis s'apaise de nouveau. Il se trouve quelque chose de touchant dans la manière que Yann a d'attendre avec une ferveur à peine feinte les gestes de son future amant. Et un côté carrément captivant aux assauts qui suivent chaque fois, en réponse de sa part.
Sans empressement, ils s'emportent tout deux dans une sorte de dance langoureuse, prennent le temps d'apprendre de leur corps et de leurs réactions. Pour Gabriel, la nouveauté consiste à découvrir le corps et l'attitude de Yann. Pour tout le reste - savourer les moments de tendresse, se découvrir patiemment, s'écouter, ressentir et laisser monter en soi le désir - il a pour sa part déjà grandement expérimenté cela. Ce qui est loin d'être le cas de Yann que cette attente, toute excitante qu'elle soit, met littéralement au supplice.
Alors que les derniers sous-vêtements ont volé, que les attouchements de plus en plus intimes se succèdent, certains regards se font indiscrets et leurs poids semblent attendre une explication, voir une excuse. Yann s'alarme quelques instants.
- Oui, tu vois, je ne suis pas monté comme un acteur porno, confesse Yann.
Mais Gabriel ne s'étonne que d'une chose :
- S'cuse, j'voulais pas t'gêner, c'est que j'avais jamais vu ça ! Tes couilles ont la forme d'un cœur !
- ...
- Et ta... Elle est drôlement fine pour sa taille, elle mesure combien ?
Devant la face déconfite de Yann, Gabriel se freine un peu.
- Enfin s'tu trouves ma question déplacée...
- T'inquiètes, j'ai l'habitude va ! Je nage dans un préservatif mais elle mesure vingt trois centimètres de long. C'est une longue baguette, hi, hi !
- Au moins tu n'me f'ras pas mal !
Yann ne pensait pas à l'éventualité d'être actif et s'inquiète de la proposition à peine voilée.
- Tu n'es pas heu... Tu aimerais que je heu... ?
L'autre hausse les épaules.
- T'bile pas, moi j'aime tout !
En quelques secondes, Yann est passé de la peur à la gêne, de la gêne à l'apaisement et de l'apaisement à l'étonnement. Il en arrive à l'envie et évite rapidement, en changeant de sujet, de donner plus de détailles sur son étrange anatomie.
- Tu... en as ?
La question fatidique sort de la bouche d'un Yann concupiscent mais avisé. Il prend les devants afin de détourner l'attention d'un Gabriel curieux qui pourrait bien poser d'autres questions, du genre : " Où est donc passé ton testicule gauche ? Tu es quoi exactement ?" Mais également : " Ce sont quoi ces petites protubérances sur ta poitrine ? "
Et ça marche, sans réfléchir plus longtemps, Gabriel, goguenard, saute en bas du lit, fouille dans sa valise et revient avec un lot de préservatifs premier prix.
- Des p'tits sachets plastiques hi hi ! On va pas les mettre tout de suite si ? J'tai pas encore sucé ! ajoute-t-il plus bas, telle une plaisanterie douteuse.
- Justement, je ne te laisserais pas le faire sans !
- Bhéé, y'a pas d'risque, si ?
Yann le jauge, la question est-elle sérieuse ?
- On vous apprend pas ça à l'école ? Vous n'avez pas eu d'intervenants ? Ils font quoi en métropole ? M'enfin tout le monde sait ça ! balance-t-il en voyant la mine dépité de l'autre. Gabriel détaille bêtement le contenu de ses mains et songe au nombre de fois ou il l'a fait, sans.
- Je me suis toujours protégé pendant l'acte mais...
- Héé panique pas, ok ? Je ferai partie de ce qu'on appelle « la population à risque » si je ne me protégeais pas. J'ai eu des dizaines de partenaires rien que cette année. Toi tu as eu quoi ? Un ? Deux ? Trois copains ?
- T'en as eu des dizaines ?
Yann balaie la question d'un revers de la main.
- Mais toi ? Il y en a eu peu, pas vrai ?
- Deux...
- Alors il y a quand même moins de risques que si tu étais moi ! Et puis c'est vrai, on ne peut pas dire qu'on ne risque rien mais y'a moins de dangers avec la fellation, j'avoue mon chou.
- Il suffit d'une.
La conversation a jeté un froid. Yann tente de le rassurer un peu en se serrant contre lui.
- Si tu es inquiet on ira faire un teste, ok ?
Les notes du piano se sont tues. La clarté de la lune dessine le contour du couple et les baisers se font musique dans le silence de la nuit. Ils restent un moment dans les bras l'un de l'autre, lampe éteinte. Dans ce noir tout relatif, l'étreinte devient plus chaude, peau sur peau, bouche contre bouche, sexes se frôlant.
Bientôt Yann gémit d'envie. Les précautions, prises cette fois sans un mot, permettent de ne plus parler pour ne pas risquer de casser le moment d'intimité. Les mains chaudes de Gabriel glissent sur son corps, sa chevelure folle lui balaye le nombril. Tout cela est réel et pourtant Yann n'en revient toujours pas. Bien sûr il y aura un prix à payer pour ce bonheur si vite consommé, le prix de la douleur, de l'arrachement, au moment où il faudra fatalement se quitter.
Doit-il croire au destin ? Y a-t-il là un signe ? Une nouvelle épreuve ? Il aura fallu beaucoup de chances et d'étranges événements pour les réunir. Yann cogite. Combien de chance pour qu'un jour ce si beau garçon habitant à l'autre bout du monde soit du même bord ? Combien de conditions réunies ainsi pour qu'ils se rencontrent sur la même île, dans la même ville, le même quartier, qu'ils portent le même genre de vêtements, soient attirés par la même culture ? Quel hasard pour qu'ils se trouvent tous deux musiciens, apprécient la même musique ?
Il aurait suffi de quelques kilomètres de plus, de quelques minutes même, pour qu'ils se loupent. Combien y avait-il de probabilités pour que Gabriel se retrouve à présent avec le sexe de Yann gonflé de désir dans sa gorge ?
Est-il vraiment approprié, au moment d'éjaculer « son plaisir » dans la bouche de son amant même protégé d'une fine couche de latex, de se questionner sur la présence d'un dieu manipulateur de destinée ? Ou est-ce vraiment du plus mauvais goût ? Yann est loin malheureusement, d'avoir la tête à ce qu'il est en train de laisser faire. Sans doute prend-t-il la chose trop au sérieux.
Même ainsi, la personnalité de Yann transpire par tous les pores de sa peau. Esprit tourmenté dans un corps délicat, la moindre caresse le fait réagir. Il est agréable de lui donner, mais son regard fixe laisse comprendre qu'il est encore déséquilibré par la situation.
- C'qu'il est beau et intéressant !
Gabriel goûte pour la première fois ce genre de caractère complexe, tellement différent de son ex sportif, plus basique, ou que le gamin qui a essuyé les plâtres par la suite. C'est probablement là, que l'âge de Yann se ressent réellement. Gabriel a l'impression d'être un peu inférieur à cause de ça, mais bien moins qu'avec son ex, et pas pour les mêmes raisons. Ici, point d'écrasement, juste une légère distance à conquérir.
Les préliminaires déjà plus qu'entamés pour lui, Yann laisse Gabriel le prendre, suite logique du mouvement. L'envie de se laisser aller et de lui appartenir est très forte. Il est surpris par la délicatesse de ses gestes et également par son habileté, plutôt inattendue pour une personne ayant si peu d'expérience. Décidément Gabriel est plein de surprises.
La lenteur de l'entreprise le perturbe quelque peu, il n'a vraiment pas pour habitude de savourer. Une nouvelle montée de désir et une impatiente avidité suscitée par le rythme lent de cet affameur le prennent au dépourvu. Sa propre voix miaulant le déconcerte.
Gabriel s'amuse de ses réactions, du mouvement inconsidéré de cette chair mis à la torture.
Yann en rougit, confus, mais ne peut empêcher ses suppliques, muettes comme sonores. Son corps tendu s'offre, réagissant au moindre frôlement, incapable de se contrôler. Le tremblement qui le secoue et le cri de gorge qui lui échappe, réactions inédites pour lui, accompagnent un orgasme puissant, le second de la nuit.
La cadence s'accélère et, à genoux sur le lit, n'ayant pas de nouveau protégé son sexe, stupéfait de jouir encore, la victime de cet assaut asperge le mur face à lui d'un jet violent. Yann est ébahi, il a rarement joui deux fois à si peu d'intervalle. La légère pression le plaquant contre son partenaire et le râle profond, lui indiquent que Gabriel a lui aussi atteint l'orgasme.
Ils s'affalent l'un contre l'autre sur le côté, haletants. Yann écoute quelques instants la respiration essoufflée de son partenaire résonner en cadence avec son propre cœur.
Gabriel l'emprisonne fortement dans ses bras, se voulant protecteur.
- Haaa c'était bonnnnnnnnnnnn ! clame le brun.
Yann sourit, un peu rêveur.
- A ce niveau là, c'est un euphémisme...
- Un quoi ?
- Nan rien, ricane-t-il nerveusement, toute la tension de son corps est en train de s'apaiser.
- Tu as aimé ? Lui demande alors Gabriel dans un souffle, tout en lui déposant quelques légers baisers dans la nuque.
- J'ai arrosé le mur !
Satisfait de la réponse, il fouine tendrement du bout du nez, la chevelure courte de son bel amant, lui caressant doucement les cuisses avant de se retirer.
- C'est pas grave...
Yann, toujours blottis contre lui, s'endort paisiblement sans même s'en rendre compte, serrant la main de Gabriel dans la sienne.