Le prix de la liberté

Par Sebours
Notes de l’auteur : Huitième chapitre sur les ancêtres de Ome.

On attribue aux fées des pouvoirs magiques bien que cela ne soit pas prouvé. Cette croyance trouve sa source dans l’impossibilité de trouver sans leur assistance l’un de leur village. Depuis que le bouclier-monde est monde, toutes les personnes ayant cherché les villes féeriques ont échoué et se sont retrouvées à errer dans les marécages de la bannière de Elduir-Khal. On estime qu’un tel prodige ne peut s’expliquer que par un charme puissant qui dissimulerait l’accès au territoire des fées.

« Les fées possèdent-elles des pouvoirs magiques ? »

extrait de l’Encyclopedia Gnomnica


Sauveur ne pouvait plus laisser durer sa comédie. Chaque jour, Borg, l’ingénieur militaire orc s’impatientait un peu plus de ne pas connaître le secret de l’acier. Sauf que le dernier né ne maîtrisait que les techniques rudimentaires du fer et du bronze. Il assistait le lieutenant du capitaine Gal dans ses expérimentations, mais chaque échec le rapprochait un peu plus d’un sacrifice rituel. Bien qu’il mangeât enfin à sa faim, il devait fuir.

Les soldats et les barricades rendait Udgog impénétrable, certes. Ils empéchaient également toute évasion. Tous les esclaves ayant tenté leur chance se retrouvaient éviscérés par les harpies. L’unique échappatoire à ces escadrons de la mort se trouvait dans les entrailles de la terre. Cependant, Sauveur savait à présent que la grotte menait à l’infra-monde et que les orcs vendaient ses semblables aux nains. Passer d’une servitude à une autre lui permettrait au moins de survivre, alors un plan germa dans son esprit. Le lendemain matin, il s’entretint avec Borg.

« Ingénieur Borg, j’ai pensé à un moyen de découvrir le secret de l’acier ! Vous m’avez expliqué que l’accès à l’infra-monde était sécurisé. Que seuls les derniers-nés de Nunn pouvaient entrer. »

« C’est ça esclave ! Je réfléchis au problème depuis des lustres. Il m’est impossible d’envoyer des espions. De toute manière, les orcs et leurs peuples alliés souffrent pour la plupart de claustrophobie ! »

« Envoyez-moi dans l’infra-monde avec le prochain contingent d’esclaves, ingénieur Borg ! Je m’arrangerai pour travailler à la forge et je vous ramènerai les techniques naines ! »

« Tu divagues, esclave ! Jamais les nains ne te confiront leurs secrets de fabrication ! Et puis comment reviendrais-tu ? »

« Donnez-moi un couteau. Quand j’aurai découvert le secret de l’acier, j’attendrai le moment opportun et je m’enfuirai. Les derniers nés de Nunn ne sont pas claustrophobes ! Je peux emprunter les galeries de l’infra-monde dans l’obscurité. »

« Peux-tu me garantir que tu reviendras, esclave ? »

« Non ! Mais j’ai été mieux traiter ici comme esclave que chez les elfes en étant soit disant libre ! Et je doute que les nains soient particulièrement chaleureux ! De toute manière, nos recherches n’aboutissent à rien ! »

« NOS recherches, esclave ?!! Tu t’inclus donc dans mon œuvre ? Tu te crois à ma hauteur ? Mon égal ? »

« Bien sûr que non, ingénieur Borg ! Mais je vous ai transmis de plein gré mes techniques de forge et je participe à vos expérimentations ! Je n’ai qu’un but, vous fournir le secret de l’acier pour me venger des elfes ! »

« Je vais réfléchir à ta proposition, esclave ! »

Les ficelles étaient grosses, le mensonge énorme, pourtant Sauveur sentait qu’il avait fait mouche. Peut-être parce qu’un fond de vérité teintait son mensonge. Il désirait sincèrement un triomphe des troupes orcs sur les elfes par le pouvoir de l’acier. Pour venger son père ! Pour venger sa lignée ! Pour venger tous les derniers nés ! Cependant, son objectif premier restait de sauver sa peau. Borg, l’ingénieur militaire lui donna un long couteau aiguisé et une boussole. Sauveur les cacha dans la doublure de sa botte et rejoignit les esclaves vendus aux nains. Il suivit le funeste défilé dans les entrailles du bouclier-monde. Il passa sans peine le système de portes élaborées qui marquait la frontière entre les deux territoires. A présent, il se retrouvait livrer à lui même dans un monde hostile et inconnu, sans personne à qui se fier. En avait-il été un jour autrement dans son existence ?

Les Marteaux d’Airain l’emmenèrent avec les autres esclaves dans une mine de charbon. On lui fournit une pioche et un casque et son nouveau labeur commença. Les nains ne dirigeaient pas eux-mêmes le travail d’extraction. Ils ne déléguaient même pas cela à leurs peuples alliés ! Les elfes asservis remplissaient le rôle de contremaîtres. Ces maudits profiteurs aux oreilles pointues continuaient à repousser les derniers nés de Nunn dans les conditions de vie les plus difficiles. Sauveur piochait la roche, remplissait et poussait les wagonnets. Le travail s’avérait éreintant, pourtant, là encore, contrairement au royaume de Batumia, il mangeait à sa faim. Il disposait même d’un peu de temps libre pour jouer aux cartes ou aux osselets. Une semaine passa. Puis un mois.

Le fils d’Innocent ne pouvait pas oublier les enseignements de son père. Comment aurait-il pu sacrifier sa liberté pour un bol de pommes de terre ? Il sonda ses congénères pour fomenter une révolte ou tenter de fuir. La crainte des représailles et la sûreté d’un repas chaud ne les incitaient pas à le suivre.

Se fut donc seul que Sauveur s’engagea sur le chemin de la liberté. Une nuit, ou du moins au moment ou tout le monde dormait (Comment pouvait-on savoir sous terre ?), il s’esquiva à pas feutrés de la galerie où l’on parquait les esclaves.Il aurait bien égorgé les des contremaîtres elfes qui gardaient l’entrée mais la peur de réveiller quiconque par les cris l’en dissuada. Comme il avait mémorisé la carte de l’inframonde de Borg, le fuyard s’orienta à l’aide de sa boussole. Le point de sortie le plus proche se trouvait à la croisée des sept chemin, dans la passe des montagnes noires. A partir de ce lieu Sauveur possédait le choix car il se trouvait à la croisée des mondes. En moins d’une journée de marche, il pouvait rejoindre à sa convenance les territoires Nains, Elfes, Orcs, Gnomes, Satyres, Dryades ou Fées. Il comptait bien ne plus jamais fouler les domaines des trois premières bannières !

Le trajet s’avéra plus difficile que prévu. En plus de l’obscurité fréquente, Sauveur du enduré la fatigue, la faim et la soif. Et quelque soit la galerie qu’il empruntait, elle le ramenait toujours au même point de passage solidement gardé, sans doute une frontière. C’était peut-être pour cela que personne n’avait entendu parler du « commerce » immonde entre les orcs et les Marteaux d’Airain. Les nains et les marchandises passaient cette douane contrairement aux esclaves. Le fuyard attendit donc le moment opportun. Il se glissa dans un chariot débordant de sacs de jutes et attendit, poignard en main. Une fois convaincu d’être passé, il attendit deux bonnes heures avant de quitter sa cachette dans un noir absolu. A partir de là, il guetta la moindre présence de luminors pour consulter sa boussole.

Sauveur mit trois semaines à atteindre le carrefour des sept chemins. L’activité vertigineuse du lieu impressionna le petit forgeron de la banlieue de Panamantra. Des gens de toutes origines allaient et venaient. Bien qu’il ne fut qu’un crasseux dernier né de Nunn suspect, personne ne fit attention à sa présence lorsqu’il se présenta. Il retrouva la surface après une montée étouffante d’anxiété. Il était enfin libre. Affamé et assoiffé, mais libre !

Sauveur choisit de rejoindre la vallée des gnomes. On décrivait toujours ce peuple comme prospère. Il contourna la cité elfe des Sept Chemins qui contrôlait la passe des montagnes noires. Le chantier de construction d’une ceinture de forteresses de part et d’autre de la ville impressionna le modeste petit dernier né de Nunn. Combien de ses frères allaient mourir à la tâche pour ériger ces édifices défensifs ? Une fois dans la vallée de la Pyrbe, le petit forgeron pensait pouvoir vaquer à de nouvelles occupations et vendre sa force de travail. Malheureusement, les gnomes avaient installé un péage à l’entrée de leur cité. De terribles et peu avenants Jinmekens, immenses chiens à tête de gnome gardaient la porte. Sauveur marchanda tant qu’il put. Il proposa ses uniques richesses et vendit sa boussole pour cinq as de bronze qu’il utilisa pour acheter une miche de pain. Par contre, les terribles négociateurs refusèrent tout compromis. Sans argent, il était impossible de vivre sous la bannière de Fladalf-Khal, le dieu du commerce et des transports.

Sauveur tenta donc sa chance au pays des satyres. Dans la forêt, ilparvint à trouver quelques fruits et quelques baies pour se remplir le ventre. Il trouva de quoi faire des liens solides et posa des collets. Avec son couteau au bout d’une tige de frêne, il fabriqua une lance. Son ingéniosité lui permit d’attraper quelques lapins et perdreaux. Pendant une semaine au moins, il put se nourrir de viande crue dans sa cabane de fortune. Alors, des satures débarquèrent, emmenés par le fianna responsable du secteur. Le guerrier-chasseur possédait seul le droit d’octroyer la permission de chasse sur son secteur. Sous la pression de ses semblables, il interdit à Sauveur de poursuivre son braconnage. Dans le cas contraire, il encourait la peine capitale.


 

Ne pouvant pas décemment poursuivre son expérience dans les bois des satyres, le dernier de Nunn tenta alors sa chance en pays dryade. Il prit soin d’éviter Anulune parce qu’il savait la cité colonisée par les elfes. Il longea le littoral en direction de l’Ouest jusqu’à trouver un premier village de pêcheurs. La plupart des habitants ne parlaient pas ou refusaient de parler l’elfique. Les peuples de la mer ignorèrent Sauveur dans un premier temps. Comme les autres, ils lui refusèrent le gîte et le couvert. Il n’avait pas de bateau ou d’hameçon. Il ne possédait pas d’argent non plus. Pour se nourrir, le dernier né de Nunn imita les enfants et survécut en récoltant des coquillages sur les rochers. L’indifférence des dryades se transforma peu à peu en mépris puis en dégoût. Un shardane, guerrier pasteur responsable de cette zone ne tarda pas à venir rétablir l’ordre. Comment souvent dans ces situations, le représentant du pouvoir frappa d’ostracisme l’étranger. Il tenta de le faire comprendre au malheureux à grand renfort de gestes.

Sauveur ne voulait pas partir. Il cherchait à s’intégrer, mais les simples pêcheurs possédaient des esprits trop obtus pour ouvrir leurs portes et accepter des membres de peuples non alliés. Le dernier né de Nunn tenta de convaincre le shardane que ses compétences pouvaient être bénéfiques. C’était peine perdue, son interlocuteur ne s’exprimait qu’en nausiquain ! Un crabe passa par là. Au comble de la colère, le banni écrasa la bête par pur énervement. L’attitude conciliante du guerrier pasteur se transforma en intransigeance. Avec son pouvoir hydrokynésique, il solidifia une pieuvre aux tentacules acérés. Et pour la première fois, un dryade s’adressa à Sauveur en elfique.

« Meurtrier de la nature ! Je devrais te tuer pour un tel acte ! Va-t-en et ne revient jamais ! »

Sauveur n’avait plus le choix. Il s’avança vers les marais du Sud, territoire des fées papillons. En quittant sa condition d’esclave orc, il pensait se libérer de toute contrainte et être si ce n’est accueilli et accepté, tout du moins toléré par l’un des peuples élémentaires. Personne sur le bouclier-monde ne voulait donc considérer les derniers nés de Nunn comme un peuple digne d’intérêt ? Les délicates fées constituaient son ultime chance de vivre sans subir l’oppression de quiconque ! Arpentant les marécages à la recherche d’un village fée, le forgeron se pencha dans une flaque pour se désaltérer. La surface de l’eau lui refléta une image qui le choqua. Il dépérissait. Il avait perdu plus de la moitié de son poids. Il n’était plus qu’un squelette décharné. Il comprenait enfin pourquoi il souffrait mille maux pour avancer dans ces satanés marais brumeux ! Il ne possédait plus aucune force. Voilà plus de trois mois qu’il ne se nourrissait de moins que rien. Dans les galeries naines et la vallée gnome il avait jeûné. Chez les satyres, trois passereaux et deux lapins n’avaient pas été suffisants pour stopper sa déchéance physique. La situation ne s’était pas révélé plus opulente sur les plages dryades. Un fruit à moitié pourri ou une carcasse à ronger auraient représenté un festin. Sauveur se nourrissait de racines aigres sans même pouvoir les cuire. Malgré les points de repère qu’il multipliait, il était perdu au milieu des marécages. Le brouillard permanent et impénétrable ne lui permettait pas de s’orienter. Bientôt, il n’y eut plus de racines. Où donc se trouvaient ces fées ?! Se moquaient-elles de son triste sort en cachette ?

Un matin, au bout d’un mois, peut-être deux, le temps n’avait plus de prise dans cet endroit lugubre, Sauveur n’eut pas la force de se chercher. Il savait que s’était fini, qu’il arrivait au bout du chemin. A contrecœur, il se résigna à rejoindre le royaume elfe. Les faubourgs des proscrits restaient les seuls endroits où il pouvait survivre avec moins que rien.

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