Le prix de l'échec

Par MariKy

Osmund alluma le dernier photophore qui projeta de nouvelles ombres sur les murs de son cabinet. Leur danse macabre venait s’ajouter à l’atmosphère étouffante du souterrain. Dragons empalés, silhouettes crucifiées et regards sans pupilles flottaient sur les pierres humides, obligeant les plus faibles à trembler de terreur. Le garçon qui venait de s’agenouiller devant lui en était le parfait exemple.

— Ton nom est Len, c’est bien cela ?

Le jeune homme hocha la tête, fébrile.

— Je veux entendre ta voix, ordonna-t-il.

— C’est Len, Maître… Maître Osmund.

Le Protecteur le félicita d’un sourire qui n’atteignait pas ses yeux.

— On me dit que tu as formulé le vœu de rejoindre mes hommes.

Le garçon, hypnotisé par le spectacle morbide des bougies, se contenta de hocher la tête. Osmund se plaça devant lui, le toisant du regard.

— Oui, Maître Osmund ! s’empressa d’ajouter Len.

— Et pourquoi cela, mon garçon ?

Une question piège. Osmund savait ce qui avait provoqué sa décision : son affection pour Sunva se lisait dans ses yeux, le nom effleurait ses lèvres. En rejoignant les Marqués, il serait directement sous ses ordres.

— Je veux servir dignement le Seigneur Hosgen et les Fondateurs, bredouilla-t-il. Et on dit… on dit que vos hommes sont plus forts.

Assez malin pour comprendre ce qu’on attendait de lui. Satisfait, Osmund esquissa un sourire. Tous les Gardiens de la Foi connaissaient à présent sa valeur, le respectaient, le craignaient. Peut-être pas autant que le Seigneur Hosgen… Pour le moment.

— Et sais-tu ce qui les rend si forts, Len ?

— Non, Maître Osmund.

Le Protecteur projeta une poignée de poudre noire dans la flamme d’une bougie. Une explosion résonna dans l’étroitesse du cabinet et la fumée les enveloppa. Len avait bondi en arrière, terrorisé.

— C’est la foi ! déclara Osmund en se retournant.

Profitant de l’effet qu’avait produit l’artifice sur le garçon, il se lança dans son interrogatoire habituel.

— En as-tu assez de craindre les démons ?

— Ou…Oui… Maître Osmund, bégaya Len.

— Parle clairement ! En as-tu assez de trembler de peur devant la magie-flamme ?

— Oui, Maître Osmund ! acquiesça-t-il d’une voix à peine plus audible.

— Plus fort ! Veux-tu surmonter tes peurs ?

— Oui, Maître Osmund !

— Veux-tu te rendre digne des Fondateurs ?

— Oui, Maître Osmund !

— Serais-tu prêt à te sacrifier pour eux ?

— Oui, Maître Osmund !

— En ce cas, tu es prêt.

La sueur perlait sur le front du garçon, envoûté par les huiles qui diffusaient leur parfum gras et piquant dans la pièce.

— Les hommes qui me rejoignent se soumettent à la volonté totale des Dieux. À travers moi, c’est les Fondateurs que tu serviras. Tu le comprends, Len ?

— Oui, Maître Osmund. C’est tout ce que je désire…

— Ôte ta chemise, ordonna le Protecteur.

Le garçon eut la sagesse d’agir sans poser de questions. Osmund se détourna de lui pour s’emparer de l’aiguille qu’il avait posée quelques instants plus tôt sur la flamme d’une bougie. La peau calleuse de ses doigts ne craignait plus sa brûlure, contrairement à la nuque de ceux qu’il marquait. Il les avait entendus gémir, il les avait vu trembler. Len, quant à lui, détourna le regard en serrant les doigts sur ses cuisses. Osmund se plaça dans son dos, posa sa main libre sur son crâne pour le contraindre à pencher la tête en avant. Le garçon obéit et ne tressaillit pas lorsque le Protecteur frôla sa nuque de la pointe rougie. Il la glissa lentement le long des cervicales pour arrêter sa course entre deux os saillants. Il tint fermement le garçon par l’épaule puis, d’un geste lent, il enfonça le tube incandescent. Quand il eut pénétré jusqu’à moitié dans la chair, Osmund planta sa paume à son autre extrémité. Le sang, habitué à ce rituel, s’écoula aussitôt dans l’ouverture. Il glissa jusque sous la peau de Len, pénétra ses muscles, se diffusa dans son cou. Les frissons parcouraient la peau du garçon malgré la chaleur de l’aiguille. Il sentait le courant glacé du sang et de la magie qu’il transportait. Guidé par la volonté d’Osmund, le liquide remonta à travers les chairs et coagula sous la peau pour dessiner des branches tortueuses mêlées de runes. Le Protecteur retira sa main, puis arracha l’aiguille de la nuque ainsi marquée. Malgré la chaleur du cabinet et la sueur qui dégoulinait de ses tempes, Len tremblait de la tête aux pieds. Le garçon releva finalement les yeux, perplexe. Quelle naïveté dans son regard ! Croyait-il vraiment que c’était terminé ? Osmund lécha la goutte de sang qui perlait de sa main et invoqua la marque.

Les pupilles de Len furent les premières à se révulser, puis la tête suivit le mouvement en arrière. Très vite, son corps entier fut parcouru d’élancements incontrôlables. Ses jambes s’agitaient, ses bras se tordaient en convulsions, son buste s’arquait en gémissements pitoyables. La marque étendait ses griffes dans chacun de ses nerfs, chacun de ses muscles, prenant le contrôle de sa chair par la douleur. Un écho étouffé de sa souffrance s’éveillait dans le ventre d’Osmund, tordant ses entrailles avec délice. Le sang répondait au sang. Quelques secondes avaient suffi pour créer une nouvelle extension de son corps. Quelques secondes qui avaient laissé le garçon étendu au sol, la nuque suintant de perles écarlates, les membres éparpillés comme une marionnette dont on aurait coupé les fils.

— Les Dieux ont lavé tes échecs passés. C’est en homme nouveau que tu vas te relever, à présent !

Les yeux hagards du garçon trouvèrent le regard déterminé d’Osmund, puis le déclic se fit. Ses iris dilatés, Len n’écouta pas la complainte de sa chair. Il obligea ses jambes à le porter.

— La Marque s’adaptera à ton corps pour le renforcer, expliqua Osmund. À travers elle, ce sont les Fondateurs que tu porteras sur la peau. Ils sauront te guider… ou punir tes échecs. Tu comprends, Len ?

Le garçon hocha la tête. Oui, il avait compris. Il n’y avait plus aucun doute dans ses yeux. C’était cela, la vraie force. Comme chacun des Protégés qu’il avait marqués, Len serait d’une loyauté sans faille. Rien à voir avec la marque bridée qu’Osmund apposait sur les Maîtres de la Pléiade ! Tandis que son nouveau Marqué se rhabillait, Osmund songea à celui qu’il allait devenir. Serait-il plus robuste ? Plus malin ? Le tatouage s’adaptait toujours à son hôte. Parfois, le sang d’Osmund venait accentuer une qualité pré-existante : il accordait plus de force, plus de souplesse, ou une résistance accrue à la magie. D’autres fois, il créait de toutes pièces une faculté hors norme, presque à la hauteur d’un Protecteur. Ceux-là étaient rares, mais ils étaient pour Osmund une preuve irréfutable de sa place au sommet. Un jour, d’autres le verraient aussi.

Le garçon de Watz n’était pas encore sorti que trois coups retentirent contre la porte du cabinet. Un seul regard du Protecteur, et Len se précipita pour ouvrir avant de se fondre dans le coin de la pièce. Deux Marqués encadraient la toge dorée du nouvel arrivé, qu’Osmund accueillit d’un air méprisant.

— Faut-il que je t’envoie mes hommes pour que tu daignes te présenter à moi, Gabael ?

Le Prêcheur de Solastène inclina la tête.

— Toutes mes excuses, Maître Osmund, je comptais revenir vers vous une fois l’affaire résolue…

Osmund inspira, agacé. Voilà à quoi il en était réduit sans la marque : envoyer des émissaires pour un simple soigneur. Il aurait gagné tellement de temps si chacun d’eux avait reçu le tatouage !

— Est-il allé voir Sunva, comme je l’ai demandé ?

Il vit Gabael se crisper puis secouer la tête.

— Estelon est introuvable, Maître Osmund. Personne ne l’a revu depuis des jours… Mais sa présence s’est avérée inutile. Sunva a fini par se réveiller ce matin.

— Alors qu’attendez-vous pour me l’amener ? gronda le Protecteur.

Gabael inclina la tête, un éclat d’espoir dans les yeux tandis qu’il se relevait.

— Et, Gabael ? l’interpella Osmund. Vous feriez bien de mettre la main sur votre soigneur avant que le Seigneur Hosgen mette la main sur vous.

Il s’amusa du tressaillement provoqué par ses paroles. Le Prêcheur acquiesça de nouveau, le visage défait, puis fila dans le couloir.

— Qu’est-il arrivé à Maître Sunva ?

La voix avait surgi de l’ombre. Osmund se retourna pour jeter un regard surpris à Len. Au moins, celui-là savait se faire oublier.

— Rien qui ne soit déjà puni, répondit-il avant de le renvoyer.

Le garçon n’en saurait pas plus. Mieux valait préserver l’image qu’il se faisait encore de son supérieur, aussi fausse soit-elle. Pourquoi lui parler de ce misérable qu’on avait abandonné au fond d’une ruelle en le laissant se vider de son sang ? Oh, Osmund avait bien pensé, d’abord, que Sunva avait échoué avec honneur face à Lyron… Mais il avait déchanté en découvrant la vérité : son élève avait tout simplement été victime d’un bandit opportuniste qui l’avait trouvé inconscient. Le scélérat l’avait traîné au fond d’une allée pour le dépouiller de ses biens et lui ouvrir les poignets en arrachant les talismans de Rochelave. De Sunva ou du malfaiteur, Osmund ne savait lequel était le plus crétin. Le premier, pour avoir failli mourir de si stupide manière ? Le second, pour avoir cru pouvoir revendre les pierres ? Hosgen faisait surveiller les marchés. Aucune Rochelave n’y circulait sans qu’ils en soient alertés. Le bandit croupissait dans les geôles depuis lors.

Cet incident, aussi dégradant soit-il, Osmund le retournerait en sa faveur. Il n’en avait pas encore parlé à Hosgen, pas avant d’obtenir l’accord officiel du Roi, mais ce n’était qu’une question de temps. Osmund obtiendrait une exécution publique. Un signe fort pour les Gardiens, un avertissement pour le Royaume. Personne n’avait le droit de s’en prendre aux Séides, le monde ne tarderait pas à le savoir.

— Maître Osmund.

Sunva avait repoussé les gardes pour marcher seul et s’agenouiller devant son Maître. Il avait la peau blême, plus encore que d’habitude, et des joues creuses qui s’ajoutaient aux cernes perpétuellement incrustés sous ses yeux. Il arborait de multiples bandages : au crâne, d’abord, suite au choc qui l’avait assommé, et aux poignets, encore boursouflés et rougis. Il avait fallu le rouvrir pour réimplanter les talismans.

— Mérites-tu encore de les porter, je me le demande…

Sunva serra les dents sans répliquer.

— J’ai hésité à te laisser dans cette ruelle, je dois bien l’avouer. Mais si les Dieux t’ont laissé la vie sauve, c’est qu’ils te jugent encore assez utile pour les servir. Alors, dis-moi, Sunva, pourquoi les Dieux t’ont épargné. T’es-tu montré à la hauteur de ta mission ?

— J’ai tout fait en ce but, Maître Osmund. Je vous le jure ! J’ai trouvé le Protecteur, comme vous me l’aviez demandé. Je l’ai affronté à l’écart de témoins, j’étais sur le point de l’abattre… Lyron était blessé, sans doute mortellement ! Mais la fille… La démone que le Seigneur Hosgen a capturé est intervenue ! Elle m’a eu par surprise…

— La fille ? s’étonna Osmund. Et le dragon ?

Sunva secoua la tête.

— Je n’ai pas vu le dragon, Maître. Je n’ai pas senti sa présence.

Osmund étira ses doigts dans un geste menaçant qui n’échappa pas à son élève.

— Si la fille était seule, explique-moi comment elle a pu t’échapper. Avec tes dons naturels et le pouvoir de la Rochelave, tu aurais être en mesure de l’arrêter.

Contre toute attente, Sunva releva la tête pour le regarder dans les yeux.

— Mais elle était vide, Maître Osmund ! Il n’y avait aucune magie en elle !

Osmund scruta son élève, méfiant. Et pourtant, non, Sunva ne mentait pas. Comment aurait-il pu même essayer, alors que le tatouage vibrait déjà dans sa nuque ? Le jeune homme relevait un visage confus, les yeux brillants de peur et d’espoir.

— Je vous demande pardon. J’ai tout essayé, mais j’ai failli à ma mission. Mon père… apprendra-t-il mon échec ?

— Attends-tu de moi que je compense tes fautes par des mensonges, Sunva ? Non. Tu sais ce qu’il en coûte de le décevoir. Les Dieux récompensent les réussites et sanctionnent les échecs, mon garçon. Que tu aies essayé avant d’échouer n’y change rien.

Puis, d’un geste las, Osmund invita les gardes à l’emmener et poussa un soupir. Il n’avait plus aucune excuse pour faire patienter Hosgen. L’heure était venue de prendre le chemin du donjon.

Personne ne s’aventurait près des appartements du Gardien Suprême depuis le soir de l’évasion. Pas de plein gré, en tout cas. Car la fille n’avait pas seulement libéré le dragon : elle était aussi parvenue, on ne sait comment, à détruire la majeure partie de leurs talismans. Cette découverte avait mis Hosgen dans une rage telle que les Gardiens venus lui rapporter les pierres brisées n’étaient jamais ressortis de la pièce. Osmund avait bien pensé envoyer Sunva s’expliquer lui-même, pourtant le garçon s’avérait trop utile, trop dévoué à son prétendu père, pour le sacrifier ainsi à la colère du Fondateur. En revanche, il avait failli à sa mission. Il connaissait le prix de l’échec. Alors, tandis qu’il grimpait les escaliers menant au donjon, Osmund invoqua sa marque. Il sentit un picotement dans son corps, infime reflet de ce qui se produisait chez Sunva. Il fit durer la peine tout juste quelques secondes, ce qui était suffisant pour lui faire désirer la mort, mais insuffisant pour le délivrer de sa vie. Les picotements avaient disparu lorsqu’il poussa la porte des appartements du Fondateur.

 

Installé dans son fauteuil de soie, un banquet devant lui, Hosgen avait l’allure d’un roi. Un roi ivre de colère qui avait coloré sa chambre de traînées écarlates. On avait beau avoir retiré les cadavres, le sang imprégnait encore les murs. Le parfum flottait dans la pièce, comme un arrière-goût rance pour gâter le buffet. Corbeilles de fruits, légumes confits et viandes en sauce s’étalaient là, pareilles à des offrandes sur un autel.

— Je sens que les nouvelles que tu m’apportes ne vont pas apaiser ma colère, Osmund.

Hosgen était tourné de côté, délaissant les victuailles intactes pour se tourner vers la lueur nacrée qui perçait des meurtrières.

— Je reviens vers vous comme promis, déclara Osmund en s’agenouillant. Sunva s’est réveillé et a pu s’expliquer…

Le Fondateur ricana d’un air désabusé qui ne présageait rien de bon. Osmund prit une inspiration avant de se lancer.

— La démone est intervenue pour sauver le Protecteur… Sunva assure que Lyron est blessé, mais ils sont parvenus à s’enfuir.

— Ne m’avais-tu pas assuré de la réussite de ton disciple ?

Osmund sentit son estomac se soulever quand Hosgen tourna la tête de son côté. Ce n’était pas tant l’effet de son regard luisant à la lumière des bougies, ni celui du masque fendu en son milieu. Non, la nausée d’Osmund était directement liée à ces coulées de sang qui maculaient le menton d’Hosgen, faisant ressortir la blancheur ivoire de ses dents.

— Je n’aime pas le goût de l’échec, fit le Fondateur en glissant un doigt sur ses lèvres teintées de pourpre. Et j’apprécie encore moins quand tu l’associes à mon nom.

— Votre nom ? répéta Osmund, cherchant à cacher sa panique. Non, je n’ai…

— Un bâtard qui se croit fils d’un Fondateur, voilà à quelle ruse tu t’abaisses ? Donner mon nom à l’engeance d’une catin ?

Comprenant qu’il était vain de nier, Osmund s’inclina pour implorer le pardon.

— Ce n’est qu’un mensonge murmuré à lui seul, Seigneur Hosgen ! Jamais je n’ai voulu vous offenser ! Ce n’était qu’un artifice pour l’obliger à porter les pierres… Il les supporte dans le seul but de vous servir…

— Il les supporte, Osmund ?

La voix d’Hosgen avait tremblé de rage. D’une main, il balaya la table, faisant voler assiettes et plateaux pour dévoiler la pile de pierres brisées amassées devant lui. Des dizaines de Rochelave, pointes de lances ou amulettes, que le feu de Windane avait privées de lumière.

— Et combien de tes manigances, combien de tes échecs penses-tu que je supporte, Osmund ?

Le souffle du Protecteur se perdait dans les yeux argentés. Les contours de la pièce se firent plus flous, plus étouffés. Un brouillard familier envahissait son regard. Les membres paralysés, Osmund se sentait tomber dans le vide, son esprit glissant vers un sommeil artificiel. La honte et la terreur remontaient par vagues de son ventre tandis qu’Hosgen réveillait ses cauchemars. C’était une main qui creusait ses souvenirs, qui cherchait les failles de son esprit pour les tirer à lui. Chacun de ses échecs, chacune de ses erreurs, chacun de ses moments de faiblesse.

— Il me serait si facile d’emprisonner ton âme, souffla Hosgen, mais je ne gâcherai pas mes talents sur un misérable insecte. Estime-toi heureux que je réserve ce châtiment à un autre.

Osmund inspira par saccades, libéré de l’emprise du Fondateur. Hosgen le toisait d’un air méprisant en massant ses paumes marbrées de veines noires.

— J’implore votre pardon, Seigneur Hosgen. J’ai échoué à satisfaire vos exigences, mais je ne laisserai pas cet échec se reproduire… Mes Marqués sont alertés, à Ayjaell comme ailleurs. Où que la fille et le dragon se cachent, nous les trouverons !

Hosgen poussa un soupir en se laissant aller contre son fauteuil. Il jouait avec une Rochelave brisée entre ses doigts.

— Il est trop tard pour le dragon, il a déjà regagné les siens.

— Alors j’organiserai une nouvelle expédition. Mes hommes se chargeront d’en ramener un autre. Sunva ne nous décevra plus, Monseigneur…

Le Fondateur ne le regardait plus. Il avait baissé les yeux vers son poing, encerclant la pointe écarlate d’une lance brisée. Elle frottait en un grincement aigu contre la perle incrustée dans sa paume tandis qu’il resserrait ses doigts. Un instant plus tard, la Rochelave explosa en poussière.

— La fille a détruit une grande partie de nos pierres, enchaîna Osmund, mais cela lui aura coûté cher. Sunva affirme qu’elle avait perdu ses pouvoirs. Vos talismans l’ont privée de magie !

Hosgen releva les yeux vers lui, intrigué. Puis il contempla ses doigts recouverts de particules rouges. Tant d’années perdues en une nuit. Tant de temps perdu pour des miettes.

— J’ai trop longtemps compté sur les talismans, la Sang de Dragon me l’a prouvé… Il nous faut agir plus vite, plus fort. Les hommes… Les hommes sont plus rapides.

— Seigneur Hosgen ?

Hosgen ne répondit pas à l’appel d’Osmund. Il tourna la tête vers la lueur de Rochelune qui perçait des meurtrières. La magie s’infiltrait partout. Elle brillait, elle chantait, elle coulait comme un torrent. Comment de simples pierres pourraient-elles l’arrêter ? Le courant était trop fort, trop puissant. La Rochelave n’était que poussière en comparaison, mais les hommes, eux… S’ils étaient assez nombreux, les hommes pouvaient se battre pour son eau jusqu’à en assécher la source.

— Tu possèdes un Marqué à Logas, n’est-ce pas ?

Osmund approuva d’un signe de tête, perplexe.

— À la cour même du Roi, précisa-t-il.

— Parfait.

Puis Hosgen passa la langue sur ses doigts pour récolter la poussière de Rochelave qui les recouvrait et ses yeux brillèrent d’une nouvelle idée.

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