LE PROTOTYPE À POIL

Vendredi 18 octobre, 17 h13. Le Diable habillé comme un prince entre en trombe, faisant sursauter Elizabeth.

LE DIABLE

Elizabeth ! Écoutez-moi bien ! J’ai une idée. Et par là je veux dire une brillante idée. Encore meilleure que toutes mes autres idées à la fois. (Il prend un air modeste.)

Je viens d’élaborer un nouveau modèle commercial. Celui que la gent féminine attendait depuis toujours. Enfin, il faudra qu’elle attende encore un peu, car je n’en suis qu’au stade du prototype. Sauf pour vous parce que je suis obligé de tout vous raconter. Alors, écoutez-moi bien pour une fois. Me promettez-vous d’être emballée par l’idée ?

Comme vous avez déjà sûrement pu le constater, j’ai un goût vestimentaire assez exceptionnellement exquis. (Il fait un petit tour sur lui-même pour qu’elle puisse admirer ses beaux atours.) Et j’ai l’expérience de la mode par-dessus le marché. J’ai œuvré jadis chez Vogue et Runway, mais les assistantes étaient vraiment toutes si… incapables.

Je vais…. Achtung… Vous n’allez pas en croire vos oreilles… car je vais… eh oui… remettre les manteaux de fourrure à la mode. Non, ne dites rien. Mes manteaux auront même quartiers de noblesse chez PETA. Vous savez bien à quel point le bien-être et les droits des animaux me tiennent à cœur. (Il pose la patte sur son cœur.) D’ailleurs, sachez que je suis membre bénévole non-payant chez PETA.

Connaissez-vous le slogan de PETA par cœur aussi bien que moi ? « Plutôt à poil qu’en fourrure » Mon slogan à moi sera « Plutôt à poil sous la fourrure ». (Il lui coule un regard coquin.) Ce sera une fourrure si douce qu’on pourra être nu en dessous. Vraiment elle n’aura que des avantages. Même pour le refroidissement libidineux.

Portez-vous de la fourrure ? Cela vous irait à merveille, si vous voulez mon avis. Je vous ai apporté quelques échantillons. (Il farfouille sous sa cape.) Attendez, je vais vous montrer, mais ne faites pas un scandale comme la semaine dernière s’il vous plaît. Ce ne sont pas des échantillons vivants. (Il sort une tarentule morte de sous sa cape.)VOILÀ ! Touchez-moi cette noble matière. Si si, touchez, juste pour sentir cette douceur moelleuse.

Super doux et super malin, n’est-ce pas ? Les araignées ne sont pas des animaux, mais des insectes. Quoi, non ? C’est bien la ruse ! Ça veut dire que même les végétariens pourront porter mes fourrures sans avoir mauvaise conscience. (Il triomphe.) Imaginez-moi ça. Des manteaux en fourrure de tarentules toute douillette. (Il fait mine de serrer un col de fourrure confortable autour de son cou.) Noël prochain, je vous en offrirai un. Oui, c’est bon, je sais que je n’ai pas le droit de faire de cadeaux, je dispose d’une courbe d’apprentissage, figurez-vous. Ce sera seulement un prototype avancé. Pas un cadeau. 

Savez-vous que les mygales et les tarentules existent en de merveilleuses couleurs ? Nul besoin de colorants toxiques. On pourrait même m’accorder un label écologique, tiens !

Vous préféreriez votre fourrure en marron foncé ou noire à rayures orange ? Personnellement, c’est cette dernière qui a ma préférence. Je peux même rajouter des boutons en pierres de lune si vous voulez. Alors ?

Soit. Laissez-moi décider et vous faire la surprise. Vous aurez l’honneur d’essayer ma collection en avant-première, comme un top model ou une trendsetter, une early-adopter. Je vous le promets.

AH AH ! Et le mieux, c’est que les femmes vont se les arracher parce que plus je vendrai de manteaux, moins il y aura d’araignées sur Terre. Les femmes auront pour ainsi dire un double avantage : plus elles achèteront chez moi, moins elles auront d’araignées chez elles. C’est comme un système de récompense à bonus intégré.

Vous n’avez pas l’air d’apprécier l’idée à sa juste valeur. Pourtant, ça m’étonnait qu’on trouve assez de femmes pour créer une association contre... (DING DONG) Grrrrr, voilà l’autre andouille qui arrive. Ne divulguez l’idée sous aucun prétexte ! Non, Madame, les échantillons restent là. Ce ne sont pas des cadeaux, seulement d’infâmes cadavres. Vous avez jusqu’à la semaine prochaine pour décider le motif que vous préférez.

Le prochain patient hurle d’horreur pendant qu’Elizabeth tente de lui expliquer peine perdue que ce ne sont que des échantillons.