Chapitre 17.
Durant tout le vol, Caleb s’était muré derrière un silence de plomb. Il avait répondu par de simple hochement de tête à chacune des paroles de sa cousine et lorsque celle-ci s’était levée en prétextant un besoin urgent il n’avait pas cherché plus loin. Ce qui se passa réellement, seule Hateya le savait. Ce ne fut que lorsque le pilote annonça qu’il devait atterrir plus loin que l’adolescent prononça quelques mots.
- La vache, l’ironie! On est obligé d’aller ailleurs et l’aéroport s’appelle Thunder Bay? J’ai vaguement l’impression qu’on essaie de me dire un truc!
- C’est ce que l’on appelle des signes. Des messages des Grands Esprits. Il faut que tu apprennes à les comprendre, souligna Hateya en lui offrant un large sourire.
- Un signe? Et je suis censé comprendre quoi au juste? Déjà pourtant l’avion fait un détour?
- Peu importe, on descendra à l’aéroport et je te guiderai jusqu’au camp. Tu ne risques rien puisque je suis là, d’accord?
Caleb répondit par une petite moue. Voir ses plans ainsi changer ne lui plaisait pas mais il savait qu’il ne pourrait faire autrement. Si loin de chez-lui, sans aucun repère, l’aide de la jeune femme ne serait pas de trop. Il croisa les bras, découvrit les paysages qui s’offraient sous ses yeux avant de pouvoir enfin descendre de l’engin. Ici, tout était différent et lorsqu’un frisson parcouru son corps, son premier réflexe fut de porter sa main sur son sternum pour serrer le pendentif de sa mère. Ce fut un geste involontaire mais qui eut le mérite de l’apaiser un tant soit peu. Il inspira profondément, récupéra son sac et posa son regard sur sa cousine avant de soupirer.
- Ok, c’est bon. Je te suis. Où va-t-on exactement?
- D’ici nous sommes à une petite heure en voiture du campement. J’ai un ami qui nous va nous rejoindre à l’extérieur de l’aéroport. Il nous emmènera.
- Oh! Euh, ok? Ça marche, souffla l’adolescent complètement perdu.
Caleb commença à suivre sa cousine à travers l’aéroport, si cette dernière semblait savoir exactement vers où se diriger les pas du jeune homme se faisaient chaque fois plus lourds. Il ralentit, sentit une pression l’entourer comme pour l’empêcher d’avancer et se stoppa. Il ouvrit la bouche, chercha à interpeller Hateya qui avançait toujours mais aucun son ne sortit. Son corps lui faisait mal, comme s’il se faisait percuter de toutes parts et parvint de justesse à se poser sur un banc avant de réussir à reprendre sa respiration. Un bourdonnement résonna dans sa tête, semblable à un rugissement qui serait monté des entrailles de la terre et Caleb ne put que tenir sa tête entre ses mains avant d’entendre la voix de sa cousine.
- Enfin Waban que fais-tu? On nous attend dehors! Allez debout!
- Je ne sais pas. Je ne me sens pas très bien. J’ai…j’ai l’impression qu’on essaie de me dire quelque chose. Ma tête me fait hyper mal!
- Ça ira mieux une fois que tu seras dehors. C’est le stress du voyage qui doit te faire ça, respire un bon coup, lui susurra Hateya en tapotant doucement sa main.
- Tout à l’heure tu parlais de signes, de messages des Grands Esprits. Je crois que je suis en plein dedans.
Caleb sentit la main d’Hateya venir saisir la sienne. Au même instant, un frisson le traversa et la voix de son grand-père résonna au plus profond de son être, une phrase hachée, répétée en boucle qui lui disait de revenir en arrière, d’ouvrir les yeux et de retrouver Hateya! L’adolescent suffoqua, pencha la tête et plongea son regard dans celui de sa cousine en murmurant.
- Hateya? Tu…tu l’as entendu toi aussi?
- Entendu quoi? S’agaça la jeune femme en le tirant pour qu’il se relève enfin.
- C’est pas vrai! Mais c’est pas vrai! grogna Caleb en cherchant à libérer sa main de celle de sa cousine.
- Assez joué maintenant, j’ai d’autres choses à faire, siffla la jeune femme alors que son visage se déformait sous la colère et qu’elle levait le bras.
Son geste avait fait naître une brume imperceptible aux yeux des voyageurs qui déambulaient autour d’eux. Caleb, lui, la voyait nettement. Elle l'enveloppait, l’entourait et au travers il pouvait voir tout ce qui se déroulait autour de lui. Le corps d’Hateya avait laissé place à celui d’un homme qui devait avoir, à peu de chose près, l’âge de son père. Son regard aussi noir que ses cheveux, son air impitoyable souligné par les cicatrices qu’il arborait, son sourire qui exprimait une violence incommensurable et enfin son rire. Son rire qui n’augurait rien de bon. Un nouveau geste suivit d’un “avance” obligea Caleb à le suivre et l’adolescent hurla de toutes ses forces. L’homme qui se tenait à ses côtés ne put réprimer un nouveau rire avant de lui faire face.
- C’est inutile. Les autres là, ne voient que ce que je veux qu’ils voient, n’entendent que ce que j’accepte qu’ils entendent. Même si tu te débats, rien n’y fera. Je t’avais dit que tu ne ferais pas le poids contre moi. Mais tu es aussi têtu et imbu de ta personne que ne le sont tes chers parents. Chacun à ses défauts, mais tu as hérité des deux . Pas de chance pour toi.
- Gaagi? chuchota Caleb en essayant de reculer.
- En chair et en os. Là encore, j’avais raison lorsque je t’ai dis que nous nous rencontrerions bien assez tôt.
- Mais. Comment est-ce possible? Et Hateya? Et…
- Stop, trop de questions! A mon tour. Qu’as-tu entendu exactement il y a deux minutes?
- Comme si j’allais te répondre! Laisse-moi partir! tenta-t-il d’ordonner avant de se heurter à un nouvel éclat de rire du chaman.
- Adorable! On dirait ta mère! Tu es comme elle. Tu penses que tu peux ordonner et obtenir ce que tu veux sans contrepartie? Les choses ne fonctionnent jamais ainsi.
- Si on parlait de ma mère justement! Ragea l’adolescent. Où est-elle? Que lui as-tu fais?
- Sombre, sombre, sombre histoire, chantonna Gaagi et l’obligeant à avancer jusqu’à l’extérieur de l’aéroport. Bien, nous devons avoir quelques minutes avant que mon ami ne vienne. Alors, que puis-je te dire sur ta chère mère? Elle n’est pas avec moi, cela fait des années qu’elle a pu me fausser compagnie.
- Tu mens. Dis-moi où elle est et ce que tu lui as fait! tempêta Caleb sans parvenir à se dissoudre au brouillard qui l’entourait.
- Je ne mens pas. Une fois mon œuvre accomplie je l’ai libéré. Tu veux savoir ce que j’ai fait n’est-ce pas? Et bien je te laisse le choix, ricana Gaagi en faisant disparaître le nuage. Tu peux partir en sachant que seul tu ne la retrouveras jamais ou me suivre jusqu’à chez-moi pour entendre toute l’histoire. A ta guise jeune vent d’Est.
- Comment tu m’as appelé? souffla le jeune homme déconcerté, enfin je m’en fous! Je ne vais pas t’écouter!
- Vent d’Est! Ce n’est rien de plus que la traduction dans ta langue de ton prénom. Même ça tu ne le sais pas et tu penses pouvoir venir sur nos terres comme si de rien était, railla l’adulte en le défiant du regard avant d’ajouter. Mais libre à toi de faire ton choix, tu pars ou tu restes?
Caleb avait déjà commencé à s’éloigner. Marmonnant pour lui-même, il alluma son téléphone qu’il vit aussitôt s’écraser au sol et fit volte-face en pointant son index en direction du chaman hilare.
- Non mais sans rire! Mon portable! Je sais que c’est toi!
- Je croyais que tu étais un grand chaman. Plus puissant que tous ceux qu’on a déjà connus! Ton gadget ne devrait pas te servir! Non?
- Je ne suis pas…commença Caleb avant de froncer les sourcils en entendant une nouvelle voix lui susurrer que le temps pressait.
Gaagi s’avança d’un pas tranquille dans sa direction, posant sa main sur l’épaule de l’adolescent qui semblait toujours consterné il se pencha, plaça son visage à quelques centimètres du sien et sourit.
- Suis-moi. A défaut de ce que tu imagines, je ne suis pas ton ennemi. J’ai dû patienter toutes ces années pour te voir enfin. Ils ne feront que te ralentir dans ton ascension. Mais moi, je peux t’offrir tout ce dont tu rêves.
- Je veux ma mère et ma tranquillité. Mais je dois me rendre à son village. Je crois… enfin…c’est important.
- Alors, allons-y, souffla Gaagi en désignant une vieille C10 grisée qui venait de se garer à deux pas d’eux.
L’adolescent porta un regard dédaigneux en direction de la voiture et observa l’homme qui se tenait derrière le volant. Au premier abord, il donnait le sentiment d’être stressé, peut-être un peu contrarié, mais le sourire d’encouragement qu’il accorda à Caleb lui valut un bref mouvement de tête de ce dernier.
Avait-il vraiment le choix? En montant dans la voiture ce fût la seule question qui le traversa et soudain il se redressa en criant alors qu’ils s’apprêtaient à quitter le parking.
- Merde, j’ai pas récupéré mon portable! Sans rire faut qu’on fasse demi-tour!
- Je croyais qu’il était cassé, soupira Gaagi sans lui accorder le moindre regard.
- Ben ouai, mais ma carte SIM doit encore fonctionner. Vas-y faites demi-tour là!
- Trop tard. De toute façon tu n’en auras plus besoin désormais, assura le chaman en allumant une cigarette et lui soufflant la fumée au visage. Sois gentil, tais-toi maintenant.
Le conducteur eut à peine le temps de se retourner pour voir l’adoescent grimacer et cligner des yeux avant de s’assoupir. Il ralentit malgré lui, posa son regard sur le chaman et souffla.
- Qu’est-ce qu’il s’est passé? Vous l’avez tué? Je croyais que? Enfin?
- Pourquoi le monde entier semble-t-il penser que je passe mon temps à tuer des gens? Il n’est pas mort! Tout comme je n’ai pas tué sa mère! Avoir du génie et de la créativité ne fait pas de nous des monstres! Je lui ai juste fait faire un petit somme, et puis, il m’est précieux bien qu’il ne parle trop! Allons-y, il se réveillera quand nous serons arrivés.
L’homme sembla hésitant. Après un bref regard en direction de l’adolescent puis du chaman il se contenta de rouler sans oser prononcer le moindre mot, ni la moindre question. Il se souvenait de son accord avec Gaagi, il savait qu’en obéissant sans faire la moindre vague il finirait par obtenir ce qu’il avait toujours désiré mais les questions, elles, étaient bien présentes. Jamais le chaman ne dévoilait ses plans, jamais il ne disait réellement ce qu’il voulait, ni ce qu’il comptait faire. C’était un puit de mystères, mais les puits aussi utiles soient-ils, étaient dangereux.
Lorsque le campement fut à porté de vue, il commença à ralentir, se mit à sourire à la vision des enfants qui couraient librement partout et pour la première fois en une heure de route, prononça.
- Faudra-t-il que je t’aide à le porter jusqu’à chez-toi?
- Ça ne sera pas utile, il marchera. Et veille que jusqu’à ce soir, personne ne vienne nous déranger. Nous avons besoin d’être seuls lui et moi.
Le ton du chaman était sans appel et le son de sa voix avait suffit à faire immerger Caleb qui se redressa de nouveau dans son siège malgré l’étourdissement et grogna.
- Putain, tu m’as fait quoi encore? Sans déconner, t’as un vrai problème toi? On t’a jamais parlé de la communication verbale?
Devant l’expression désabusée du chaman, le conducteur esquissa un sourire et jetat un regard dans son rétroviseur. Apercevant la moue contrite du jeune homme, une seule pensée lui vint à l’esprit. De toute évidence, il allait mettre à rude épreuve les nerfs du chaman mais il voyait nettement dans son regard une détermination à toute épreuve. Lui, l’enfant de Nirvelli, le vent d’Est, était certainement capable de surpasser Gaagi. Et s’il l'ignorait encore, le chaman lui, devait en avoir pleinement conscience. Les dés étaient pourtant jetés et seuls les Grands Esprits devaient connaître la fin de cette rencontre.
Merci pour ce chapitre :D
Caleb s'est effectivement fourré dans plus d'ennuis qu'il ne sait en gérer ! Et il a perdu son téléphone !
J'ai hâte de savoir comment ça va finir tout ça !
D'ailleurs, question bête amusante, et si aucune des Hateya n'étaient "la vraie " ?? :D
Merci à toi surtout de prendre le temps de lire!
Et oui, mon pauvre Caleb a encore bien du pain sur la planche pour réussir à se tirer de toutes ces histoires et le pauvre va devoir apprendre à gérer sans portable! Une tragédie pour lui!
Oula, déjà deux Hateya c'est beaucoup non?