L’endroit dégageait un profond sentiment de solitude et d’abandon, comme un vieux parent que l’on oublie de visiter et qui dépérit de ce manque d’affection. Il avait dû être splendide. Comment ne pas être impressionné par le grand escalier de pierre en colimaçon qui accueillait le visiteur ? Il imaginait Viviane à son sommet en maîtresse des lieux. D’innombrables fenêtres tapissaient le bâtiment et éclairaient de vastes pièces livrées désormais à l’ennui. Tout avait été laissé en l’état. Leurs pas s’imprimaient dans la poussière. On aurait dit des traces fraîches sur la neige encore immaculée.
Devançant les questions de Merlin, Aswald expliqua :
« Merlin m’a recommandé de ne toucher à rien après son départ précipité avec Dame Viviane. On devait croire le manoir déserté et la fée disparue à jamais. Alors, j’ai juste fait ma ronde, laissant le château vieillir. Les bouquets que ma maîtresse aimait tant cueillir ont fané, puis séché. Les miroirs se sont gâtés, un tapis de poussière a pris ses aises dans toute la maison. »
Arwald ressemblait à un agent immobilier. Il ouvrait les portes, puis livrait quelques informations sur la pièce. Les chambres se succédaient, vastes sommairement meublées. Au fur et à mesure, qu’il les découvrait, le petit garçon n’en décelait aucune propre à abriter le masque. Il s’autorisa à ouvrir une vieille boite, qui contenait quelques bijoux. Il tapa sur des pans de mur, pour mettre à jour quelques passages secrets. L’entreprise pour débusquer le masque s’annonçait colossale. Rien ne brillait, rien n’attirait particulièrement son attention, rien ne lui parlait, hormis le serviteur zélé, intarissable sur les fêtes au manoir.
Ils atteignirent enfin la salle à manger. Une immense table rectangulaire l’occupait avec de hauts sièges luxueux disposés autour. Des candélabres ternes disparaissaient sous un monceau de toiles d’araignée. Un luth semblait avoir été abandonné à la hâte dans un coin. L’endroit baignait dans un silence assourdissant. Même les musées qu’il avait visités, étaient plus bruyants. Il sentait que quelque chose de grave s’était passé. Alors, il se prit à croire qu’après avoir envoyé Guenièvre, Arthur et quelques chevaliers à l’abri, Merlin avait certainement voulu sauver Viviane.
« Se trouvait-elle métamorphosée quelque part dans le monde sans magie ? » et, puis germa cette idée folle « Et si en tant que magicienne, elle aussi se trouvait ramenée à la vie à travers une héritière ? » Il balaya rapidement cette idée saugrenue. Mais elle lui plaisait bien, tout comme en tant qu’enfant unique, il aurait rêvé d’avoir une grande sœur ou un petit frère pour partager ses joies et ses peines.
Toutes les salles se ressemblaient, et le découragement l’envahissait.
« Dame Viviane possédait-elle un atelier de magie ? » demanda enfin Merlin, à bout de patience.
- Pas que je sache, mais jeune monsieur, laissez- moi vous mener dans la pièce préférée de l’Enchanteur. Ce n’est pas la plus grande, mais c’est la plus fournie. Au fil du temps, c’est aussi devenue celle que j’affectionne le plus. Comme je vous l’ai dit un plus tôt, je consulte ses précieux pensionnaires pour tromper mon abyssal ennui. »
Merlin lança au gardien un regard chargé de reproches. Il avait envie de lui hurler : « Mais vous n’auriez pas pu commencer par là ! »
Ils passèrent sous une ogive en pierre finement ouvragée et pénétrèrent dans la bibliothèque du manoir. Contrairement à celle de Bréchéliant, celle-ci ne ressemblait pas à un repaire de secrets. Rien de mystérieux. Pas de fioles étranges, de potions, d’elixirs ou de poudres. Pas même un bouquet de plantes médicinales ou un instrument d’astronomie. C’était juste une belle pièce couverte d’une impressionnante tenture représentant une dame sublime devant une tente des plus luxueuses. Richement vêtue, elle tenait dans sa main un petit miroir. Merlin la contempla longuement se demandant si c’était là un portrait de Viviane. Elle ressemblait à une reine, avec une coiffure des plus raffinées et une robe or cousue de pierreries. Elle tendait le petit miroir ovale à un superbe cerf blanc afin qu'il puisse s'y mirer. Un buisson d'aubépine et un imposant châtaignier constituaient le décor. L'enfant lui trouva une troublante ressemblance avec son ami feuillu, et l'animal lui rappela par sa beauté et sa rareté celui qu'il avait aperçu dans le domaine d'Awena. Etait-ce une simple coïncidence ?
Il se concentra ensuite sur les autres murs occupés par trois meubles imposants dont les étagères accueillaient des exemplaires innombrables de tailles et d’épaisseurs diverses. Un fauteuil offrait asile au lecteur. Pourtant, l’endroit était singulier à cause de la présence inattendue d’un immense aquarium en son centre. Le clou de la pièce, en quelque sorte. De grandes algues d’un bleu soutenu y ondulaient. Aucun poisson ne semblait s’y être glissé. Sa dimension peu commune éveillait l'intérêt. Il aurait été magnifique si des poissons exotiques colorés l’avaient habité, mais seule cette grande liane demeurait. Instinctivement, Merlin se sentit attiré par cette végétation aquatique insolite. Oubliant un instant, les trois bibliothèques qui se nichaient chacune dans un pan de mur, il se dirigea vers l’aquarium gigantesque qui dévorait la pièce.
A son approche, l’eau s’agita davantage et lui-même fut pris d’un frisson. Aucune brise ne pouvait en agiter la surface, que des vaguelettes parcouraient néanmoins. L’algue ondula de plus belle et s’étira en d’harmonieux mouvements amples comme si elle débutait une danse. Merlin posa sa main contre une des parois et sentit des vibrations semblables au battement d’un cœur. Il ne put réprimer l’envie de toucher ce ruban soyeux couleur mer, qui se déployait comme s’il avait été mené avec grâce par une gymnaste inspirée. Un jour, alors qu'il se plaignait d'être traité de froussard, son père lui avait parlé de la peur.
"Champion, la peur n'est ton ennemie que si elle est trop forte et te paralyse. Alors, elle t'empêche d'accomplir de grandes choses. Mais, elle peut être aussi bien utile pour te mettre en garde face à un danger et te protéger un peu comme un instinct de survie." Pourquoi le garçon ne se souvint-il pas de cette petite leçon ?
Arwald poussa un cri, mais il était trop tard. Merlin avait plongé sa main à la rencontre de cette algue merveilleuse. Tout alla très vite. Une déflagration violente dans tout son corps. Un éclair azur écailleux claqua sur son visage et il tomba à terre comme foudroyé par une violente tempête. Un déluge déferlait sur son pauvre petit être, le submergeant presque. Avant de s’évanouir, il eut juste le temps de voir à l’extrémité de la liane, qu’il avait prise pour une algue, une tête fantastique et surtout six bras disposés le long d’un corps mou couvert d’écailles.
Quand il revint à lui, sa joue droite le brûlait, alors qu'il était trempé des pieds à la tête. Son corps entier semblait s’être vidé de toute énergie. Arwald l’avait installé à la hâte sur le grand siège, le seul que comptait la bibliothèque. Il était penché près de lui, roulant ses yeux très vite, visiblement inquiet.
« Jeune monsieur, vous avez été bien téméraire. Vous êtes encore tout fiévreux. Et cette méchante blessure. J’ai bien peur que vous n’en gardiez une trace. Le souffle de Typhon vous a atteint si violemment sur la joue ! J’ai bien appliqué quelque cataplasme salivaire, mais il ne peut apaiser que la douleur ! »
Merlin était bouleversé. Les larmes coulaient sans pouvoir les arrêter. Il ne comprenait encore pas bien ce qui s'était produit. Douleur, peur et désespoir les nourrissaient. Il voulait retrouver son petit monde douillet et ne plus éprouver cette souffrance. A la place, il était coincé au fond d’un lac, avait déchaîné la colère d’un monstre et se retrouvait balafré comme un vieux pirate, alors qu’il n’avait même pas fêté ses dix ans.
« Le souffle de typhon ? parvint-il à articuler.
- Ce ne peut être que lui un dragon de mer, j’ignorais qu’il se trouvait depuis tout ce temps dans l’aquarium. L’enchanteur a dû lui demander de veiller sur les lieux.
- Mais un dragon crache des flammes, protesta le garçon.
- Dans les contes peut-être, mais dans notre monde certains vivent au fond des océans ou des lacs, ils sont aussi puissants que les dragons de feu, dont ils neutralisent le pouvoir.
- Mais pourquoi m’a-t-il attaqué si je suis l’héritier ? Murmura-t-il incrédule en livrant ses dernières forces.
- Peut-être Merlin n’a-t-il pas eu le temps de le dresser. En tout cas, je gage que ce que vous cherchez se trouve au fond de cet aquarium, jeune monsieur. Et notre gardien ne parait pas disposé à vous le céder. »
L’enfant soupira, sa joue le lançait terriblement. Il ferma les yeux et s’endormit profondément.
Je fais mes suppositions...
Chaque nouveau chapitre réserve son lot de surprises. Tout d’abord, cette étrange demeure figée dans le temps et cette curieuse tapisserie. Les questions de Merlin à propos de la Dame me semblent pleines de bon sens. Du coup, j’ai pensé à la fille du début, celle du jardinier ? Ce ne serait pas si absurde. Ensuite ce formidable dragon, gardien d’un aquarium et que Merlin va devoir affronter ou convaincre ou entourlouper ? Mystère. Excellent mystère !
A bientôt
Merci infiniment de poursuivre avec toujours autant d'intérêt ta lecture et de livrer avec autant de régularité tes suggestions et impressions de lecture. Cela m'encourage énormément. Tu as de très bonnes intuitions :) A bientôt.