Reflets

C’était  comme si un petit garçon, une vieille dame et un inquiétant chat noir s’étaient donné rendez-vous tacitement au bord d’un lac silencieux. Merlin ne détourna pas son regard de l’étendue d’eau. Il y plongeait avec tristesse ses yeux et ses pensées depuis un certain temps. L’excitation et l’ivresse se dissipaient, il lui semblait qu’il émergeait d’un curieux rêve. Il se sentait comme étranger à lui-même. Une part d’enfance, ou plutôt un morceau d’innocence avait cédé comme un bloc qui se détache de la banquise pour partir à la dérive.

Elle reposa sa question en sphinx impitoyable. Awena n'avait pas fini de le tourmenter.

« La vois- tu ? »

Il la contempla enfin. Pas d’ailes, pas de griffes, mais  une attitude aussi intransigeante que la mythique créature. Risquait-il de finir au fond du lac, en cas de mauvaise réponse ? Les candidats qui avaient échoué erraient-ils dans les profondeurs ?  Il remarqua qu'elle avait repris sa canne. Heureusement, le serpent avait disparu, à moins qu’il n’ait été qu’une illusion, comme tout le reste.  

« Quoi donc ? Excalibur ? Une cité engloutie ? Camelot ? »

« Camelot » reprit-elle d’un ton nostalgique. « Si seulement, c’était aussi simple » . Et sa voix s’éteignit dans un spasme douloureux.

« Ton image ! » continua une voix qu’il entendait pour la deuxième fois. Il se retourna aussitôt, mais ne découvrit que la vieille dame et son chat. Pourtant, un homme avait parlé.

« Peut-être aurons-nous des conversations plus intéressantes à l’avenir ». C’était toujours l’inconnu qui s’adressait à lui. Il était tout près désormais et pourtant demeurait invisible. A côté de lui, il n’y avait que Sapristi. Et tout à coup, il remarqua que le chat ne miaulait plus, pourtant il agitait ses babines.

« Que te dit-il ? » interrogea Awena.

Elle précisa : « Toi seul, peux le comprendre. C’est l’un de tes pouvoirs assoupis qu’a libéré la formule du grimoire. »

« Moi, je peux comprendre le langage des animaux ? » bredouilla Merlin incrédule. 

- La langue des créatures magiques oui, tu peux aussi communiquer avec les végétaux, particulièrement les arbres. Ne l’as-tu pas senti ? 

- Pourquoi moi ? Je ne suis qu’un banal petit garçon de neuf ans ?, s’étonna-t-il à voix haute.

- Le crois-tu toujours ? »

Visiblement, la réponse était non. Instinctivement, il s’approcha du bord du lac pour y apercevoir son reflet. Awena en effleura la surface avec le pommeau de sa canne. Un monstre allait-il surgir des profondeurs ? C’est alors qu’il le vit à nouveau, mais cette fois-ci plus distinctement. Il reconnut bien l’homme qu’il avait deviné la veille. Mais son reflet à lui, où se trouvait-il ? Qu’est-ce que tout cela signifiait ?

Le vertige commençait à s’emparer de lui.  Il ferma les yeux pour échapper à la troublante vision. Il sentit Awena qui posait une main osseuse sur son épaule en signe de réconfort et le corps de Sapristi qui frôlait ses jambes flageolantes. Lorsqu’il eut repris ses esprits, il observa à nouveau l’étendue d’eau avec crainte. A côté de l’homme se trouvaient désormais une magnifique  jeune femme et un chevalier en armure de belle prestance, qui portait une couronne. Merlin devait se résoudre à l'évidence. Là, il n'était plus question de fariboles ou de lubies d'une vieille femme. C'était bien réel, mais cela le dépassait. Awena prit la parole avec gravité.

« Je te présente le Miroir des Vérités »

Cela signifiait-il que tout le reste n’était que mensonge ? Impossible de concevoir que la vérité soit au-delà des apparences. Il toucha son visage, le reflet de l’homme fit de même à la différence près que lui sentait sous ses doigts les traits d’un petit garçon.

Un chat qui parlait, un lac magique ! Il ne manquait plus qu’un lapin blanc et on se croirait bientôt dans « Merlin au pays des Merveilles ». Pourvu qu’en prime, il ne rapetisse pas !  Il avait déjà la taille d'un nain de jardin, aux dires de ses ex "collègues" de l'école.

«  Qui êtes-vous ? » eut-il la force d’articuler, pendant que son esprit tentait d’assimiler les faits et se débattait en vain pour trouver une explication rationnelle.

« Je suis ce que tu vois dans l’onde, le reste n’est que sortilège, pour nous protéger. »

« Protéger ». Ce verbe ne fit que relancer un flot d’interrogations et une vague d’inquiétude. Awena courait donc un danger. Et il se doutait que par un étrange jeu de ricochets, lui aussi devait être en péril.

« Vous voulez me faire croire, que Sapristi n’est pas un chat, mais un chevalier ?

- Il est bien plus qu’un chevalier, c’est un roi, le souverain d’un royaume oublié, que toi seul peut réveiller. »

Il eut envie de crier qu’il y avait une erreur de casting. Il n’avait jamais auditionné pour « le beau au bois dormant ».  Pas question d’embrasser qui que ce soit.

« Il y a bien longtemps de cela, nous n’avons eu d’autre choix que de fuir, mais en faisant le serment de revenir. Le temps est venu de tenir notre promesse et de l’affronter à nouveau.

- Qui ça ? »

Etrangement, le nom qu’elle prononça ne l’étonna pas. Comme s’il avait deviné, ou plutôt comme s’il l’avait toujours su, comme si de vieux souvenirs enfouis remontaient à la surface. Alors, il l’écouta raconter son histoire, une légende des temps anciens, une légende qui n’en était pas une.