Le voyage de poche

Notes de l’auteur : Ce texte a été écrit pour un concours de nouvelles organisé par la ville de Chambéry, dont je suis native. Il n'a pas été retenu, mais comme pour tous mes textes, j'ai pris du plaisir à l'écrire, même s'il est loin d'être parfait. Je vous le partage.

Nous sommes en 1780, je m’appelle Bhopal. J’étais libre avant. Puis un jour j’ai été recruté pour servir un homme important qui gère le jaghir où je suis né. Il se nomme Benoît. Il n’est pas méchant. Mais je m’ennuie. Je ne peux plus aller gambader comme je l’entends. Je me sens emprisonner. Je passe mon temps à manger et à me morfondre. Ce n’est pas une vie très drôle. J’ai l’espoir de pouvoir faire autre chose de ma vie un jour. Quand il est nostalgique, il arrive à mon maître de me parler de ses voyages. Ils sont extraordinaires. J’aimerai pouvoir faire comme lui. Il a rêvé de venir dans mon pays grâce à des images, moi à l’écoute de ses récits, je brûle de découvrir un jour le sien et de m’y établir. Je passe difficilement inaperçu avec ma masse. Je ne peux pas m’enfuir. Il faudrait qu’il décide de rentrer chez lui en Savoie. Je pourrai alors fonder ma propre famille, comme il l’a fait ici. Il semble trop attacher à son existence sur mes terres. C’est injuste. Je réfléchis à un moyen de l’influencer. Peut-être que l’une des divinités du peuple indien décidera à me venir en aide si je me tiens bien.

Il fait très chaud, j’imagine qu’un souffle de vent arrive. Je sens son air me caresser le visage et… Mais non, ce n’est pas mon imagination, une tempête commence à prendre forme ! Tous les cornacs se sont précipités à l’abri, nous délaissant. Les rustres ! Nous sommes livrés à nous même. Mes compagnons de captivité ne semblent même par réagir. Au mieux, ils se contentent d’un barrissement. Mon œil est attiré par quelque chose d’inhabituel. Je suis d’un naturel curieux. Avec précaution, je décide de m’approcher lentement, très lentement. Je ne sais pas ce que cela peut-être. Cette chose semble s’éloigner à chaque fois que je pense l’atteindre. Sans m’en rendre compte, je quitte mon enclos et je me retrouve au cœur de ma chère forêt qui me manquait tant. Je suis aussi complètement perdu. Tout à changer, mes repères ont disparu. Pas de panique, j’ai une prodigieuse mémoire et je trouverai surement des souvenirs d’enfance dans ces lieux.

Tout à coup, j’entends un étrange bruit de craquements. Intrigué, je me dirige vers la source du bruit. J’ai peur en même temps. Un animal féroce pourrait aussi m’attaquer. Je connais les dangers de mon domicile. J’écarte les branchages et qui vois-je ? C’est Benoît, c’est mon maître qui a été emporté par le vent et projeté ici, loin de toute habitation. Il est empêtré dans une végétation à laquelle il n’est pas habitué. Je me dépêche de voler à son secours. Après tout, même s’il me garde en captivité, il a toujours été bon pour moi. Et c’est peut-être l’espoir aussi de voyager enfin hors de mes frontières et de goûter tous ses plats dont il me rebat les oreilles et qui semblent lui manquer. Ni une ni deux, je le dégage de sa prison de verdure.

Comme toujours, il m’accueille avec le sourire. Maintenant je suis à peu près certain que j’ai été guidé pour le sauver. Je vais pouvoir négocier mon départ de l’Inde vers la Savoie. J’ai les oreilles qui frémissent rien que d’y penser. Je me racle la gorge, et là, miracle ! Je sais parler en langue humaine. Les divinités m’ont entendu et m’accorde cet immense privilège. Je me suis donc très bien comporter. J’ai maintenant une très lourde responsabilité. J’engage donc la conversation avec Benoît. Au début, il a peur de me voir discuter avec autant d’aisance, puis il se rassure. Il voit que je ne lui veux aucun mal. Je le fais grimper sur mon dos pour le ramener vers son habitat naturel. Le parcours est très agréable et répond à toutes mes questions. Il comprend ma soif de découvertes. Il a la même.

La chaleur est revenue. Nous faisons une pause. Je sens une étrange odeur. Voyant mon air interrogatif, mon ami sort de sa poche un petit paquet qu’il ouvre. Le contenu a une couleur crémeuse et semble dégouliner. Il dégage une odeur de plus en plus forte. Il m’explique que c’est un fromage de chez lui. Il me propose de goûter. Comme je suis un grand gourmand, je ne résiste pas à la tentation. Miam ! C’est délicieux. Ça fond dans ma bouche, je savoure. Je sens fondre aussi. Mais… Non… Mais… Si… Je fonds pour de vrai. Je rétrécis. Je deviens tout petit, tout petit. Et je sens qu’une partie de moi s’étale sur le sol.

Benoît est plus grand que moi. Il se penche sur moi. Il sait que je rêve de voyager. Alors il me dit que c’est une opportunité pour moi, qu’il va m’aider. Il approche sa main, gigantesque de moi pour me prendre et me mettre dans sa poche. Mais je ne décolle pas du sol, je suis fixé. Il remarque que je suis placé au centre d’une croix. Elle indique les quatre points cardinaux. Il réussit à s’en saisir. Libéré de cette entrave, je grandis à nouveau. Je ne peux toujours pas bougé, je reste immobile, comme une statue de fer. Je regarde en direction du logement de mon maître. Il n’a plus qu’à utiliser mes fers pour retrouver son chemin. Un petit bout de moi va explorer le vaste monde.

Quelques années plus tard, il rentre chez lui, dans sa ville natale. Avec moi dans sa poche trouée. Au milieu de la foule, il ne rend pas compte que je glisse et tombe sur le sol. Les gens me piétine, jusqu’à m’inclure dans le pavé de la rue. Un an après son retour, il meurt. Je me languis un jour de voir autre chose que les semelles des passants. Puis, comme il manque terriblement aux siens, une larme, une deuxième, une troisième, une quatrième, une cinquième. Un fourmillement s’empare de ma croix et je me mets à pousser, grandir. Je domine à nouveau la situation et peut regarder des quatre côté à la fois. Comme autrefois je porte mon bon maître. J’ai les pieds dans l’eau et je ne cesse d’en cracher. Je suis toujours de métal et ne peux me déplacer. J’espère qu’un jour, ma partie restée en Inde pourra enfin me rejoindre.

Vous connaissez maintenant la véritable histoire de la fontaine des éléphants. Ce n’est toujours pas à cause d’un éventuel passage d’Hannibal qui aurait voulu s’offrir une session ski-tartiflette en faisant un long détour par les Alpes du Nord.

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Ety
Posté le 08/08/2024
J'allais écrire que c'était intéressant de te voir dans la peau d'un animal après tant d'objets... mais au final c'est aussi un objet xD Et un sacré voyage. Je n'ai pas les références de Chambéry/Savoie mais je trouve la chute très réussie!
plumedencre
Posté le 13/08/2024
Au départ c'est 1 animal. Mais grace à la magie, il devient 1 objet.
La fontaine des éléphants est 1 monument historique à Chambéry. Depuis qu'ils ont été restauré, ils sont souvent décorés. Tu dois pouvoir trouver des photos sur le net
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