Antoine était bien décidé à profiter pleinement du week-end d’inté’. Hors de question de chaperonner Rolph comme il avait déjà pu le faire en soirée. On était en vase clos, entre étudiant·es de l’école, pas de risque que Rolph se fasse agresser et quoi qu’il puisse faire comme conneries, ce qui se passe en week-end d’inté’ reste en week-end d’inté’, c’est bien connu. Evidemment, il n’allait pas tiser comme un malade. Avec son traitement, il ne devrait déjà pas boire d’alcool. Il le savait et se contentait toujours de quelques bières. Cela lui convenait très bien. Il avait des souvenirs de lycée où il avait fini dans des états déplorables. Il avait de vagues souvenirs de ce qu’il avait pu faire à certaines de ces soirées, mais les quelques réminiscences lui laissaient un goût amer ; une vague de honte le submergeait quand il y repensait. Non, pendant ce week-end, il allait s’adonner à son passe-temps favori : observer les autres.
Antoine adorer essayer de deviner ce qui se cachait derrière les sourires, les attitudes et les comportements des gens. Il imaginait leurs défauts, leurs petits secrets. Le week-end d’inté’, c’était pour lui une occasion fantastique d’observer, tel un anthropologue, les personnes avec qui il allait passer ces trois prochaines années. Qui allait coucher avec qui, qui allait se prendre la tête avec qui, à court ou à moyen terme. Antoine se posait dans un coin, et il regardait. Il rigolait quand tout le monde était hilare, il esquissait à l’occasion quelques pas de danse pour ne pas passer pour un mec coincé, il lâchait une blague bien sentie quand il avait l’attention générale. Personne ne se méfiait de lui, on lui faisait volontiers des confidences, surtout quand on était ivre ; ce qui lui permettait d’alimenter les films qu’il se faisait dans la tête.
Par exemple, Eléonore n’allait sûrement pas craquer pour Rolph s’il continuait à faire le blaireau comme ça au bord de la piscine. Heureusement qu’elle n’était pas là pour voir ça. Où était-elle d’ailleurs ? Tout le monde semblait être présent à la soirée, le bar était pris d’assaut, la piste de danse débordait. Les gens n’étaient pas encore trop souls pour être partis vomir et la nuit n’était pas assez avancée pour que les couples commencent à déserter pour forniquer. C’était tout à fait le style de fille à attendre pour faire son apparition au bon moment à la soirée, histoire de se faire remarquer, il l’aurait parié.
Greg et Etienne lui sautèrent dessus en poussant des cris de chats sauvages. Ils étaient visiblement très contents. S’ils continuaient à picoler autant, il doutait qu’ils soient en capacité de rejoindre leur bungalow commun à l’autre bout du camping pour dormir. Entre Rolph et eux, il avait de la chance s’il n’écopait pas d’un nettoyage de vomi quand il faudrait rendre le bungalow le dimanche… Il n’arrivait pas à savoir s’ils couchaient ensemble. Son intuition légendaire lui faisait défaut. Est-ce qu’ils étaient seulement gays ? Peu importe, ce n’étaient pas les mecs mignons qui manquaient. Le président du BDE était vraiment charmant, mais cent pourcent hétéro, c’était certain. Il sortait d’ailleurs avec la présidente des pom-poms girls… LE cliché ! Néanmoins, une petite voix lui disait dans sa tête qu’on n’était jamais certain de rien tant qu’on n’avait pas essayé.
Une envie pressante le fit s’éloigner de la fête pour rejoindre les sanitaires. Alors qu’il en sortait, il entendit un bruit étrange, comme un sanglot. Il n’y avait personne autour de lui. Le bruit recommença. Il comprit alors qu’il provenait des toilettes des filles. Il s’approcha de la porte et lança un timide : « Ça va là-dedans ? » Les sanglots cessèrent. Une voix lui répondit un peu brutalement : « Ça va, je gère. »
Antoine insista, le syndrome du prince charmant activé : « Qu’est-ce qui se passe ? Vous avez besoin d’aide ? » Une fille jaillit dans son champ de vision. C’était Eléonore.
« Je t’ai dit que ça allait, ok ? C’est Daphnée, elle a trop bu et elle a pas l’habitude je crois. Ou alors c’est le joint qu’on a fumé, j’sais pas… Je pensais qu’elle allait vomir et que ça irait mieux mais elle fait une sorte de bad-trip chelou. »
Antoine s’avança.
« Je peux la voir ? Je veux dire, elle est visible ? » Il ajouta, devant la moue d’Eléonore : « j’ai mon brevet de secouriste. »
Eléonore le regardait fixement. Elle est carrément déchirée, pensa Antoine. Je dois m’assurer que sa copine va bien. Elle se décala pour le laisser passer : « Ok, vas-y... »
Antoine ouvrit la porte du seul sanitaire qui était fermé et découvrit Daphnée qui était assise par terre, la tête appuyée contre la cloison. Elle ne sanglotait plus mais elle gémissait doucement. Il l’appela par son prénom, mais elle ne réagissait pas. Il posa la main sur son front. Il se rendit compte qu’il ne se rappelait rien des consignes de secourisme. Bon, elle était consciente, il fallait juste la surveiller. Il se rappela avoir vu un poste de secourisme à l’entrée du camping. Il se tourna vers Eléonore qui l’avait rejoint : « Ecoute, on doit l’amener au poste de secourisme ok ? Aide moi à la relever. »
Daphnée se laissa faire comme une poupée. Ils sortirent des sanitaires la tenant et la portant à moitié, bras-dessus bras-dessous et s’engagèrent dans l’allée principale du camping.
« Ça va, elle n’est pas trop lourde pour toi ? » demanda Antoine à Eléonore. Il s’attendait à avoir tout le poids de Daphnée qui penchait vers lui, mais il avait l’impression que c’était le contraire.
- « T’inquiètes pas mec, j’ai fait dix ans de gymnastique à haut niveau, je suis plus musclée que toi… »
Elle rit. Antoine pensa : encore un argument pour qu’elle se mette avec ce géant de Rolph, elle n’aura aucun mal à le porter en rentrant de soirée s’il le faut. Cette image le fit rire, Eléonore crut qu’il riait de sa remarque, elle lui sourit : « T’as l’air sympa toi ! Comment tu t’appelles ?
- Antoine.
- Moi c’est Eléonore. »
Entre eux deux, Daphnée geignait par instants. Bien sûr que tout le monde connaissait son prénom ! Il ne lui fit pas remarquer. Il se doutait qu’elle le savait et il détestait faire des compliments à des gens qui en recevaient déjà bien trop. Mais comment elle fait pour marcher avec des chaussures pareilles ? Elle portait des talons de dix centimètres et avançait bien droit dans l’allée, en portant sa pote sans sourciller, alors qu’elle était complétement défoncée. Et ce grand chapeau noir qui ne bougeait pas de sa tête... N’importe qui aurait été ridicule avec ça, mais pas elle. Antoine s’avoua qu’il était impressionné.
Dès qu’ils arrivèrent en vue du poste de secourisme, deux bénévoles arrivèrent vers eux avec empressement et les déchargèrent de leur fardeau. Antoine laissa Eléonore leur expliquer la situation. Elle dit seulement qu’elle avait trop bu, passant sous silence les substances illicites qu’elles avaient fumées. L’un des deux secouristes à qui elle s’adressait la regardait d’un air dubitatif, tandis que l’autre installait Daphnée sur un brancard.
Antoine eut tout à coup une réminiscence de son cours de secourisme : toujours dire la vérité pour une bonne prise en charge du patient. Des gens étaient morts car on n’avait pas osé avouer ce qu’ils avaient pris. Il lui coupa la parole et dit d’une voix ferme : « Elle a fumé aussi. Du cannabis sans doute. »
Eléonore se tourna vers lui, l’air furieuse.
« Ecoute, il faut dire la vérité, c’est important pour qu’elle soit soignée comme il faut », ajouta-t-il pour se justifier. L’un des secouristes le remercia et leur dit qu’ils pouvaient rejoindre la fête, que leur amie était en sécurité. Il ajouta que drogue et alcool ne faisaient pas bon ménage et qu’ils feraient bien de se calmer s’ils ne voulaient pas rejoindre leur copine sur un brancard. Eléonore tourna les talons et Antoine les remercia.
« Attends Eléonore ! »
Il arriva à sa hauteur. Elle ne marchait pas très vite avec ses talons. « J’étais obligé de leur dire, tu comprends, dans son intérêt. » Eléonore soupira : « Oui je sais, t’as raison. C’est ce mec dans le bus, il a commencé à nous brancher avec ses potes et quand on est arrivés, on s’est rendu compte qu’on était dans les bungalows à côté l’un de l’autre… Donc avant la fête ils nous ont dit de passer et vu qu’ils fumaient, on a fait pareil. Daphnée ne voulait pas trop y aller mais je l’ai poussée. Je me sens un peu coupable mais en même temps, on l’a forcée à rien. C’est même elle qui a demandé à tirer sur le joint la première… Et voilà, maintenant elle a pourri la soirée ! »
Antoine s’énerva : « Attends, ta pote est dans cet état parce que tu l’as entraînée et tu te plains que ta soirée est ruinée ? T’es sérieuse là ? T’es vraiment qu’une connasse en fait, je m’étais pas trompée sur ma première impression. »
Eléonore s’arrêta. Elle lui répondit, l’air mauvais : « Je t’ai rien demandé mec, c’est toi qui est venu t’incruster dans l’histoire. Alors si c’est pour me faire la morale, tu te casses. »
Antoine était sidéré. Il hésitait entre lui donner un coup sur le rebord de son chapeau à la con pour le faire tomber ou la planter là avec une insulte bien sentie, quand il s’aperçut qu’elle s’était mise à pleurer. Il détestait ça. Les filles en pleurs, il ne savait pas gérer. Les mecs non plus d’ailleurs, mais c’est plus rare – on les dresse depuis l’enfance à ne pas le faire. Il se radoucit tout de suite.
« Bon écoute, je vois bien que t’es pas dans ton état normal, t’es défoncée. Tu te rendras sûrement compte demain que tu ne pensais pas ce que tu disais – si tu t’en souviens… », ajouta-t-il.
Il s’approcha et la prit dans ses bras. C’était ridicule, elle mesurait au moins quinze centimètres de plus que lui et son chapeau lui rentrait dans la tête. Heureusement que personne n’était là pour voir ça. Il se rendit compte que c’était la première fois qu’il prenait une fille dans ses bras. Il lui tapota maladroitement le dos. Eléonore se laissait faire. Elle se reprit vite.
« T’as pas un mouchoir ? » demanda-t-elle en reniflant.
- « Euh non, déso. Je vais pas pousser la galanterie jusqu’à te prêter une manche de mon sweat pour que tu te mouches, rêve pas. » Elle rit.
- « Excuse-moi, j’ai été conne. » Il la lâcha.
- Bon, on va boire un verre pour se changer les idées ?
- Ok, je vais juste repasser aux sanitaires vite fait, je te rejoins au bar ».
Antoine se dirigea vers la fête, en se félicitant d’avoir plutôt bien géré la situation. Heureusement qu’il n’avait pas eu à faire de vrais soins, mais qu’est-ce qui lui avait prit de mettre en avant ce brevet de secourisme passé il y a trois ans et dont il n’avait pas vraiment de souvenirs ? Il nota de ne plus jamais en faire mention à l’école. Bon, allons voir ce que Rolph est en train de faire comme conneries… S’il n’est pas déjà tombé dans la piscine, essayons de le rendre présentable pour faire les présentations avec Eléonore, pensa-t-il. Il avait hâte de voir quelles surprises ce week-end allait lui réserver.
Cela rappelle forcément des souvenirs des années étudiantes et notamment des résidences universitaires.
Je ne suis pas une spécialiste des styles littéraires, je suis plutôt mon instinct et là j'aime beaucoup...