Rolph était planté au milieu de la cour. Il fumait une cigarette et regardait quelque chose sur son téléphone. Je m’arrêtais pour le regarder à une certaine distance. Il avait vraiment de l’allure. Il dépassait tout le monde de deux têtes. Impossible pour lui de passer inaperçu. Ce jour-là, il avait ajouté une écharpe à son cuir. Je parierais qu’elle était en cachemire ou en alpaga. Le gars n’avait que des affaires coûteuses. Son téléphone était le dernier modèle, le casque de musique qui ceignait sa tête avait des options incroyables. J’avais envie de le détester rien que pour ça. Pourtant, ce n’était pas pour la frime qu’il faisait l’acquisition de ce type d’accessoires hors de prix, c’était parce qu’il avait toujours eu l’habitude de ne posséder que des affaires dernier cri. Il les prêtait facilement, les perdait fréquemment, elles n’avaient pas de réel intérêt pour lui.
J’avais vite constaté les avantages que m’apportaient son amitié si aisément acquise. Plusieurs fois par semaine, il m’invitait à manger dans l’un des fast-food du quartier, sans compter toutes les bières qu’il m’avait déjà payées depuis presque un mois que la rentrée avait eu lieu. Au début, ça m’avait gêné, j’avais tenté de protester, de lui expliquer que je ne pourrais pas lui rendre la pareille. Très vite, il m’avait mis à l’aise en m’indiquant le montant alloué mensuellement par son père pour ses frais : cela représentait presque six fois mon loyer. Rolph savait que cette somme était à la limite de l’indécence et m’avait expliqué qu’il estimait normal de partager avec un ami qui n’avait pas cette chance.
Je ne pouvais m’empêcher de penser que monnayer sa compagnie n’était pas le moyen le plus sûr de se faire des ami·es sincères. J’avais vite remarqué que d’autres étudiant·es cherchaient à se faire payer des tournées dans les bars, d’autant plus que Rolph ne tenait absolument pas l’alcool, ce qui était très étonnant vu sa carrure. Bien malgré moi, je devins vite son chaperon. Je le surveillais quand il commençait à se donner en spectacle, intervenant quand il me semblait que son attitude dépassait les bornes. Il avait une voix de stentor et il savait mettre l’ambiance en entrainant tout le monde à chanter à sa suite. Plus les chansons étaient paillardes, plus elles lui plaisaient et plus il remportait l’approbation, à ma grande stupeur. Je me gardais bien de montrer ma désapprobation.
Je récupérais son portefeuille quand il tombait de sa poche révolver alors qu’il grimpait sur une table ou tentait d’escalader un panneau de signalisation. Je lui prenais ses clefs et son téléphone dès le début de la soirée, discrètement – il ne s’en rendait même pas compte – pour éviter qu’il ne se retrouve à la rue à la fin de la soirée ou n’ai publié sur sa story des vidéos gênantes dont il aurait eu honte le lendemain. Je n’osais pas imaginer comment finiraient les soirées si je ne l’accompagnais pas. En un sens, je lui rendais bien ses faveurs.
Au demeurant, cette situation était plutôt commode. Puisqu’il attirait tout le monde par son physique, sa gouaille et son portefeuille, je devins vite aussi célèbre que lui. Tout le monde connaissait déjà nos prénoms à l’école – du moins en avais-je l’impression. Nous avions participé à tous les événements de la rentrée, et nous attendions avec un enthousiasme mêlé d’appréhension le fameux week-end d’intégration qui aurait lieu dans quelques jours. Les filles étaient irrésistiblement attirées par Rolph et s’il n’était pas si soûl à la fin de chaque soirée, ce n’est pas moi qui le raccompagnerais. Il ne semblait pas vraiment s’en rendre compte. La seule fille qui l’intéressait était Eléonore, l’archétype même de la femme fatale que j’avais remarqué elle aussi le jour de la rentrée.
Justement, elle apparut dans mon champ de vision. Assise sur un banc, elle discutait avec une autre fille mais semblait regarder autre chose. Je m’aperçus qu’elle regardait en fait la même chose que moi : c’est-à-dire Rolph. J’esquissais un sourire et je m’avançais vers lui. « Salut mec. Dis-moi, j’ai l’impression que tu ne vas pas tarder à assouvir ton plus cher désir… » Lui dis-je d’un ton mystérieux.
Rolph retira son casque et me sourit. Il leva la main pour me faire un check.
« Antoine ! De quoi tu parles ? » me répondit-il en soufflant sa fumée.
- « Ta meuf là… » Je désignais d’un mouvement des yeux la direction où était assise Eléonore.
- « Quoi ? » Dit-il en se tournant vers la direction indiquée sans une once de discrétion.
- « Et bien vu comment elle te mate, à mon avis, le week-end d’intégration est prometteur pour toi !
- Sérieux ? » Il rougit. « Mais comment tu sais si elle vient ? » poursuivit-il.
Je haussais les épaules : « Parce que tous les mecs savent qu’elle s’est inscrite, voyons ! »
Il me semblait parfois qu'il avait un train de retard sur tout le monde.
« Dans ce cas, il va y avoir de la concurrence… » dit-il d’un air songeur.
- « Attends, une meuf comme ça c’est pour toi ! Vous seriez le couple glamour de l’école, c’est sûr… »
Il était flatté. Je le pensais. Ils iraient parfaitement ensemble. Elle pourrait elle aussi s’occuper de lui en soirée, ce qui me permettrait de faire ma propre vie. Maintenant que j’avais acquis une certaine notoriété à l’école, je pouvais me détacher un peu de Rolph. Eléonore m’était tout à coup beaucoup plus sympathique. Cette idée était la bonne, il allait falloir que je favorise le rapprochement de ces deux-là. L’entremetteuse qui était en moi se réveilla à cette perspective.
Nous fûmes interrompus par Etienne et Greg, deux acolytes de notre classe qui s’étaient comme nous rencontrés le jour de la rentrée. On traînait souvent ensemble et ils étaient plutôt sympathiques. Greg était une tête, un mec brillant qui s’était vite fait remarquer par les professeurs. C’était très pratique pour moi qui étais souvent à la traine. À la pause ou pendant l’heure du déjeuner, je lui demandais de me réexpliquer certains points des cours que je n’avais pas compris. Il était toujours patient et je crois que ça lui plaisait de m’aider, en tout cas il s’exécutait avec le sourire.
Etienne et lui habitaient dans le même immeuble, par le fruit du hasard, ce qui avait facilité leur amitié. Ils venaient et repartaient à l’école ensemble, de vrais siamois. Etienne était efféminé et j’avais déjà entendu des remarques sur son compte, ainsi que sur son amitié avec Greg, qui m’avaient mises mal à l’aise. Cela m’avait décidé à devenir amis avec eux. Je me disais que si Rolph et moi affichions ouvertement notre complicité avec eux, grâce à notre côte de popularité, personne n’oserait s’en prendre ouvertement à eux. Ma sœur se moquait souvent de moi et de ce qu’elle appelait mon « syndrome Mère Theresa ».
A cet instant précis, Etienne se mit à faire une imitation très convaincante de la prof d’espagnol, une main sur la hanche : « Como estàis chicos ? » Il roulait les yeux, la voix haut perchée. C’était saisissant de justesse. Autour de nous, tout le monde s’était mis à rire. Cette prof était connue pour son côté théâtral, dont on se demandait parfois si elle n’usait pas pour tenter de séduire ses étudiants. Etienne, lui aussi, adorait attirer l’attention, une vraie starlette. Il aurait dû faire des études de comédie, pas d’ingénieur.
Alors qu’il continuait son impro, je levais les yeux vers la salle de classe qui surplombait la cour. J’y vis la prof d’espagnol, qui elle, contrairement à nous, ne riait pas. L’hilarité s’éteint brusquement en moi et je me sentis coupable. Je réalisais que je me voulais honnête et intègre, mais que je me laissais entrainer dans des moqueries gratuites. Cela ne me ressemblait pas. J’étais différent des autres, par bien des aspects et la volonté de me faire accepter ne devait pas effacer mes convictions profondes.
-Dans le premier paragraphe, tu as marqué "ceignait" mais ce verbe n'existe pas --'
-Dans le troisième paragraphe, il y a un accent circonflexe sur le i de "entraînant"
-Vers la fin du chapitre (au moment où Antoine pense qu'il devrait rapprocher Elénonore et Rolph) tu as mis "entremetteuse" mais comme c'est un garçon, "entremetteur" serait préférable
Voilà ! En tout cas, Rolph à l'air d'être un mec bien malgré sa carrure de bad boy ! Voyons la suite !