« C'est pas trop tôt, t'es enfin sorti de ton antre, le mioche. »
Camille accueillit les mots de son père avec indifférence. Avec le temps, il avait appris à l'ignorer. Ça avait été difficile au début : la voix tonitruante du paternel retentissait dans toute la maison, et il avait fallu à Camille plusieurs tentatives pour la faire taire une bonne fois pour toutes avec ses propres pensées. Maintenant, il était devenu maître en la matière, et les reproches de son père n'étaient plus qu'un vague vrombissement. Comme une radio qui grésille. À la longue, ça devenait agaçant, mais pendant les quelques minutes qu'il était obligé de passer avec lui le matin, cela faisait largement l'affaire. Le laisser parler était la seule solution pour qu'il se tut enfin, et pour qu'il pût manger en paix.
Il aperçut sa mère et sa sœur entrer à leur tour, les traces de l'oreiller encore présentes sur leurs visages, et les cheveux en bataille. Elles avaient beau dire qu'elles se trouvaient hideuses au réveil, c'était comme ça que Camille les préférait. Il avait toujours considéré le réveil comme l'heure de la vulnérabilité. Le cerveau était encore lourd de fatigue, et la superficialité de la journée à venir n'était pas encore présente. Ce n'était que le matin qu'elles n'avaient pas à se cacher. Elles exprimaient librement leur air grognon et bâillaient à s'en décrocher la mâchoire. Leur mère en venait parfois à lancer quelques piques à leur père, ce que Camille et Juliette trouvaient rafraîchissant. D'ailleurs, quand elle réussissait à le faire taire pour de bon, le jeune homme était assuré de passer une bonne journée.
« Vu ta tête, j'imagine que tu as passé une mauvaise nuit. » Camille se contenta d'un vague grognement, action uniquement tolérée le matin par sa famille, et qu'il utilisait à cœur joie avant de se faire rappeler que non, les grognements n'étaient pas une réponse adéquate lorsqu'on lui adressait la parole.
« Au fait, est-ce que tu as vu les nouveaux voisins, hier ? » lui demanda sa mère d'une voix douce.
« J'ai cru comprendre qu'il y a un couple et aussi une fille de ton âge, ça te ferait un peu de compagnie. C'est vrai que dans le voisinage, il n'y a pas beaucoup de jeunes. » Elle le regardait avec enthousiasme et Camille ne pouvait se résoudre à lui dire qu'il avait déjà rencontré la voisine, et qu'en plus de ça il s'était comporté d'une manière exécrable avec elle. Sa mère était bien sa seule faiblesse, celle qui il lui était intolérable de décevoir.
«Non, j'ai vu personne. », répondit-il un peu trop rapidement pour que cela paraisse naturel. A son grand soulagement Juliette fut la seule à l'avoir remarqué. Toutefois, elle ne dit rien et se reporta au bol de céréales devant elle. Malgré leurs six ans de différence, ils avaient toujours été complices. Dans cette maison, il était primordial d'avoir des alliés face à la tyrannie de leur père, et le répondant tranchant de Juliette avait réussi à le sortir de situations embarrassantes à plusieurs reprises. Avec elle, il savait que son petit mensonge serait bien gardé.
« Ça serait une bonne idée qu'on les invite à manger ce soir, vous ne pensez pas ? Rien de mieux que de voir de nouvelles têtes !
- C'est sûr que dans ce coin pourri, ça ne ferait pas de mal de voir quelqu'un de nouveau. Au moins les vieilles du village auront une nouvelle proie pour leurs foutus ragots.
- Juliette !
- Quoi, maman, c'est vrai ! Ici, tout le monde passe son temps à parler dans le dos de tout le monde. Ça ne m'étonnerait même pas que les vieux d'en face nous regardent avec des jumelles en ce moment même. Ils doivent sûrement être en train de vérifier ce qu'il y a sous notre robe de chambre.»
Sans s'en apercevoir, les quatre paires de yeux se fixèrent sur la maison en face d'eux, à la recherche du moindre mouvement suspect. Camille fut le premier à détourner le regard. Il se foutait royalement si les Martel d'en face l'espionnaient ou non. Sa vie était à mourir d'ennui, il ne voyait pas ce qu'il y avait d'intéressant à regarder.
« C'est vrai que les Martel sont un peu... curieux vis-à-vis des autres, mais de là à nous espionner ! Ils se sentent seuls, c'est tout.
- Seuls, mon cul ouais » Leur père renchérit de son rire gras. Sa bouche était encore pleine et donna à Camille l'envie de vomir. « C'est juste de vieux emmerdeurs, un point c'est tout. Seuls les gens qui n'ont jamais eu de vie sociale s'intéressent à celle des autres. Bientôt ce sera le cas de Camille. D'ailleurs, quand je vois ta tronche de déterré, je me demande si tu ne planques déjà pas une paire de jumelles sous ton lit.
- Cédric, arrête d'embêter le petit, tu vois bien ce que ça lui fait !
- Sérieusement Karine, est-ce que tu peux arrêter de le materner ? Regarde ce que ça a donné, un putain d'attardé même pas capable d'aligner deux phrases. Si seulement il pouvait prendre exemple sur sa sœur, on n'en serait pas là.
- Arrête de les comparer à la fin, tu ne fais – »
Deux raclements de chaises les interrompirent. Juliette et Camille connaissaient la rengaine, une fois sur leur lancée, ces deux-là ne s'arrêteraient pas avant plusieurs dizaines de minutes, voire plusieurs heures. Enfants, les disputes de leurs parents les effrayaient, et ils restaient blottis l'un contre l'autre, en attendant avec angoisse que la tempête se calme enfin. Maintenant, les éclairs étaient devenus une habitude, cela faisait partie de la triste routine de la famille Langlois. Sans dire un mot de plus à leur parents – à quoi cela aurait-il servi ? – ils se dirigèrent vers leur chambre respective et claquèrent la porte derrière eux. Camille jeta un coup d'œil à son ordinateur, et secoua la tête en murmurant des profanités, surtout à l'encontre de son père. Dans son état actuel, il lui était impossible d'écrire le moindre mot, le venin de son père avait déjà fait effet. Il allait rester dans un état de léthargie jusqu'à ce soir, incapable de sortir la moindre créativité. Il s'habilla tranquillement, bercé par les hurlements de ses parents. Il prit ce qui lui tombait sous la main, et se déshabilla devant la fenêtre grande ouverte. Avec un sourire amer, il repensa aux voisins d'en face. S'ils voulaient se rincer l'œil, c'était maintenant ou jamais. Dans son sac à dos, il prit son livre et quelques biscuits, de quoi tenir jusqu'à tard dans la nuit. Après le fiasco d'hier, il n'avait clairement pas l'intention de se retrouver nez à nez avec la voisine aussi vite.
Le plus doucement possible, il descendit les escaliers et se faufila par la porte d'entrée. Personne n'était au courant de ses petites escapades en solitaire, ses parents pensaient qu'il passait la journée chez Benjamin ou des amis imaginaires. En réalité, il s'était trouvé – déjà depuis plusieurs années – un endroit désert, qui paraissait à des années lumières de tous ces pavillons similaires et de ces gens qui lui donnaient mal à la tête. Il s'était même surpris lui-même lorsqu'il avait avoué à son psychiatre que cet endroit lui avait permis de ne pas devenir complètement fou, de s'accrocher un peu à la vie.
Sans regarder en arrière, il parcouru rapidement les derniers mètres qui le sépareraient de son lotissement et l'éloigneraient de cette routine qui lui pourrissait l'existence.
***
Cela faisait déjà plusieurs heures qu'il s'était endormi lorsque le froid du vent d'octobre le réveilla. Désemparé, il se frotta les yeux, et regarda attentivement autour de lui avant de se souvenir qu'il était venu ici, près du vieux saule pleureur en tout début de journée. Les heures passées ici avaient réussi à l'apaiser, et il se mit à espérer que l'idée de sa mère d'inviter les voisins à manger était passé aux oubliettes après l'engueulade de ce matin. Dans sa précipitation de tout à l'heure, il avait oublié de prendre son portable avec lui, et lui était donc impossible de demander à sa sœur si les nouveaux arrivants étaient bel et bien en train de manger dans le salon. Il consulta sa montre, et vit qu'il était 21 heures. Il lui faudrait au moins une heure pour rentrer jusque chez lui, et il valait mieux pour lui rentrer sur le champ. Il n'osait même pas envisager la réaction de son père s'il rentrait à minuit, et encore moins celle de sa mère. La politesse était cruciale à ses yeux, et les dîners entre amis étaient ce qui rendaient la vie supportable. Quand il voyait le résultat sur lui, Camille avait franchement envie de rire. Visiblement, sa mère avait eu quelques ratés dans son éducation.
Les membres encore engourdis, il se leva et entama la marche qui l'attendait. La lune et les étoiles étaient sa seule lumière, et il lui arrivait de temps en temps de trébucher contre un caillou. Mais il s'en fichait, le calme ici valait bien quelques égratignures. Bientôt, la lumière des lampadaires sur la route dorénavant bétonnée lui signifia qu'il était bientôt arrivé à destination. À travers les fenêtres des pavillons, il pouvait voir des hommes et des femmes assis sur leur canapé et leur regard rivé sur les télévisions allumées. Il soupira à l'idée que sa famille devait probablement être en train de faire la même chose. Invités ou non, son père mettait un point d'honneur à garder la télévision allumée, tout ça pour regarder des films ou des émissions qu'il avait vu déjà une bonne dizaine de fois. Vraiment, par moment, Camille se demandait s'il partageait réellement des gènes avec cet homme. Il avait la constante impression d'avoir affaire à un étranger. Ou bien un homme qu'il n'aurait jamais aimé connaître.
Il ne fit pas attention à la lumière émanant du salon, et décida d'entrer d'un coup. Ça lui épargnerait un stress inutile. À sa grande surprise, il n'y avait pas de cris et de reproches ce soir, seulement le raclement de couverts contre les assiettes et des rires polis. Le bruit de la télévision était en sourdine, et Camille aperçut des manteaux accrochés inconnus pendus dans le vestibule.
Eh merde, ils sont là.
Ses quelques espérances venaient de voler en éclat, et la panique commença à s'immiscer en lui. Si ses parents apprenaient comment il s'était comporté avec la nouvelle, il serait foutu. Il voyait devant ses yeux les rendez-vous à Desmoulins se démultiplier, et les longues heures assis dans ce bureau avec sa mère, qui se lamenterait d'avoir un fils de la sorte.
Ou alors, si je fais semblant, rien que pour cette fois-ci, peut-être qu'ils m'en voudront moins ?
Par faute de temps, Camille décréta que c'était la meilleure solution. Il déposa son sac à dos au pied des escaliers et se regarder brièvement dans le miroir près de la porte du salon.
Souris, et tout devrait bien se passer.
Les cernes s'étiraient sous ses yeux et il tenta de recoiffer rapidement les cheveux blonds éparpillés sur le haut de son crâne. Il inspira et expira pendant ce qui lui parut une éternité, avant de franchir la porte qui le mènerait directement en enfer.
« Bonsoir. ». Aussitôt les discussions s'arrêtèrent à son arrivée. Il porta toute son attention sur la femme assise à côté de Lou, ignorant le regard tueur de ses parents. Elle avait exactement la même coupe que sa fille, et ses cheveux bruns courts soulignaient la finesse de ses traits. D'emblée, elle lui adressa un grand sourire et un léger clin d'œil, sans s'indigner de son arrivée fracassante. L'homme assis à côté d'elle avait la même expression sereine, et il salua Camille d'un léger mouvement de la main. Le regard du jeune homme se posa furtivement sur Lou, avant de s'intéresser de nouveau à sa mère. Son sourire narquois et son regard de défi ne lui disaient rien qui vaille, et il sentait qu'il n'en avait pas fini avec elle.
« Ah, le voilà enfin ! Mon chéri, mais où étais-tu passé ? » La mère de Camille se leva aussitôt de sa chaise et s'empressa de faire une accolade à son fils. Habituellement, il l'aurait repoussé, mais le regard des trois inconnus le força à rester immobile, le temps que sa mère détache enfin ses bras de son corps.
« Assieds-toi, et tâche de te comporter correctement », son chuchotement, teinté de menace, le fit frissonner. Cette fois-ci, il avait même réussi à énerver sa mère. Sans rien dire, il s'assit à côté de Juliette, qui lui fit un léger coup de coude.
« Alors, comme ça, tu es en première Camille ? Le lycée te plaît ?», les trois paires de yeux en face de lui le regardaient avec curiosité, et Camille se sentit subitement mal à l'aise. Il n'avait pas pour habitude d'être au centre de l'attention. Avant de répondre, il prit le temps de boire une longue gorgée du verre qui se trouvait devant lui, et lança un de ses stupides sourire qu'il détestait tant à l'homme en face de lui.
« Oui, c'est vrai. » Il se gifla intérieurement pour avoir répondu quelque chose d'aussi banal, mais faire la conversation n'avait jamais été son fort, encore moins en présence d'inconnus. Le voisin semblait l'avoir bien compris, et lui fit un sourire qui se voulait rassurant.
« Il est très bon, bien meilleur que moi à son âge » renchérit Juliette d'un ton enjoué, « il écrit merveilleusement bien, tous ses profs de français n'arrêtent pas de lui dire. » Ses yeux se teintèrent d'une lueur de fierté, et ses mains commencèrent à s'agiter, comme à chaque fois lorsqu'elle parlait de quelque chose qui la passionnait, « D'ailleurs, il a pour ambition de devenir écrivain. Vous imaginez, un écrivain dans la famille ? Ça nous changera de tous ces plombiers depuis des générations.
- Et tu peux dire ce que tu as contre les plombiers, Juliette ? Jusqu'ici, c'est bien en débouchant des chiottes et des éviers que tes études ont pu être payées, et sûrement pas en écrivant deux-trois poèmes à l'eau de rose. Alors si j'étais toi, je me la ramènerais moins. »
Camille se retint de grogner. Jamais de sa vie il n'avait écrit le moindre poème. Seulement des histoires inachevées. Mais cela montrait bien à quel point son père s'intéressait à ce qu'il faisait.
« Bien sûr que non, je n'ai rien contre les plombiers papa », Juliette leva les yeux au ciel pour souligner son propos, ce qui amusa visiblement les voisins, « c'est juste que, de temps en temps, un peu de romance ne ferait pas de mal.
- De la romance ? » Cédric s'exaspéra et ignora sa femme qui le suppliait silencieusement de se taire en continuant d'un ton acerbe, « il ne manquerait plus que ça. En attendant, ton si grand écrivain n'a pas sorti le moindre bouquin. » Ses yeux se rivèrent sur les siens, si brûlant que Camille fut tenté de vérifier dans le miroir de l'entrée que sa peau était bien intacte. « Est-ce que tu as même été capable d'écrire la moindre ligne ? J'en doute. Tout ce que tu sais faire, c'est glander dans ton lit. » Il s'esclaffa et tourna son immense corps vers le couple en face de lui. « Ah faites des gosses, moi je vous le dis ! »
Depuis l'intervention de son père, Camille sentait qu'une tension était présente, et les mains crispés de l'homme en face de lui contenaient en elles tout ce qu'il aurait aimé balancé dans la tronche de la pourriture en face de lui. Camille le regarda dubitativement. Cet homme ne le connaissait pas, et pourtant il semblait être de son côté.
« Au fait », repris ce dernier d'une voix douce, « je crois que nous ne nous sommes pas présentés correctement ». Tout s'était passé si rapidement qu'ils n'avaient même pas eu le temps de faire le b-à-b du savoir-vivre, et Camille s'en voulu de ne pas avoir directement demandé leur nom. « Je pense que tu l'as déjà deviné, mais nous sommes tes nouveaux voisins. Moi c'est Emmanuel, et voici ma femme, Sophie. Notre fille Lou va aller dans le même lycée que toi. Avec un peu de chance, vous serez dans la même classe.
- Enchanté, moi c'est Camille. » Les mots étaient difficilement sortis de sa bouche mais la famille en face de lui - qui lui semblait mille fois plus saine que la sienne - lui fit un grand sourire. Ils retournèrent tranquillement à la discussion que l'arrivée de Camille avait interrompue. Seule Lou avait continué de le fixer, et Camille refoula l'envie de lui dire d'arrêter. Il devait se contenir. Au moins pour sa mère.
***
« Alors comme ça, tu veux écrire ? » la voix qui retentit dans son dos le fit sursauter, et il se retint de soupirer. Une fois le dessert terminé, Camille avait enfin été autorisé à s'enfuir du salon. Le porche lui avait parut être le parfait endroit pour se perdre dans ses pensées, et en même temps dans les étoiles. Cette nuit-là, plusieurs dizaines brillaient dans le ciel, et Camille ne cessait de les regarder une par une, inlassablement, quitte à avoir un torticolis le lendemain matin. Mais il avait vite été sorti de sa torpeur, et la fille derrière était bien décidée à lui arracher une réponse.
« J'aimerais bien, oui.
- Et comment tu comptes t'y prendre ? » Face à cette question stupide, Camille haussa les sourcils. Comment s'y prendre pour écrire ? Il n'y avait pas trente mille façons.
« Une fois que j'aurais le scénario en tête, j'imagine que j'écrirai. C'est pas plus compliqué que ça.
- Ah oui ? » elle répliqua, amusée, « Pas plus compliqué que ça ? Si seulement. » Elle rit doucement, et s'assit à côté de lui. Ses cheveux presque noirs contrastaient étrangement avec le blond cendré de l'adolescent. Tout en elle rappelait à Camille le lutin que sa mère décrivait dans les contes de son enfance. Son visage malicieux était totalement tourné vers lui, et il eut l'envie de rentrer dans sa chambre et fermer la porte à clef. Mais son habituelle envie de s'enfuir était retenue par elle, et l'étincelle de curiosité qui l'habitait en ce moment même. Il ne comprenait pas pourquoi elle voulait lui parler, surtout après le fiasco d'hier et de ce soir.
« Si seulement c'était aussi facile » soupira-t-elle.
Ses yeux s'attardèrent sur les étoiles au-dessus de leur tête. Cette fois-ci, c'était elle qui avait sa totale attention.
« Qu'est-ce que tu veux dire par là ? Bien sûr que c'est facile d'écrire. On m'a toujours dit que ma plume est jolie, donc ça ne posera pas un problème. L'idée de l'histoire non plus. Tous les écrivains s'inspirent des gens, des choses qui les entourent. J'ai lu assez de livres pour avoir des dizaines d'idées en tête. Très vite, je me mettrai à écrire, tu verras.
- Waouh, je ne pensais pas que tu pouvais parler autant, félicitations. »
Ses yeux n'avaient toujours pas quitté le ciel, et Camille commençait à s'impatienter. Il voulait qu'elle le regarde, et qu'elle voit en lui qu'il en était capable. Écrire, il ne voulait faire que ça, il ne pouvait faire que ça. Il était incapable d'exprimer ses émotions autrement qu'à travers des personnages de papier. Les thérapies ne changeaient rien à son mal-être, les personnes réelles le débectaient. Rien d'autre ne l'intéressait, il ne voyait pas l'intérêt à se sociabiliser. Et alors, quand son travail serait reconnu, les gens le reconnaîtront aussi à sa juste valeur, il ne serait plus juste le type bizarre qui passe tous les cours de maths à dormir dans le fond de la classe. On le considérerait enfin comme une personne qui en valait la peine. Mieux encore, il s'estimerait enfin et n'aurait plus de dégoût à la vue de son propre reflet dans le miroir. L' écriture était à ses yeux la seule chose capable de le sauver.
« Tu vois, Camille, il est là ton problème. Tu as tellement vécu dans tes pensées la majorité de ta vie que tu ne sais même plus ce qu'est la réalité. On n'écrit pas avec juste un peu d'imagination, encore moins en s'inspirant uniquement des bouquins qu'on a lu. Tu sais combien de personnes sur cette putain de planète se font des scénarios dans leurs têtes avant de s'endormir ? Combien s'imaginent une autre vie, avec un autre corps ? Comment les « Eh si j'avais ... » tournent sans arrêt dans la tête des gens jusqu'à les rendre fous de regret ? Tout le monde est capable de s'inventer une nouvelle vie. Le travail de l'écrivain, c'est de rendre cette vie réelle sur papier. Seulement, faire cet exploit, tu sais ce que ça demande ? »
Captivé, Camille secoua la tête. Il n'en avait fichtrement aucune idée. Pour lui, écrire avait toujours été une affaire de don. On l'a, ou on l'a pas, et ça dès la naissance. Mais de ce que Lou lui parlait, tout ça lui était étranger.
« Il faut vivre, se mettre en danger constamment. Fais des choses considérées indécentes par tous ceux qui liront tes bouquins par la suite, aimer à t'en déchirer le cœur – quel écrivain n'a jamais eu le cœur brisé ? – concentre toi sur tout ce que tu ressens, quitte à en exploser. Et surtout intéresse toi aux autres. Ressens ce qu'ils ressentent. Pleure avec eux, ris avec eux. Sérieusement, Camille, tu crois vraiment qu'observer les gens comme tu le fais va t'aider à écrire ? Tu es indifférent à tout ce qui t'entoure. Tu as oublié la chose essentielle, on ne donne pas naissance à quelque chose quand on est totalement vide à l'intérieur. Et sans vouloir t'offenser, on dirait que ça fait un bail que t'es déjà passé de l'Autre côté. C'est quand la dernière fois que t'as ressenti quelque chose de positif ?
- Je ne sais pas.
- Ouais, c'est bien ce que je me disais. T'es carrément flippant. Mais bon, avec le coup de la batterie, j'avais déjà deviné que t'étais pas net comme type. »
Camille ne répondit pas. Il avait la douloureuse sensation que tout ce que lui avait dit cette fille bizarre était vrai. Depuis combien de temps la page était restée blanche ? Des semaines, peut-être même des mois. Il avait arrêté de compter. Et maintenant, la voix de Lou s'ancrait dans sa tête et ne voulait pas disparaître.
« Bordel, mais comment je vais faire ? Écrire, ça a toujours été mon truc. Mais ça, se mettre en danger, ressentir, et encore pire, parler à des gens, mon dieu je –»
Lou éclata de rire, et se pencha sur Camille, les larmes aux yeux.
« La vache, tu es vraiment quelque chose toi. Mais relax, à chaque problème sa solution.
- Ouais bah j'ai du mal à m'imaginer ce que c'est que cette putain de solution. J'ai toujours été comme ça, alors c'est pas en un claquement de doigts que je vais changer, et puis je sais même si j'en ai envie.
- Camille » Lou soupira et croisa ses petits bras « tu veux écrire, oui ou non ?
- Bien sûr que je le veux !
- Alors, il va falloir changer. Mais rassure-toi, je suis là pour t'aider.
- Oh vraiment ? » Son air railleur ne l'affecta pas le moins du monde. « Et comment tu comptes t'y prendre, au juste ?
- C'est simple, laisse-moi devenir ta muse. »
Content de pouvoir enfin lire la suite, je suis sacrément pris dans ton histoire. Les narrateurs me parlent bien et ta manière d'écriture marche très bien avec moi.
"Il avait toujours considéré le réveil comme l'heure de la vulnérabilité." j'aime bien cette idée^^
Lou fais parfois des phrases très soutenues parfois limite familières, après on peut imaginer que ca fasse partie du personnage. Après elle a tendance à partir sur des longs monologues mais ça peut s'expliquer par la timidité de Camille.
Quelques remarques :
"fut la seule à l'avoir remarqué." -> à le remarquer
"Sans regarder en arrière, il parcouru rapidement" -> parcourut
"La politesse était cruciale à ses yeux," à leurs yeux (père et mère) ou tu parles juste de la mère ?
"Souris, et tout devrait bien se passer." Les deux morceaux de phrases ne sont pas raccords, j'écrirais soit souris tout va bien se passer / Il fallait qu'il sourie et tout devrait bien se passer.
"et Camille s'en voulu de ne pas avoir directement" -> voulut
"les gens le reconnaîtront aussi à sa juste valeur," -> le reconnaîtraient
Toujours un plaisir,
A très bientôt j'espère (=