Mathis essuyait la table. Autant servir à quelque chose. Léonie était lesbienne. Il ne parvenait pas à se sortir cette idée de la tête. Oh, il n'avait rien contre les lesbiennes. Il aurait dû s'en douter, d'ailleurs. Elle n'acceptait jamais aucune mission visant à délivrer les princes capturés par des licornes. Elle éconduisait systématiquement les bergers qui lui faisaient des avances. Il aurait dû se douter qu'elle n'était pas intéressée par les hommes. Au lieu d'aller bêtement s'amouracher de sa professeure...
Tout à ses pensées, il ne remarqua pas qu'il frottait le même coin de table depuis déjà cinq bonnes minutes. Et ce qui devait arriver arriva : un génie apparut.
« Merci de m’avoir délivré, mon garçon ! Pour te remercier, je t’offre trois vœux. Mais je te préviens : je ne peux ni tuer, ni ressusciter, ni rendre quelqu’un amoureux de toi. »
Il fallut un instant à l'écuyer avant d'assimiler les informations. D'abord surpris, il fut ensuite déçu en entendant la troisième restriction. Tuer des gens, il n'avait pas besoin d'un génie pour cela, c'était son métier, il savait faire. Ressusciter des gens, il n'était pas stupide, il savait que ça tournait toujours mal. Dans le pire des cas, le ressuscité lançait une nouvelle religion et l'humanité se massacrait pendant les siècles à venir. Mais rendre quelqu'un, ou plutôt quelqu'une, amoureuse de lui...
Finalement, il se décida :
« Mon premier vœu est d’être délivré de mon amour pour la chevaleresse Léonie.
- Eh bien, c’est original ! Mais… Vœu accordé. »
Aussitôt, le pincement au cœur qu'il ressentait depuis qu'il avait appris son homosexualité, disparut. Il risqua un regard vers la jeune femme, qui faisait la vaisselle en compagnie de leur hôte draconique. Elle était toujours aussi belle qu’avant. Mais à présent, il s’en moquait. Puis il l’imagina délivrer et épouser une princesse. Cela ne l’affligeait plus. Au contraire, il aurait bien aimé la voir trouver chaussure à son pied.
« Ensuite, je voudrais la liste de toutes les princesses à délivrer dans les environs, s'il vous plaît.
- Vœu accordé. Et comme tu as été poli, tu as droit à leurs photos en prime.
- Ouah ! Merci beaucoup ! »
Un dossier d'une cinquantaine de pages venait de se matérialiser sur la table. Mathis l'ouvrit, émerveillé. La première princesse était une belle jeune fille brune, âgée d'une quinzaine d'années, une couronne d’argent sur la tête. Princesse Iseult, titrait la page. S'ensuivait un court descriptif de la demoiselle. Apparemment, elle était la benjamine du roi Carloman, elle aimait la danse et le trapèze, elle s'était cassé le poignet au cirque et suite à une erreur médicale, elle avait été plongée dans un sommeil qui ne pourrait être rompu que par un baiser.
Ravi, Mathis poursuivit son exploration du dossier. Une jeune femme blonde tartinée de mascara répondait au nom de Princesse Adélaïde. Petite-fille du roi Nestor, elle passait son temps dans les bibliothèques et avait été victime d’un livre maudit. Étant donné son air dérangé, le maléfice devait être puissant. Mathis n’aurait pas aimé s’y risquer. Un peu plus loin, une demoiselle à la peau sombre était présentée comme Princesse Jade, fille de l’impératrice Mulan. Elle savait monter à cheval, se battre à l'épée et tirer à l'arc, mais avait malencontreusement été enlevée par un griffon. Il nota mentalement ces informations, avant de poursuivre. La princesse Emma, nièce du roi Carloman, aimait qu'on s'incline devant elle mais détestait les chats, les robes, les épées, le yaourt, les Irlandais, la pluie, le chou-fleur, la craie, les étoiles et la démocratie. Victime d’un magicien excédé, elle se trouvait à présent prisonnière d'un miroir maléfique. Bon, on laisserait celle-là de côté. La princesse Catherine, fille adoptive du roi Dagobert, était décrite comme musicienne, bonne cuisinière, mais avec une jambe plus courte que l’autre. Cela n'aurait pas dérangé Mathis, et probablement pas Léonie non plus, mais Catherine avait été enlevée par les extra-terrestres. Peu motivé par la perspective d’un si long trajet, Mathis tourna la page.
Princesse Anastasia, de la famille Romanov, congelée dans les neiges éternelles depuis près d'un siècle. Damoiselle Aélis, fille de la comtesse du Plessis de Grenédan, pilote de planeur, portée disparue suite à une collision avec le Père Noël. Princesse Isabelle, petite-fille de l’Impératrice Anne, excellente dans l’art du combat magique, mais victime d'un groupe terroriste républicain. Princesse Corinne, amatrice de bals et de paillettes, enlevée par des pirates écologistes. Duchesse Valentine, aimait les chats et le chocolat, victime d'un grimoire ensorcellé, mais elle était déjà fiancée. Reine Charlotte, décédée, piégée sur Terre tant qu'elle n'aurait pas retrouvé le pain perdu. Princesse Jeanne-Marie, célèbre fille du roi Vlad l'Empaleur, prisonnière de son propre cercueil dont elle ne parvenait plus à ouvrir le verrou. Bergère Blanche, férue de botanique et de mathématiques, amatrice de pommes au caramel, possédant six cent moutons, mais pas de chien. Dévorée par un loup idiot qui a oublié de mâcher. Elle était bien tournée, cette bergère. Elle avait de beaux yeux noisette et un sourire lumineux. Elle…
« Holà, Mathis ! Que regardes-tu là ?
- Venez voir, Léonie ! C’est une liste des princesses à délivrer. La princesse Jade n’est pas trop loin, et je me disais qu’elle pourrait vous plaire. Qu’en pensez-vous ? »
Le sourire de Léonie fendit son visage jusqu’à ses oreilles.
« Ce griffon ne perd rien pour attendre ! Merci pour le café, messire dragon. Je vous inviterai à notre mariage ! Debout, Mathis, il ne faut pas qu'on traîne si on veut y être avant la nuit.
- Eh, une minute petit gars ! interrompit le génie. Et ton troisième vœu ?
- Je voudrais, s’il vous plaît… un chien de berger ! »
Et toutes les bergères ne sont-elles pas des princesses dans leurs cœurs ?