Les arbres "H"

Un matin que Juliette était partie tôt pour se baigner dans la mare des arbres G, elle se trompa de chemin et se retrouva aux abords d’une immense clairière. Au sol, au lieu des herbes folles habituelles dans une clairière, on ne voyait que la terre nue. Mais là n’était pas le plus étrange. Perchés dans les airs, plusieurs hiboux attendaient tranquillement que la nuit tombe pour se mettre en chasse.

 

      « Mais… mais… qu’est-ce que c’est que cette folie ? Comment ces hiboux tiennent-ils ainsi dans les airs sans même battre des ailes ? se demanda-t-elle dans sa tête. »

 

Prudemment, elle fit quelques pas et ses pieds se prirent dans un tapis de feuilles. Elle baissa les yeux mais ne vit rien, rien que la terre. Avec son pied droit, elle gratta le sol : elle sentait bien des feuilles mais elle ne les voyait pas. Elle s’accroupit et approcha ses mains du sol. Avant qu’elles atteignissent la terre, elles furent arrêtées par un matelas mou, froid et humide pourtant totalement invisible, un matelas de feuilles.

 

      « Le sol est couvert de feuilles et de branches invisibles, il y a encore de la magie là-dessous, méfions-nous, se dit Juliette habituée aux pièges de cette forêt. »

 

      Elle continua sa progression et, soudain, sa tête heurta quelque chose de dur.

 

      « Aïe ! cria-t-elle. Que se passe-t-il encore ? ajouta-t-elle pour elle-même. »

 

      Elle tâtonna et, sous ses paumes, sentit la forme d’un tronc.

 

      « Ah mais ce ne sont pas seulement les feuilles qui sont invisibles ici, ce sont carrément les arbres ! comprit Juliette. Marie ! Viens par là ! J’ai trouvé quelque chose ! continua-t-elle en hurlant. »

 

      Marie, qui était en train de danser avec un loup noir sur du Duke Ellington autour des arbres D, s’arrêta net et rejoignit sa copine Juliette.

 

      « Alors ma vieille, dit-elle en arrivant, qu’est-ce qui se passe encore ? »

 

      Mais à peine avait-elle fini sa question qu’elle se cogna violemment contre un tronc invisible.

 

      « Aaaaahhhhh !!! Mais ça fait super mal !!! hurla-t-elle.

      - Bin oui grosse nouille, ce sont des arbres invisibles, répondit Juliette avec assez peu de compassion.

      - Et tu pouvais pas me le dire avant ? s’interrogea Marie avec un certain à-propos.

      - Je voulais te laisser découvrir par toi-même, dit Juliette d’un ton pédagogue.

      - C’est très étrange de voir tous ces hiboux perchés dans les airs, répondit Marie en changeant de sujet. »

 

      Au moment où elle prononça le mot « hibou », l’espace d’une fraction de seconde et dans un bourdonnement fugace, les arbres invisibles apparurent pour disparaître aussitôt.

 

      « Tu as vu ? souffla Juliette à Marie.

      - Oui, c’était bref mais j’ai eu le temps de voir, répondit Marie. »

 

     Les arbres en question étaient des « H ». Pas des haches, hein ! Des « H », la lettre « H » ! Quand ils étaient petits, ils ressemblaient à cela :

 

h

 

Les plus grands, quant à eux, étaient comme ça :

 

H

Mais Juliette et Marie n’avaient eu le temps de les apercevoir que l’espace d’un instant très fugitif.

 

« Encore une histoire à dormir debout… » soupira Juliette. »

 

Alors qu’elle prononçait le mot « histoire », les arbres H apparurent à nouveau, vision éphémère et fantomatique.

 

« Je crois que je commence à comprendre, dit Juliette. Quand on prononce un mot qui commence par la lettre « h » comme « hibou » ou « histoire », les arbres apparaissent. Et c’est normal : comme on n’entend pas la lettre « h » dans les mots en français, les arbres H eux-mêmes sont invisibles ! C’est logique ! »

 

Effectivement, tandis qu’elle donnait cette explication et qu’elle disait les mots « hibou » et « histoire » à Marie, à nouveau les arbres devinrent visibles.

 

« Bien, bien, bien, c’est intéressant, mais comment faire pour qu’ils arrêtent de disparaître à chaque fois que ces mots ont été prononcés ? demanda Marie.

- J’ai ma petite idée là-dessus, répondit mystérieusement Juliette. »

 

A ces mots, elle sortit de sa poche un petit harmonica et se mit à jouer Blowin’ in the wind de Bob Dylan. Aussitôt que les premières notes sortirent de son instrument, les arbres H apparurent et restèrent visibles tant que Juliette joua. Dès qu’elle s’arrêta, ils disparurent à nouveau.

 

« Tu vois, dit-elle à Marie, il suffit de jouer de l’harmonica et ils deviennent visibles puisque le mot harmonica commence par la lettre « h ».

- Oui, comme ça, on peut se promener parmi eux sans risquer de se cogner à tout moment ! s’exclama Marie. Mais attends, j’ai une idée, joue donc ton morceau. »

 

Juliette reprit sa mélodie pendant que Marie entamait l’escalade d’un grand et beau H. Une fois bien installée sur l’une des branches, elle dit à Juliette :

 

« C’est bon, arrête-toi maintenant ! »

 

Dès l’instant où Juliette cessa de jouer, Marie éclata de rire. Elle semblait flotter dans les airs, allongée comme en lévitation.

 

« Ah ! Génial ! s’esclaffa Juliette, on va faire croire tout le monde qu’on sait voler avec ces arbres ! Attrape ! »

 

Elle lança son harmonica à Marie qui le saisit au vol et joua à son tour la fameuse chanson de Bob Dylan tandis que Juliette en profitait pour la rejoindre en haut de l’arbre H.

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Ophelij
Posté le 08/08/2024
Re-coucou,

Dernier chapitre que j'ai lu à mes enfants hier soir. Mon fils a adoré, il a deviné qu'on en était au H dès qu'il a été question d'arbres invisibles. Ensuite il a vraiment adhéré sur les mots "histoire" "hibou"...
Ma fille roupillait par contre :-)

C'est un conte très interactif, l'histoire n'est pas enfermante, les enfants cherchent, ils inventent, ils proposent. Les petits peuvent apprécier, mais aussi les plus grands.

On a passé un très bon moment, merci de partager ce conte !
Paul Genêt
Posté le 08/08/2024
Quel plaisir de te lire ! J'ai envisagé cette série comme un moment privilégié d'interaction avec ma fille. Ces histoires, on les a lues et relues ensemble, elle les a toutes illustrées. Certaines ont eu un franc succès, d'autres moins mais l'objectif était vraiment de s'amuser avec elle. Après quelques mois, elle a même commencé à me suggérer des pistes pour l'écriture des contes consacrés aux lettres suivantes !
JeannieC.
Posté le 14/07/2024
"Les arbres en question étaient des « H ». Pas des haches, hein !" > ahah, bien joué comme jeu de mots pour faire comprendre le mutismes du H. Et l'idée des arbres invisibles pour des hiboux qui tiennent tout seuls en l'air, c'est bien vu. Entre les invisibilité et les chuchotements du "ch", il y a en effet de quoi se cogner dans la préhension des usages ordinaire des lettres.
Et la chute, l'envie de faire croire qu'elles savent voler, trop mignon !
Paul Genêt
Posté le 16/07/2024
Pour cette histoire, ma fille a fait travail d'illustration que j'aime beaucoup. Sur un papier blanc, elle a dessiné les hiboux perchés dans l'air et, avec une enveloppe faite de papier calque, on peut faire apparaître et disparaître l'arbre sur lequel ils sont juchés.
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