Les arbres "M"

      A la sortie du labyrinthe, Juliette et Marie entendirent un bruit, d’abord lointain puis de plus en plus fort, qui faisait :

      « Mmmmmmeuuuuuuuuuuhhhhhhh ! »

      Et puis juste au moment où ce terrible mugissement avait atteint son paroxysme, un énorme « Splash ! » retentit et fit trembler les arbres de la forêt.

      Malgré leurs craintes, Juliette et Marie s’approchèrent de la source de ce bruit étrange.

      Alors qu’elles progressaient lentement en slalomant entre les arbres, retentit à nouveau l’infernal meuglement :

      « Mmmmmmeuuuuuuuuuuhhhhhhh ! »

      Il fut ponctué, comme précédemment par un tonitruant « Splash ! » ainsi que par une myriade de bruits d’impacts qui sonnaient comme le ronflement d’une mitraillette : « Tatatatatatatata ! »

      Les deux fillettes sentirent de minuscules boules chaudes s’écraser sur leurs poitrines. Elles baissèrent les yeux et constatèrent qu’elles étaient criblées de petites taches marron. Elles posèrent l’une et l’autre leurs doigts dessus et les portèrent près de leurs visages pour essayer de déterminer de quelle matière il s’agissait. Une longue observation ne fut pas nécessaire. La simple association de la vue et de l’odorat permit d’identifier très facilement de la matière fécale. Autrement appelée : du caca.

      Juliette et Marie se regardèrent d’un air interrogateur puis levèrent les yeux et découvrirent devant elles de gigantesques arbres, les arbres « M ». Les plus petits ressemblaient à cela :

 

m

 

     Mais ceux qui avaient atteint leur maturité étaient immenses :

 

 

M

 

      Devant ces arbres, un no man’s land couvert de bouses de vache s’étendait sur plusieurs dizaines de mètres et, à quelques pas des filles, une tranchée profonde d’environ deux mètres de profondeur faisait face à ces monstres ligneux, ces créatures de bois.

 

      « Mmmmmmeuuuuuuuuuuhhhhhhh ! »

 

Le sinistre bruit se faisait de nouveau entendre.

      « Tous aux abris ! cria Juliette en sautant dans la tranchée et en entraînant Marie avec elle. »

      Tapies au fond de la tranchée, les mains posées sur le haut du crâne pour se protéger, elles attendirent d’entendre l’énorme « Splash ! » et les impacts des shrapnells d’excrément pour se relever.

      « Nous sommes en guerre, Marie, et nous avons été victimes d’une agression sans ultimatum ni déclaration préalable. Nous sommes désarmées et désorganisées. Il nous faut établir une stratégie, tromper l’ennemi pour gagner du temps et nous permettre d’organiser notre contre-offensive, déclara Juliette de façon martiale.

      - Tu as raison Juliette. Mais entre nous, qu’est-ce que c’est que cette mouscaille ? questionna Marie de façon peu convenable.

      - Justement Marie, c’est bien de la mouscaille car ce sont des arbres « M » et je pense qu’ils ont besoin d’un bon médicament contre la diarrhée, expliqua Juliette.

      - Très bien, quel est ton plan Juliette ? demanda Marie.

      - Il va falloir te sacrifier soldat Marie. Tu vas partir à l’assaut, traverser le no man’s land en évitant les obus de mouscaille, te battre derrière les lignes ennemies, au corps à corps, grimper sur les arbres « M » et conserver le territoire gagné grâce à ta percée. Pendant ce temps, je vais ramener des seaux de Smecta, c’est un médicament contre la diarrhée, et des fusils à pompe. C’est compris soldat Marie ? demanda Juliette.

      - A vos ordres mon général ! »

      Et sur ces mots, Juliette sortit de la tranchée pour rejoindre l’arrière, c’est-à-dire sa maison, tandis que Marie partait à l’assaut.

      Ses jambes s’enfonçaient dans la boue crottée qui recouvrait le no man’s land. Aux points d’impact des bouses, des cratères composaient d’étranges reliefs qui rendaient la progression de Marie encore plus difficile. Son oreille s’étant habituée au cri strident qui annonçait l’arrivée d’une bombe de mouscaille, elle savait repérer si elle risquait de la recevoir sur la tête ou pas.

      Justement, plusieurs mugissements commencèrent à résonner au-dessus d’elle. Elle courut le plus vite qu’elle put et, alertée par un meuglement plus proche que les autres, elle sauta dans un cratère pour se protéger. « Splash ! Splash ! » Marie avait mal calculé son coup. Non seulement elle s’était enfoncée dans la bouse en sautant dans le cratère mais elle avait reçu celle qui arrivait du ciel en plein sur la tête. Il n’y avait plus que ses yeux qui ressortaient de cette couverture de boue puante. Malgré son dégoût, elle se releva et courut de plus belle jusqu’à atteindre le pied d’un arbre « M ». Elle y grimpa et se mit à secouer une de ses branches en lui criant : « As-tu fini de me bombarder espèce de dégoûtant ? Tu n’as pas honte de salir cette belle forêt comme ça ? »

      Pendant que Marie hurlait ainsi, Juliette arrivait avec ses munitions. Elle descendit dans la tranchée et remplit de Smecta quelques bouteilles en plastiques qu’elle boucha avec des pétards, chargea ses fusils à pompe avec du Tiorfan et prépara des grenades d’Imodium avec des gelules dans des ballons de baudruche. C’était la pharmacienne du village qui lui avait conseillé cet armement. La contre-offensive pouvait commencer. Elle alluma les mèches des pétards et lança les bouteilles en direction des arbres « M ». Quand les pétards explosèrent, ils libérèrent le Smecta qui fut aspergé un peu partout. Elle gonfla ensuite les ballons de baudruche et les envoya dans le no man’s land puis les perça avec des fléchettes. Les gelules d’Imodium tombèrent alors sur une large surface. Enfin, Juliette monta à l’assaut avec un fusil à pompe dans chaque main et tira dans tous les sens des jets de Tiorfan.

      Elle eut tôt fait de rejoindre Marie qu’elle eut du mal à reconnaître dans son costume de mouscaille. Bientôt, les mugissements s’espacèrent puis cessèrent totalement.

      « Et voilà Marie ! On a gagné ! » hurla Juliette. Et comme Marie s’apprêtait à taper dans la main de Juliette, celle-ci recula et dit :

      « Heu... Tu ne veux pas prendre un bain d’abord ? »

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