Les arbres "N"

      Juliette et Marie discutaient tranquillement en cheminant dans la forêt des lettres.

 

      « Ça fait un moment qu’on n’a pas découvert de nouveaux arbres, Marie. Il faudrait qu’on dessine un plan pour éviter de repasser par les lieux qu’on a déjà explorés. Tu es d’accord ?

      - Non, répondit brutalement Marie.

      - Pourquoi pas ? demanda Juliette.

      - Je ne sais pas trop... dit Marie, je pense que ça va nous faire perdre du temps pour rien. On les trouvera au hasard.

      - Bon, tu as peut-être raison, conclut Juliette. »

 

      La conversation des deux jeunes filles se poursuivit malgré une sorte de gêne réciproque. En effet, Juliette ne comprenait pas le refus brutal de Marie et Marie elle-même ne comprenait pas pourquoi elle avait dit non de façon si abrupte alors que l’idée, se disait-elle finalement en son for intérieur, n’était pas si mauvaise.

      Quand il fut environ midi, Marie demanda à Juliette :

 

      « Dis, ma Zuzu, t’as pas faim ?

      - Oh, non, pas vraiment, répondit Juliette.

      - Moi j’ai faim, j’ai pris des sandwichs, des chips et une bouteille d’eau au sirop de fraise pour pique-niquer dans la forêt. Et j’ai même des crèmes au chocolat pour le dessert ! s’enthousiasma Marie qui était très gourmande.

      - Hmm, non merci, peut-être plus tard. »

 

      Pourtant, quelques centaines de mètres plus loin, Juliette se ravisa.

 

      « Finalement Marie, je ne sais pas pourquoi je t’ai dit non tout à l’heure, je meurs de faim moi aussi. Mangeons donc ton petit festin ! »

 

      Les filles s’installèrent, déjeunèrent joyeusement et avec grand appétit. Alors que Juliette avait de la crème au chocolat tout autour de la bouche, elle s’aperçut qu’elle ne trouvait pas son paquet de mouchoirs, dont elle avait pourtant besoin pour se rendre un peu plus présentable.

 

      « Marie, bouge pas, j’ai dû perdre mon paquet de mouchoirs sur le chemin, je vais le chercher, je ne veux pas salir la forêt, annonça Juliette. »

 

      Elle revint donc sur ses pas tout en laissant aller ses pensées.

 

      « Pfff... C’était trop bon ce pique-nique. C’est bizarre parce qu’au début, je n’avais pas vraiment faim. Mais à peine une minute plus tard, j’aurais été capable de manger les feuilles d’un arbre M ! »

 

      Juliette aperçut son paquet de mouchoirs au sol et le ramassa. Elle repartit aussitôt.

 

      « Par contre, maintenant, j’ai mal au ventre. C’est la faute de Marie ça, elle m’a donné trop à manger. En plus elle m’a mis la pression alors que je lui avais dit que je n’avais pas faim, elle exagère celle-là. »

 

      Après avoir fait quelques centaines de mètres, Juliette avait déjà oublié sa colère contre Marie. Elle était même à nouveau reconnaissante à son égard pour le bon repas qu’elle avait apporté.

 

      Marie attendait tranquillement Juliette tout en regardant les images d’un livre que sa mère lui avait lu la veille. Quand elle entendit Juliette, elle leva la tête.

 

      « Tu sais Juliette, j’ai réfléchi à ce que tu as proposé tout à l’heure. En fait, c’est une super idée de faire un plan de la forêt. On ira beaucoup plus vite en repérant les différents arbres-lettres sur une carte, expliqua-t-elle.

      - Ah ! Super ! Mais pourquoi tu ne voulais pas tout à l’heure ? demanda Juliette.

      - Je ne sais pas trop, j’ai répondu sans réfléchir, éluda Marie.

      - C’est bizarre parce que moi aussi, quand tu m’as demandé si j’avais faim, je t’ai dit non alors qu’en fait, j’aurais pu manger mon petit frère ! s’exclama Juliette.

      - Dis, tu ne crois pas qu’il y a un nouvel arbre là-dessous ? Retournons un peu sur nos pas pour vérifier ça, proposa Marie. »

 

      Ni une ni deux, les deux fillettes rebroussèrent chemin. Assez rapidement, elles s’aperçurent que ce qu’elles avaient pris pour des arbres M n’en étaient plus. C’étaient des N. Les plus jeunes ressemblaient à cela :

 

n

 

      Les plus grands, plutôt à cela :

 

N

 

      « Marie, c’est pas des M ici, c’est des N, murmura Juliette comme si les arbres l’écoutaient.

      - Oui, et je crois que j’ai compris leur pouvoir : ils nous forcent à répondre « non » à n’importe quelle question. Éloignons-nous et établissons un plan pour les calmer aussi ceux-là. »

 

      Les deux jeunes filles retournèrent auprès des arbres M et discutèrent un moment. Puis, elles s’approchèrent à nouveau des arbres N.

 

      « Tu vois Marie, ces arbres N sont très beaux mais je trouve qu’ils sont trop serrés. A mon avis, il faudrait les couper. Es-tu d’accord avec moi ? demanda Juliette

      - Non, absolument pas Juliette, répondit Marie, poussée par le pouvoir magique des arbres N.

      - Attends, si je comprends bien, tu ne penses pas qu’il serait inutile de ne pas songer à ne pas négliger de ne pas oublier de ne pas couper ces arbres ?

      - Non, je ne le pense pas, répondit Marie toujours poussée par le pouvoir des arbres.

      - Ah ! C’est bien ce que je disais, tu es d’accord avec moi ! Si tu ne penses pas que c’est inutile, c’est que tu penses que c’est utile. Si ça te paraît utile de ne pas songer à ne pas négliger, c’est que tu penses qu’il faut négliger. S’il faut négliger de ne pas oublier, c’est qu’il faut oublier. Et s’il faut oublier de ne pas couper, c’est qu’il faut les couper, ces satanés arbres N ! Va chercher la hache de ton père, à moins que tu ne changes d’avis et que tu me dises que tu t’es trompée en me répondant oui, affirma Juliette d’un air de triomphe. Est-ce le cas ?

      - Heu... Oui, Juliette, je me suis trompée. Ah ! Ah ! Ah ! Ça a marché Juju, on les a eus ! On peut se répondre « oui » maintenant ! jubila Marie. 

      - Super ! Tu me donnes ta crème au chocolat alors ? demanda Juliette.

      - Ah non ! Faut pas pousser quand même ! répondit Marie en riant. »

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