Les arbres "O"

      Quelques jours après leur aventure auprès des arbres N, Juliette et Marie se retrouvèrent dans la zone où elles avaient découvert les arbres i. Elles aimaient bien cet endroit magique où les apparences n’étaient pas toujours celles de la réalité.

      Sans se rendre compte de la direction qu’elles prenaient, elles arrivèrent devant un bosquet d’arbres dont l’aspect était particulièrement surprenant. Ils étaient tout ronds. Soit c’étaient de petits ronds, comme ceci :

 

o

 

      Soit c’étaient de grands ronds qui ressemblaient plutôt à cela :

 

O

      « Ce sont des « O » Marie, dit Juliette.

      - Oui, je vois bien, répondit Marie, je me demande quels pouvoirs ils ont. »

 

      Les deux jeunes filles avancèrent prudemment, approchèrent des troncs, montèrent dessus, jouèrent à sauter à l’intérieur des plus petits comme dans un cerceau mais rien ne se passa. Pas de coups, pas de mouscaille, pas de magie.

      « C’est vraiment bizarre ça, dit Juliette.

      - Moi ça m’arrange, ça fait un champignon de plus allumé sans effort ! s’exclama Marie.

      - Eh bien allons vérifier ça, répondit Juliette. »

 

      Elles se dirigèrent donc jusqu’au fourré des arbres « J ».

 

      « Je m’appelle Juliette, dit la jeune fille à haute voix devant le fourré. »

 

      Aussitôt, les arbres « J » s’écartèrent. Cette fois, les deux jeunes filles entrèrent toutes les deux en se donnant la main. Elles descendirent alors sous la terre par le chemin en spirale. Marie était époustouflée par les champignons luminescents. Elles passèrent le grand porche et atteignirent le fameux cercle. Juliette compta.

      « Marie, seuls quatorze champignons sont allumés. Si nous avions vraiment résolu le mystère des arbres « O », il y en aurait quinze. Nous avons raté quelque chose... murmura Juliette presque pour elle-même. »

 

      Avant même que le porche ne se referme, les deux fillettes étaient remontées à la surface.

 

      « Il commence à se faire tard, mes parents vont m’attendre. On se retrouve devant le bosquet des arbres « O » demain, d’accord ? demanda Marie à Juliette.

      - Très bien, on fait comme ça, répondit Juliette. »

 

      Chacune regagna donc son foyer.

 

      Une fois à la maison, Juliette se précipita dans sa chambre et commença à jouer. Au bout de quelques minutes, comme d’habitude, elle en avait mis partout : des figurines par-ci, des poupées par là, une tête à coiffer sur son oreiller, une chaussure sur un meuble, une autre sous son lit, un véritable capharnaüm.

      Sa mère passa la tête par la porte entrebâillée et dit :

      « Ma chérie, tu ranges ta chambre s’il te plaît, on va bientôt dîner.

      - Oui maman, tout de suite, répondit Juliette.

      - Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu ne me demandes pas quelques minutes de plus pour jouer ? Tu ne me dis pas que tu n’as pas faim ou que ce que j’ai préparé n’est pas bon ? Tu es malade ma fille, tu as de la fièvre ? se moqua gentiment sa maman.

      - Je ne sais pas, répondit Juliette en riant, j’ai envie d’être sage ! »

 

      Et là-dessus, elle rangea sa chambre et se rendit dans la salle à manger.

 

      « Tiens, Juliette, dit son père, aide-moi à mettre la table.

      - Tout de suite petit papa ! s’exclama la jeune fille. »

 

      Et elle s’exécuta. Le père de Juliette regarda fixement sa femme d’un air interrogateur.

 

      A table, Juliette mangea calmement. Dès que ses parents lui demandaient quelque chose, elle le faisait sans protester. Elle alla donc au lit quand sa mère le lui enjoignit et n’exigea pas de deuxième histoire puisque son père lui avait indiqué dès le début qu’elle n’en aurait qu’une.

 

      Une fois la lumière éteinte, Juliette se mit à réfléchir.

 

      « C’est quand même bizarre, je n’ai pas énervé mes parents une seule fois ce soir, ce n’est pas normal ça. J’ai fait tout ce qu’ils m’ont demandé ! Je dois vraiment être malade ou un truc comme ça... »

 

      Soudain, elle comprit.

 

      « Bon sang mais c’est bien sûr ! Ce sont les arbres « O » qui me forcent à obéir !!! Je ne les avais pas vu venir ceux-là ! Ce sont de sacrés sournois ! »

 

      Le lendemain, elle retrouva Marie près des arbres « O ».

 

      « Marie, j’ai trouvé ce qu’était leur pouvoir à ces vilains arbres, dit Juliette.

      - Oui, moi aussi ma Juliette, répondit Marie, je n’ai jamais passé une soirée aussi ennuyeuse. J’ai fait tout ce que mes parents voulaient. Quelle horreur ! Il faut qu’on trouve une solution, et vite ! »

 

      Mais elles eurent beau se creuser la cervelle, elles ne trouvèrent aucun moyen de se tirer de ce mauvais pas. Ce dont elles ne se doutaient pas, c’est que le dénouement de cette histoire ne viendrait pas d’elles.

 

      Le soir même, le petit manège de Juliette recommença : aussitôt que ses parents lui demandaient quelque chose, elle s’empressait d’obéir. Quand arriva l’heure de l’histoire, la mère de Juliette lui lut Riquet à la houppe puis se leva et fit mine de partir. Comme Juliette ne disait rien, elle s’arrêta, se retourna et dit :

 

      « Eh bien ? Tu ne me demandes pas une deuxième histoire ?

      - Non maman, tu m’as dit qu’il n’y en aurait qu’une, répondit sagement Juliette.

      - Mais qu’est-ce que c’est que cette enfant qui obéit ? s’énerva sa mère. Moi je veux une petite fille qui fait des bêtises, qui saute sur le canapé, qui fait des combats de purée, qui réclame des bonbons et des histoires, je ne veux pas d’une enfant sage comme une image ! Allez, demande-moi une autre histoire !

      - D’accord maman, mais tu n’es pas très raisonnable, fit Juliette d’un ton moqueur.

      Et voilà : le pouvoir des arbres « O » avait été vaincu par la mère de Juliette, sans même qu’elle s’en rende compte. Les deux fillettes pouvaient à nouveau pousser des cris d’orfraie à la moindre contrariété. Et notez bien, petits lecteurs, petites lectrices, que si l’orfraie est un oiseau qui pousse des cris aussi suraigus et désagréables qu’une petite fille en colère, elle a l’avantage de me permettre de conclure en vous disant que la lettre « o » peut aussi se prononcer « [Ɔ] » !

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AlaindeVirton
Posté le 18/08/2024
Bon sang mais c’est bien sûr ! Hé oui, c’est un clin d’œil pour les parents, plutôt pour les grands-parents.
Mais ce n’est pas ça qui m’amène ici. J’ai fait un bon dans le conte pour voir comment tu aborderais l’o avec un chapeau. Pas de chance, tu n’en parles pas. Ce serait peut-être utile, parce que la météo sur la Cotte d’Azur et la dégringolade de la côte du Président de la République, ça me casse les oreilles.
Paul Genêt
Posté le 18/08/2024
Ah mais oui ! J'aurais dû en parler ! Je vais essayer de le caser au moment de la réécriture. Merci !
AlaindeVirton
Posté le 11/11/2024
Commentaire après relecture. Chaque espèce d’arbre-lettre possède donc un pouvoir magique spécifique, même l’arbre m, tout compte fait, mais dans le cas de celui-ci, l’exercice de cette faculté m’a paru plutôt involontaire. L’arbre n, que les filles confondent d’abord avec le m, les force à dire non, c’est ce qui les met sur la voie de cette nouvelle espèce. À chaque sortilège, son antidote. Cette fois encore, les gamines vont le trouver : c’est l’utilisation de la logique combinée au sens des mots employés qui va leur permettre de déjouer le maléfice. Une manière habile d’initier les jeunes lecteurs au rôle de la négation dans le langage.
AlaindeVirton
Posté le 11/11/2024
Cher Paul, erreur de copier-coller. Voici le bon commentaire après relecture. Obéir, c’est dire oui. Le pouvoir de l’o est donc l’exact contraire de celui du n. On pourrait croire que cette fois l’effet de l’enchantement est positif. Mais des enfants qui obéissent tout le temps, en fin de compte c’est pas marrant, même pour les parents. Hé hé ! j’imagine que les jeunes lecteurs doivent valider à deux cents pour cent cette vision des choses.
Paul Genêt
Posté le 16/11/2024
Je me souviens que je croyais lire en cachette dans mon lit avec une lampe de poche. Le plaisir était dédoublé : il y avait celui de la lecture et celui de la transgression. Des années plus tard, mon père m'a dit : bien sûr qu'on savait, mais on laissait faire parce que ce qui comptait pour nous, c'était que tu lises !
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