Les arbres "P"

      Alors que l’après-midi touchait à sa fin, Juliette et Marie se trouvaient encore au plus profond de la forêt des lettres. Le jour, déjà filtré par les branches et les feuilles, faisait place à des ombres qui semblaient appartenir à l’immense train de la Nuit.

      Soudain, un hurlement lugubre se fit entendre.

      « Marie, t’as entendu ça ? chuchota Juliette, c’était quoi ?

      - On aurait dit un loup mais ceux d’ici ne hurlent pas, ils chantent du Duke Ellington, ça ne peut pas être ça, répondit Marie d’une voix qui tremblotait. »

      Un deuxième hurlement vint conclure cet échange. Puis, à peine quelques secondes plus tard, les deux fillettes sentirent un souffle passer à côté d’elles tandis qu’un étrange ricanement retentissait en s’éloignant.

      « Juliette, j’ai cru voir quelqu’un, murmura Marie.

      - Ne dis pas ça Marie ! répliqua Juliette, c’est notre imagination qui nous joue des tours, c’est tout ! »

      A l’instant même où Juliette achevait sa phrase, les deux filles pénétrèrent dans une clairière où la lumière crépusculaire leur permettait encore de distinguer les formes des arbres qui les entouraient. Or, il s’agissait d’arbres qu’elles ne connaissaient pas encore, les arbres P. Les plus petits avaient cette allure :

 

p

 

      Les plus grands étaient plutôt comme ça :

 

P

 

      Dans les boucles que formaient leurs branches, on pouvait apercevoir tantôt un hibou, tantôt une chauve-souris, tantôt, même, un serpent. Surtout, derrière eux, dans la pénombre du bois, on avait l’impression de voir des mouvements furtifs, de distinguer des silhouettes inquiétantes, on sentait grouiller le monde de la nuit comme s’il se heurtait aux portes mal fermées du jour finissant.

 

      Face à ce spectacle, les cheveux des deux enfants se dressèrent sur leurs têtes. Elles firent trois fois le tour de la clairière en levant les bras et en hurlant comme des petites furies puis elles disparurent par un chemin forestier. Après avoir couru à en perdre haleine, Juliette et Marie s’arrêtèrent à l'orée du bois d’où elles pouvaient voir les lueurs du hameau où elles vivaient, spectacle qui les réconforta et les rassura. Elles filèrent chacune dans leur foyer respectif, à la recherche des bras câlins de leurs parents pour oublier les lugubres visions des arbres P.

 

      Le lendemain matin, rassérénées par le jour naissant, elles se retrouvèrent dans la forêt pour retrouver ces fameux arbres qui leur avaient fait si peur.

 

      Toute la journée, les deux filles cherchèrent avec l’espoir de vaincre le pouvoir des arbres qu’elles avaient découverts la veille. Pourtant, ce n’est qu’à la nuit tombante qu’elles finirent par entendre un ricanement devenu familier, le ricanement d’une vieille femme qui paraissait se déplacer au-dessus d’elles. Quelques secondes après, il leur sembla apercevoir l’éclatante blancheur d’un drap flottant dans les airs qui disparaissait derrière un tronc. C’est à ce moment qu’elles retrouvèrent la clairière des arbres P. La boucle de l’un d’eux était entièrement fermée par une gigantesque toile d’araignée où plusieurs veuves noires, ce spécimen très venimeux, attendaient leurs proies.

      A nouveau, les filles furent prises de panique. Cependant, Juliette prit le temps de nouer une pelote de laine au tronc de l’un de ces arbres avant de filer à toute allure en dévidant la pelote au fur et à mesure de sa course. La soirée se termina de la même manière que la précédente : dans les bras de leur maman, avec une brosse à cheveux pour les peigner du haut vers le bas afin de faire redescendre leur tignasse affolée.

 

      Le lendemain matin, Marie retrouva Juliette et lui dit :

 

      « Cette fois ma belle, hors de question d’attendre le soir pour les trouver. A quatre heures, si on est toujours bredouille, on rentre chez nous !

      – Chère petite Marie, tu sous-estimes ta Zuzu d’amour. Regarde ! »

      Et Juliette montra à Marie le fil de laine qui gisait entre les feuilles mortes.

 

      En quelques minutes, les deux filles étaient remontées jusqu’aux arbres P. Mais cette fois, en plein soleil, ils n’avaient plus rien d’effrayant ! Cependant, elles furent appelées par quelqu’un.

 

      « Hé ! Les filles, regardez un peu là-haut ! »

 

      Elles levèrent la tête et découvrirent une jeune femme aux yeux d’un vert si intense qu’ils semblaient faits de feuilles irradiées de soleil. Ses longs cheveux ondoyants tombaient sur ses épaules tandis qu’elles les toisaient du haut d’une passerelle qui reliait deux arbres P. A y regarder de plus près, les jeunes filles découvrirent que les arbres P étaient tous reliés entre eux par des passerelles et que, sur certains d’entre eux, reposait un véritable palais de bois.

 

      « Je suis la passeuse mesdemoiselles, mais vous n’êtes pas prêtes pour que je vous emmène où que ce soit. Revenez me voir quand ce sera le cas. Et s’il vous plaît, ne salissez pas les draps blancs que j’ai mis à sécher entre ces arbres en repartant. »

 

      Et elle disparut. Juliette et Marie essayèrent bien de la rappeler pour obtenir plus d’explications mais rien n’y fit. En revanche, elles virent que le toit du palais était orné d’un grand sifflet qui imitait le hurlement d’un loup quand le vent soufflait, que des peluches de hiboux, de chauves-souris et de serpents étaient disposés un peu partout dans les boucles des arbres P, et qu’il y avait même une toile d’araignée avec des veuves noires en plastiques... Cette passeuse les avait bien eues et, pour le moment, elle leur avait surtout passé une sacrée peur !

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