Sur un chemin moussu que couvraient les feuillages,
Juliette et son amie poursuivaient leur voyage
Au sein de la forêt profonde et mystérieuse
Où les arbres sont des lettres ensorceleuses.
« Juliette, dit Marie, tandis qu’elle observait
Deux colombes cendrées qui d’amour roucoulaient,
As-tu déjà senti ton cœur bondir de joie
Quand tu voyais paraître un garçon devant toi ?
As-tu déjà connu cette grave émotion
Qui s’appelle l’amour et trouble la raison ? »
– Oui Marie je sais la douceur de la romance
Et j’ai déjà goûté à toute sa violence.
Mais pourquoi me poser cette question soudaine ?
Nous n’avions jamais parlé d’amours humaines !
– Ma Juliette, je crois que ce sont ces beaux arbres
Qui font naître en mon cœur ce désir de palabre. »
A côté se dressaient en effet fièrement
Des arbres qui semblaient se faire des serments.
Les plus petits avaient cet aspect délicat :
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Et ronronnaient au vent comme des petits chats.
Les plus grands s’élevaient d’une noble façon :
R
Et le vent en leur sein chantait une chanson.
« Moi aussi ma Marie, dit la jolie Juliette,
Ces arbres font sur moi l’effet d’une allumette
Et mon cœur reverdi a besoin de parler.
C’est beau d’évoquer des sentiments élevés,
Encore faudrait-il dire le mélodrame
De la naïve idylle où s’engagea mon âme.
J’aimais très vivement un garçon délicieux
Sans oser découvrir mon émoi à ses yeux.
Tous les jours, je souffrais de ne pas partager
Avec lui les tourments de mon cœur passionné.
Un jour d’hiver pluvieux, je pris la décision
De tout dire au jeune homme, sans plus de réflexion.
Mais j’oubliais que par ces temps de stalactites,
Je souffrais moins d’amour que de ma sinusite.
Je m’approchai de lui, mon cœur près d’exploser,
Sans prévoir l’explosion qui viendrait de mon nez,
Et lorsque les aveux me brûlèrent les lèvres,
Ils furent rattrapés par ma brûlante fièvre :
Dans un éternuement digne d’une tempête,
Je couvris de mucus l’ensemble de sa tête.
Après cela je dus renoncer à l’idée
De lui parler d’amour ou bien d’autres sujets. »
En entendant la triste histoire de Juliette,
Les arbres qui poussaient les cœurs à l’amourette
Cessèrent d’exercer leur pouvoir langoureux
Et la rime s’en fut embellir d’autres cieux.