“Hello, darkness, my old friend,
I’ve come to talk with you again…”
Juliette fredonnait doucement le début de cette magnifique chanson de Simon et Garfunkel en se promenant dans la forêt des lettres. Marie, à ses côtés, faisait la deuxième voix et, comme elles arpentaient un sentier que le crépuscule remplissait peu à peu de ce sombre éther qui fait la nuit, un réalisateur de films aurait pu en tirer une scène à la fois belle et inquiétante.
Quelques minutes plus tard, alors qu’elles avaient cessé de chanter, elles prirent un embranchement qui s’enfonçait dans les profondeurs d’un recoin de la forêt qu’elles ne connaissaient pas et Juliette voulut signaler à Marie la présence de nouveaux arbres :
« ... »
Mais aucun son ne sortit de sa bouche. Elle s’arrêta, inquiète, et Marie, surprise, s’apprêta à lui demander ce qui lui arrivait :
« ... »
Elle non plus ne parvint pas à articuler la moindre syllabe.
En son for intérieur, Juliette avait déjà compris ce qui se passait. Les arbres qu’elles avaient découvert étaient des « S ».
Les plus petits avaient cet aspect :
s
Les plus grands élançaient souverainement les sinuosités de leur tronc dans le ciel sombre.
S
« Ceux-là sont quand même forts. Ils nous ont condamnées au silence. »
Chers petits lecteurs, chères petites lectrices, je vais me permettre ici une toute petite parenthèse. Loin de moi l’idée de me réjouir du malheur de mes propres héroïnes. Mais je vous avouerai que, parfois, il ne me déplairait pas d’avoir un arbre « S » sous la main pour imposer le silence à certaines petites bouches particulièrement actives et volubiles...
Néanmoins, Juliette indiqua par gestes à Marie la présence de ces nouveaux arbres et sa camarade comprit également ce qui se passait. Par signes, elles se mirent d’accord pour s’arrêter et réfléchir.
Les mains dans les poches, Juliette se demandait comment diable elles allaient pouvoir surmonter cette nouvelle épreuve et, machinalement, elle se mit à siffler l’air de la chanson « The sound of silence » qu’elle et Marie chantonnaient au début de notre récit.
La mélodie résonna dans le calme du soir en troublant ce pesant silence.
Alors, soudain, elle eut une géniale intuition et entonna, sur le même air :
« Marie, ma petite amie,
Je crois bien que j’ai tout compris.
On peut parler dans cet endroit magique
Il suffit de discuter en musique.
Alors les mots, qui restaient dans notre gosier,
Tout apeurés,
Feront enfin vibrer... le silence.
En plus, si tu fais attention,
Il y en aura pour tous les sons
Parc’ que le « s » peut fair’ comm’ le serpent
Mais peut aussi zézayer tout douc’ment
Comme la musique, suspendue dans cett’ nuit d’été,
Tout étoilée,
Vient briser insensiblement... le silence. »
Et voilà, le tour était joué : Juliette et Marie avaient résolu un mystère de plus. Elles continuèrent leur conversation mélodique sur tout le chemin du retour car, vous le savez bien, chers petits lecteurs, chères petites lectrices, rien, je dis bien rien, ne peut arrêter deux petites filles en train de parler...
Cette approche permet aussi de parler musique et chansons, une fois de plus (c’est un leitmotiv apparemment). J’imagine que tu as fait écouter « The sound of silence » aux auditeurs. Ce chapitre est aussi l’occasion de revenir sur la création de rimes.
Tout cela est bien pensé.