Les arbres "T"

      Le lendemain, Juliette et Marie passèrent une belle journée dans la cabane des arbres « A ». En fin d’après-midi, quand il fut l’heure de partir, les deux enfants firent un dernier tour dans la forêt. Elles avaient pris l’habitude de se promener ainsi, dans ce doux moment qui n’est pas encore le crépuscule, pour découvrir de nouveaux arbres.

      A l’ombre fraîche des feuillages, elles marchaient doucement, profitant du silence, des parfums, et de l’air velouté dans lequel on se sent comme un nageur. Néanmoins, comme la fraîcheur devient froidure, un imperceptible changement se fit peu à peu dans l’atmosphère, à mesure qu’elles avançaient. Le jeu des rayons du soleil dans les feuillages devint plus pâle, moins follet, et les visages des fillettes prirent des airs plus graves.

      Juliette sentit monter en elle un sentiment qui rendait tout lointain, vide et froid. Un vertige la saisit, comme un effondrement intérieur, qui lui fit tourner la tête vers Marie pour chercher de l’aide. Mais la brave Marie la regardait déjà les yeux embués, submergée par cette invisible vague.

      « Marie, murmura Juliette, je me sens terriblement triste tout à coup.

      – Moi aussi, je crois que ce sont ces arbres, répondit-elle dans un souffle. »

      Alors, les deux fillettes levèrent lentement les yeux et découvrirent les arbres « T ». Les plus petits se tenaient déjà bien droit comme ceci :

 

t

 

Les plus grands dressaient leurs impressionnantes silhouettes aux épaules déployées comme une voûte au-dessus des créatures de ce bas monde.

 

T

 

      « Ils sont d’un lugubre ces arbres, souffla Juliette.

      – J’ai envie d’aller voir papa et maman. Partons d’ici, dit Marie d’un ton qui n’aurait pas souffert la moindre contradiction. »

 

      Le lendemain, Juliette et Marie retournèrent voir les arbres « T », bien décidées à venir à bout de ces oiseaux de malheur pétrifiés dans leur envol. Lorsqu’elles furent sur les lieux, la même impression de vanité les saisit, comme si rien ne valait la peine d’être vécu.

Des larmes se mirent à couler le long du visage de Marie et Juliette observa cette rosée chagrine dont le trajet fut légèrement infléchi par la brise matinale. 

 

« C’est beau, se dit-elle. »

 

Ce sentiment fut comme une révélation. Alors qu'elle prenait conscience de la beauté de sa mélancolique amie, son admiration supplanta la peine qui l’accablait. Ou plutôt lui donna-t-elle un élan.

 

      « Marie, tu es très belle comme ça. Laisse-moi te dessiner, proposa Juliette.

      – Si tu veux, répondit Marie sans enthousiasme. »

 

      Alors Juliette sortit un carnet et un crayon de son sac et se mit à dessiner, avec patience et précaution, le profil plein de noblesse de Marie dans le malheur.

 

Il y eut ses cheveux qui coulaient comme un fleuve perdu dans l’estuaire du vent.

Il y eut ses tempes comme des cygnes harnachés de mèches.

Il y eut la courbe de sa joue comme une dune où la pluie, en s’enroulant dans le sable, a creusé son sillon.

Il y eut ses lèvres comme un dessin de chair tracé dans un ourlet de gouache.

Et puis ses yeux comme de l’or sous un filet d’eau.

 

Alors, sans un mot, Juliette accrocha son dessin sur le tronc d’un arbre « T » et Marie cessa de pleurer.

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