Les arbres "U"

 

      Avec le temps, Juliette et Marie finirent par apprécier les arbres T. Elles passaient parfois les voir pour ressentir ce flottement que provoque la tristesse et qui donne l’impression de ne plus faire tout à fait partie du monde.

      Un soir, elles étaient justement passées par cet état, fort heureusement transitoire, lorsqu’elles tombèrent sur de nouveaux arbres : les « U ». Les plus petits semblaient vous inviter à vous asseoir dans le creux de leur tronc, comme ceci :

 

u

 

Les plus grands évoquaient davantage un porche dont le ciel aurait été la voûte.

 

U

      Les deux jeunes filles s’approchèrent en se demandant quelle magie exerçaient ces arbres. Elles les observèrent et tournèrent autour sans rien remarquer.

Perplexes, elles finirent par s’asseoir l’une à côté de l’autre sur le tronc d’un de ces « U ». Elles entendirent alors une lointaine mélodie et sentirent un très léger parfum de fleurs apporté par une brise qui chatouillait leur nuque avec une telle douceur qu’elle semblait être l’extrême fin d’une vague s’étalant sur du sable chaud. Elles se retournèrent et ce qu’elles virent les sidéra.

Sur la rive d’un ruisseau aux eaux cristallines, une biche et ses faons se désaltéraient. Le sol était parsemé de fleurs blanches qui embaumaient l’air et un solo de flûte traversière bruissait à travers les feuilles des arbres « U ». Juliette et Marie se levèrent et franchirent le seuil ligneux qui les séparait de ce lieu féérique.

Deux jeunes garçons aux yeux clairs et au visage fin apparurent. Ils étaient d’une beauté pleine de noblesse et de fraîcheur.

Juliette pensa, non sans se souvenir des mots de Georges Brassens : « Mais quel est cet incroyable Eden rempli de jouvenceaux ? » 

Les deux jeunes hommes leur apportèrent un verre de jus d’orange frais en leur souriant.

 

« Soyez les bienvenues Juliette et Marie, votre présence parmi nous est un honneur, dit l’un d’entre eux. Je suis Gabriel et voici Raphaël.

– Enchantée Gabriel et Raphaël, mais j’aimerais que vous nous expliquiez comment vous nous connaissez, quel est cet endroit et qui vous êtes exactement, répondit Marie d’une façon assez inquisitrice tandis que Juliette la regardait horrifiée qu’elle ose parler ainsi à ces charmants archanges blondinets.

– Bien sûr, vous êtes ici dans le pays d’Utopie, le pays qui n’existe pas. Nous sommes des habitants de ce pays et nous vous connaissons parce que la Passeuse nous a parlé de vous, répondit consciencieusement Raphaël.

– Que veux-tu dire par « le pays qui n’existe pas » ? fit Juliette curieuse.

– Eh bien, c’est un pays qui n’existe pas dans la réalité. La vie y est particulièrement agréable. Il est le fruit des rêves des habitants de votre monde mais seuls quelques privilégiés comme vous et nous peuvent y accéder.

      – Pourquoi ? demanda naïvement Juliette.

– Tout simplement parce que ce ne serait plus le paradis dont tout le monde rêve si tout le monde y avait accès ! s’amusa Raphaël. Nous sommes ainsi faits que nous n’aimons rien plus que d’avoir des privilèges auxquels les autres n’ont pas accès !

– C’est d’un mesquin... répliqua Marie.

– Mais pas du tout, s’offusqua Gabriel. Si nous n’étions pas là pour faire rêver les gens, la seule réalité serait bien terne...

– Alors c’est la réalité qu’il faut changer, et pour tout le monde, fit Marie, cinglante. Et puis vous croyez que vous nous faites envie avec vos sourires parfaits et votre musique de publicité ? Les rêves peuvent être bien plus beaux que votre paradis de pacotille.

– Personne ne vous oblige à rester si vous préférez vivre dans la laideur et les travaux pénibles ! lui retourna Raphaël.

– Mais quel est donc le plaisir que vous tirez de ce monde dont vous profitez seuls ? Ce que vous aimez, ce n’est pas le rêve, c’est le malheur des autres, quelle belle idée du bonheur ! Allez, viens Juliette, on laisse ces petits imbéciles se croire supérieurs aux autres sans nous.

– Heu, oui, bien sûr Marie, je te suis ! fit Juliette en jetant un regard déçu aux jus d’orange que tenaient encore Gabriel et Raphaël. »

 

Une fois qu’elles se furent éloignées, Juliette dit à Marie :

– Pour un paradis de pacotille, c’était quand même pas mal, non, tu ne trouves pas ?

– Si, bien sûr, mais à côté du plaisir de tourner le dos à leur Utopie pour enfants gâtés, ce n’est pas grand-chose ! rit la jeune fille.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
AlaindeVirton
Posté le 19/11/2024
Ce texte est très beau conte que l’on pourrait détacher de l’ensemble, et écrit dans une belle langue. C’est un conte philosophique, même s’il ne paraît pas en avoir la prétention. Il suscite immanquablement des questions fondamentales dans l’esprit du lecteur adulte. Qu’en est-il des enfants ? N’est-ce pas un peu trop intellectuel ? À la réflexion, peut-être pas, car il y a plusieurs niveaux de lecture d’un tel texte. Les enfants peuvent se satisfaire du degré le plus immédiat, le plus matériel, celui dont les images mentales les renverront vers les contes qu’ils entendent ou voient au quotidien. Il reste que le parent lecteur ne pourra pas faire l’impasse sur une explication de l’utopie qui se trouve au centre de la petite histoire. Je me demande comment il s’en est tiré.
Paul Genêt
Posté le 25/11/2024
Pas facile celui-là, tu as vu juste. Je l'aime bien mais il faudrait trouver une autre façon de le prendre. Ma fille a compris ce qu'était une utopie (je le lui ai expliqué, bien sûr) mais elle a eu du mal à comprendre l'enjeu du débat. Bref, l'auteur / lecteur n'est pas encore satisfait !
AlaindeVirton
Posté le 27/11/2024
Courage !
Vous lisez