Les bateaux de l'espace (Chap. 6) : Le Rafale

Par Cyrmot


— Melvil ? ... Houhou…Melvil ?!

J’avais encore le visage plein de savon, j’entrevis le regard de ma mère à travers le parfum de lavande qui me piquait le nez. Puis le transistor sur la tablette qui donnait les dernières nouvelles, et que je fixais maintenant intensément.

« …une crise majeure sans précédent en Grande Bretagne depuis la seconde guerre mondiale, la crise des Malouines au large de l’Argentine prend à présent des allures de conflit armé. Les forces déployées par l’armée britannique, tant par la Royal Navy que par la Royal Air Force semblent tout indiquer que… »

— Maman c’est quoi les Malouines, je demandai, en faisant une petite bulle à Malou.
Ça avait pas l’air simple cette histoire. Ma mère tenta de m’expliquer, tout en me passant le gant sur la figure, l’histoire de ces îles quasi-désertes, du bazar entre argentins et anglais, et que c’était désolant d’en arriver là.

Je retins quand même que les anglais quittaient leur pays pour aller faire la guerre à l’autre bout de la planète. Je sentis les engrenages ronronner dans mon crâne. On devait organiser les défenses au plus vite autour de l'hovercraft, troupes legospace et renforts playmobils au cas où.

Je bondis hors de la salle de bains en terminant d’enfiler mon pyjama, puis vins trouver Octave dans la chambre à genoux devant son lit. Je me posai à côté de lui puis tirai son oreiller au milieu de la couverture.

— On dirait que l'hovercraft il a débarqué sur une île et que les rosbifs ils arrivent, ils veulent tout casser, je commençais en installant la maquette que Jeannot nous avait offert.
Je me relevai pour aller chercher de quoi fabriquer les tourelles, les remparts, les patrouilles.
— Mais si on prend tout on aura plus rien pour faire les anglais ! Il m’arrêta en me voyant revenir les bras pleins.

Je réfléchis un instant, en faisant un tour d’horizon.

— Eh ben c’est simple, pour eux on prend que les jouets pourris ! Les legos rouges et jaune, les voitures du jeu Destins, les bateaux du touché-coulé, les…

— Ah ouais, trop bien, c’est la camelote des rosbifs !... Et c’est quoi le nom des méchants alors, parce que rosbifs c’est naze au bout d’un moment… Les Jeffreys?..

— Non je sais ! Les Airfix ! Et en fait Jeffrey c’est leur commandant !

— Ah ouais ! !... Bon toi tu les installes pendant que moi je commence la défense.

— Ouais mais après on aura le droit tous les deux de défendre ! Moi je m’en fous je fais pas tout le temps les Airfix!

Depuis que Jeannot nous avait offert un autre hovercraft, on avait instauré des tours pour pas se battre. En tout cas on pourrait plus dire qu’il n’y avait pas de jouets à Boulogne, il nous avait lancé, avant de nous faire promettre de tenir notre langue, surtout parce qu’à Paris ça pourrait vite passer au journal. 

Les bourgeois de Michel étaient retournées sur leur étagère, et on n’avait pas vu passer le reste des vacances. On avait juste demandé chaque matin à mon père si on pouvait de nouveau aller à l'Hoverport, maintenant qu'on avait les horaires. Même si lui n'en pouvait plus au bout d'un moment. Mais nous maintenant on trouvait ça trop chouette l'arrivée et les départs des Hovercrafts en grand, ça faisait presque comme de la science-fiction quand ils arrivaient directement sur la plage sur leurs bouées en faisant VROOAAA, on aurait vraiment dit des bateaux de l'espace.

Elle avait raison Monique, Boulogne c'était super moderne. On avait aussi voulu voir Dédé pour le remercier mais Jeannot nous avait dit que c'était pas la peine. La maquette qu'il nous avait offert datait des débuts de ses productions. Et Dédé voulait plus en entendre parler de cette époque. Il avait même failli tout jeter mais Jeannot les avait récupérées en attendant.

Le nôtre était trois fois moins gros que le Princess Anne du mariage, mais plus maniable pour les combats. C'était un SRN6, le premier des hovercrafts qui avait rallié Boulogne à Douvres nous avait expliqué Jeannot. SRN6 on trouvait pas ça terrible, on l'avait appelé le Rafale, ça sonnait mieux.

— A vous de chercher les trucs tous seuls maintenant, il avait conclu en nous faisant un clin d’œil au-dessus du bateau, alors que Monique venait de nous resservir une crêpe.

— On n’a qu’à dire que toi tu gonfles la bouée et tu démarres les hélices, voilà. Et c’est moi qui allumerai.

On n’avait pas eu trop de mal à trouver les différents trous pour activer les mécanismes du bateau. C’était fabriqué à peu près comme pour le Princess Anne de Jeannot. En revanche on n’avait jamais trouvé la commande pour le film, ni pour les hublots passagers.
On s’était alors dit que Dédé devait encore tâtonner à l’époque.

— Les enfants, demain école, dans dix minutes c’est au lit, annonça ma mère en passant devant la porte de la chambre.

Octave soupira, on organisa le transfert des troupes par terre sous la fenêtre, puis mon frère joua encore avec l'hovercraft pendant que je transbahutais le reste des bataillons. De toutes façons cette semaine c’était mon tour de l’avoir sur mon chevet pour dormir, je pouvais bien lui laisser un peu avant de se coucher. Et puis il avait toujours sa montre à lumière bleue.


*

 

La nuit était calme, à peine traversée par le clic clic des boutons de la montre de mon frère et les voix lointaines du transistor de ma mère dans la salle de bains

Le Rafale passait ses dernières heures de tranquillité, arrimé sur les reliefs de mon oreiller.

Là-haut dans l’obscurité clignotait de temps à autres un astre bleu sur le plafond de la chambre. Ils avaient eu quelques bonnes prises avant le crépuscule, le captain DD Rafalwalker était un as de la pêche spatiale, c’était leur dernier dîner avant la bataille ultime contre la flotte de Jeffrey. Le capitaine avait ensuite chanté quelques ballades à la guitare laser, et sa fiancée l’avait écouté les yeux brillants. Elle était heureuse à présent, libérée des griffes de l’infâme Jeffrey, qui l’avait enfermée des années dans une tour sinistre, au milieu de son usine Airfix.

Puis ils entendirent tous deux les prédictions de la Dame du Temps qui passèrent dans le ciel, il y avait des avis de tempêtes sur Viking et Fischer, cela retarderait peut-être l’avancée de Jeffrey, et leur laissait au moins le temps d’une nuit douce et heureuse, à bord de leur confortable bateau spatial.

Au plafond l’astre bleu avait cessé de clignoter, je décidai d’éteindre le cockpit. On avait trouvé le mécanisme avec mon frère, une simple molette, adroitement dissimulée à l’arrière, sous le coussin d’air.

On avait été un peu déçu au début, de ne voir personne sur les fauteuils des passagers.

Puis on les avait finalement trouvés, assis l’un à côté de l’autre, dans la cabine de pilotage. Ils souriaient tous les deux, et semblaient se regarder amoureusement.

Un grand tout maigre en costume et une jeune femme avec des boucles et des grands yeux.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez