Merci cligna des yeux et s'aperçut qu'elle avait encore décroché de la réalité - "basculé dans la zone", comme disait Patxi, vers cette espèce de dimension parallèle née de ses excès de concentration et de son manque de sommeil. Elle consulta l'horloge sur son téléphone - dix-neuf heures - pour constater qu'elle s'était éteinte pendant trente bonnes minutes. Maintenant, le bruit qui l'avait réveillée se répétait.
Un deuxième cliquetis de verrou précéda des pas lourds dans l'escalier. La calvitie de Patxi apparut la première, suivie de son expression ronchon, puis de trois sacs de bouffe à emporter et de deux packs de bière panachée. Il largua le tout sur un bureau déjà surchargé et s'épongea le crâne d'un revers de manche. Encore un peu zonarde, Merci resta hypnotisée par la grille de mots croisées imprimée sur la chemise de Patxi avant qu'il dise en reniflant :
— Ça commence à sentir le fennec, par ici. Ça te dérange pas si j'aère ?
Elle haussa les épaules, ce qui chassa un air fétide de sous ses aisselles. La chaleur confinée sous les toits n'arrangeait sans doute rien, mais à force d'y baigner, l'ambiance olfactive devenait tout à fait supportable. Patxi ouvrit les lucarnes et alluma le ventilateur orientable, dont le souffle fit claquer les papiers au museau de Merci.
— Tu sais que j'ai un système numérique ?
Déjà encombré de notes et de documents accumulés durant des investigations plus désespérées que celle-là : des photos floues d'ombres aperçues dans la Sierra, des témoignages bancals à propos de rejets chimiques autour des usines Landry, des affirmations infondées concernant du boudin frelaté et des sacrifices nocturnes organisés par le sou des écoles. Merci n'avait raté presque aucun épisode du Tireur solitaire, mais c'était la première fois qu'elle en voyait les coulisses, et si elle avait beaucoup de respect pour les méthodes détectives de Patxi, elle préférait mener sa barque comme elle l'aurait fait dans son bureau de la mairie.
Elle avait besoin de visualiser, d'agencer, de mettre enfin de l'ordre dans cette dernière semaine d'investigations. Besoin d'utiliser des outils sérieux pour une enquête sérieuse, aussi. Deux punaises entre les dents, Merci tendit alors un nouveau bout de laine d'un coin à l'autre de son panneau de liège. Un cliché de Victor y occupait une place de choix, découpé à partir d'une photo de classe de terminale et agrandi quatre fois. Ses yeux à moitié fermés lui donnaient l'air d'un imbécile heureux.
Imbécile, il l'était toujours, a priori, mais heureux, c'était moins sûr. Merci ne l'avait pas revu depuis leur petite discussion dans la forêt et l'envol sauvage des chauves-souris, samedi dernier. Elle n'avait pas voulu prendre le risque de l'accoster à l'usine sous le nez de Madame Landry et, de toute façon, il n'aurait sûrement pas coopéré. "J'ai pas le droit de vous le dire", avait-il répondu aux questions de Merci. Ça signifiait que Victor n'était pas seul dans cette affaire. Quelqu'un contrôlait ce qui sortait de sa bouche ; quelqu'un qui possédait peut-être des informations incriminantes et qui ne voulait pas les partager avec une ex-garde-champêtre - même pas pour l'aider à débarrasser Belmont de l'envahisseur.
Fournisseur ? Chef de gang ? Merci avait représenté ce mystérieux inconnu sous un point d'interrogation. Un portrait-robot approximatif présidait l'autre moitié du tableau : cheveux crépus, grand front, pommettes, menton, lunettes et collier. Au-dessus, une étiquette indiquait "Rafael "Rafi" Torres". La photo de sa Chevrolet El Camino se trouvait juste à côté, ainsi qu'une mosaïque de tickets à gratter - tous perdants - qu'elle avait exhumé des poubelles du bistrot. En-dessous, un nuage de mots répertoriait ce que Merci supposait à son sujet : il avait des moyens financiers conséquents, des connexions, et assez d'assurance pour se moquer ouvertement de l'autorité.
— Alors ? lança-t-elle par-dessus son épaule, prête à épingler. Qu'est-ce que t'as trouvé ?
Mais Patxi secouait la tête en babillant devant l'énorme terrarium où son iguane de compagnie digérait son dernier repas, affalé sur une branche. Merci ne fit aucun commentaire. Le pet-sitting de reptile lui permettait de squatter gratuitement les combles de la bibliothèque, et elle devait admettre que Chechi lui faisait aussi une bonne compagnie quand Patxi redescendait tenir la boutique.
— Rafi Torres est mort y a six mois dans un accident de baignoire, déclara finalement Patxi après s'être fait niaquer l'index. Longue vie à Rafi Torres !
Merci barra une ligne sur leur interminable registre de suspects en essayant d'ignorer sa frustration. Deux-cent-quinze Rafi Torres au départ, quatre-vingt dix-sept aujourd'hui. Un nom et un âge entre quarante-cinq et cinquante-cinq ans, ça ne faisait pas beaucoup de critères pour affiner les recherches. Merci avait extrapolé une partie du reste : l'intrus n'avait pas d'accent, mais la plupart des gens de la région parlaient assez bien les deux langues ; d'ailleurs, le fait qu'on écrive "Rafael" et pas "Raphaël" semblait confirmer qu'il ne venait pas de très loin, d'un côté ou de l'autre de la frontière.
Aucun profil déniché sur les réseaux sociaux ne correspondait, et si Patxi était capable de trouver à peu près n'importe quoi dans les archives de Belmont - à part le livret de famille d'abuela Sebastiana, apparemment -, fouiller l'entièreté du web armé de trois mots-clés s'avérait un peu plus compliqué. Il s'installa pourtant à son bureau et commença à jongler entre l'ordinateur, le scanner de police et la radio, qui crachèrent leur habituel froufrou de conversations parasites et de chansons de variété captées sur des fréquences disparues.
Merci déballa l'assortiment de boîtes en carton ramenées pour le dîner, distribua les victuailles et décapsula deux bouteilles. Ils les entamèrent sans trinquer.
— Je prends le prochain, dit-elle en s'asseyant à son propre poste.
Elle mit ses quesadillas de côté et s'attaqua au candidat numéro cent dix-huit. Résident d'un patelin du sud-ouest, père de trois enfants et… titulaire d'une pension d'invalidité depuis une décennie. Par acquit de conscience, Merci activa son VPN et s'introduisit par la toute petite porte que Patxi avait ouverte dans l'administration nationale. Quelques clics plus tard, le revers d'une carte vitale apparut, et avec lui la photo peu flatteuse d'un homme borgne.
Cent dix-neuf. Employé de laboratoire. Célibataire. Casier judiciaire. Prometteur. Incarcéré depuis trois ans dans une prison du pays voisin pour détournement de marchandises dangereuses. Cent-vingt.
— Tu crois que Victor aurait pu me mentir sur son identité ? demanda Merci. Volontairement ou pas ?
— Oui.
Elle grogna.
— Quoi ? répliqua Patxi, la moitié d'un taco dans le bec. Tu veux que je sois honnête ou que je te réconforte ?
— Les deux ?
— Tu t'es mise en quête de la vérité, Merci, et c'est une quête aussi noble qu'ingrate. Ne te laisse surtout pas décourager. Ceux qui veulent nous la cacher n'attendent que ça.
Mais qui voulait cacher ça ? L'état profond ? Big Pharma ? Rien d'aussi fou, sûrement. Et quand Patxi s'en apercevrait, ou qu'une autre énigme plus juteuse détournerait son attention, elle ne pourrait même plus compter sur lui pour démêler cette affaire.
— Tiens, change-toi un peu les idées de Rafi, lança Patxi en remuant des orteils dans ses sandales à scratch, les jambes croisées sur la station d'enregistrement. J'ai continué à fureter concernant le contenu du fameux sachet. En premier prétendant, nous avons le Tucibi, aussi appelé Venus, Erox ou Nexus, amphétamine de synthèse. Rose.
— C'était rouge.
— Alors peut-être le Yaba, aussi connu sous le nom de "drogue de la démence" ou de "speed nazi", ça donne envie… Combinaison de plusieurs stimulants, essentiellement caféine et méthamphétamine. Petit cachet rouge.
— C'était de la poudre.
— De la poudre de cachet écrasé ?
— Mouais. Ça paraît improbable de le distribuer comme ça.
— MDMA, alors.
— Pareil.
— Fraise Tagada.
Merci roula des yeux.
— Rigole pas, y a eu une grosse saisie dans le nord, le mois dernier. Les policiers étaient très fiers d'eux avant de recevoir les résultats de l'analyse toxicologique.
Merci plongea la tête dans ses mains et s'empoigna les cheveux, qu'elle avait poisseux et presque aussi puants que les dessous de bras. Trois semaines avaient passé depuis la première apparition de l'étranger, et elle avait beau remplir son tableau et tricoter de la ficelle rouge, elle piétinait. Victor avait pu la baratiner pour la freiner, ou lui transmettre de fausses informations sans le savoir ; le produit illicite qu'on trafiquait sous les halles de marché pouvait être du bonbon pulvérisé ; elle n'avait pas la moindre preuve, pas la moindre piste, et…
— Père Castor, ici Calisson Corrompu.
Merci releva le menton et Patxi se redressa si brusquement que sa tortilla lui mit une gifle. Il tourna une dizaine de boutons avant de s'apercevoir que l'appel provenait du talkie-walkie perché sur l'écran cathodique de son PC. Jaune, le talkie, et décoré d'un œil noir. Merci le reconnaissait ; elle reconnaissait les noms de codes, aussi. Elle s'interdit de trop espérer, mais le regard fiévreux que Patxi lui lança en enclenchant l'émetteur ne l'aida pas à calmer ses ardeurs.
— J'écoute, Calisson.
— On vient d'apercevoir un véhicule correspondant au signalement près de la halte ferroviaire.
Merci palpitait jusqu'au bout des doigts. Elle avait demandé deux services à Patxi : organiser un rendez-vous avec Victor et mobiliser tous les voisins vigilants à la recherche d'une vieille voiture de collection. Il n'avait eu aucun mal à leur faire croire qu'il menait sa propre enquête, et eux aucun mal à se rendre disponibles, tant que ce n'était pas Merci qui commandait.
— Impossible de lire la plaque, reprit Calisson Corrompu. Mais…
Merci était déjà debout.
— T'es sûre ? fit Patxi.
Elle ne prit même pas la peine de lui répondre. Elle essayait de rassembler ses affaires pendant que sa cervelle galopait déjà jusqu'à la gare.
— Laisse-moi venir avec toi, au moins, fit Patxi, pendant que Calisson Corrompu lançait des "hého ?" vexés.
— Non. Voilà ce qu'on va faire.
Merci déroula ses consignes pendant qu'ils quittaient les combles. Il n'y avait plus personne dans la bibliothèque, évidemment, et l'éclairage de secours changeait les rayonnages en labyrinthe où on évitait de trop laisser traîner les yeux. Tout était familier, pourtant : c'était les mêmes étagères qu'au CDI, les mêmes chaises qu'au cabinet de Salut, les mêmes bureaux qu'à la mairie, tous commandés au même fournisseur de mobilier républicain. La seule chose bizarre, ici, c'était les deux ombres qui zigzaguaient en chuchotant entre les bacs de bande-dessinées et les antennes de brouilleurs d'ondes.
Patxi ne l'interrompit pas une seule fois et, quand Merci fut arrivée au bout de son briefing et devant la porte de service, il se contenta de dire :
— Fais gaffe.
C'était un bon conseil. Merci n'avait plus de pistolet ni d'uniforme, plus de moyen de pression, plus d'influence. Elle aurait pris ses précautions en temps normal, mais se lancer en amatrice, c'était autrement plus dangereux. Alors elle commença par enregistrer le numéro de Patxi en appel rapide avant de faire un crochet par chez elle pour s'équiper comme elle pouvait. Le b.a.-ba : des sous-vêtements qui tenaient tout en place, puis un pantalon épais et trois couches de maillot, de t-shirt et de veste - ça ne valait pas un gilet pare-balle, d'accord, mais il valait mieux mettre un maximum de tissu entre sa peau et une arme, quelle qu'elle soit. Merci termina par ses meilleures chaussures de rando et son couteau à cran d'arrêt.
Deux coups de pédale dans son attirail et elle suait déjà profusément. L'air du soir la cuisait de l'extérieur, l'excitation la chauffait du dedans. Heureusement, le vent rafraîchissait la fournaise et, en la poussant dans le dos, il l'entraînait presque aussi vite que ses pensées. Est-ce qu'elle aurait dû prendre la voiture ? Plus résistant, mais moins discret, et moins pratique que le vélo pour se faufiler en rase-campagne. C'était trop tard, de toute façon. Trente minutes avaient filé depuis que Calisson Corrompu avait aperçu de l'agitation du côté de la gare. C'était maintenant ou jamais.
Merci pressa l'allure. À la sortie de Belmont, un raccourci à travers la garrigue l'éloigna de la départementale. Elle avait emprunté le même sentier tous les jours pour revenir du collège, puis du lycée, et pendant un moment, elle eut presque l'impression de rentrer à la maison. Puis elle prit un virage qui l'éloigna de ses souvenirs. Qui la recentra sur son objectif, surtout : un petit amas de bâtiments abandonnés au bout de la route de terre battue. Merci força encore sur ses cuisses et ses mollets. Pas de barrière, pas de panneau : une couche de bitume craquelé servait de passage à niveau, et Merci le franchit en danseuse pour épargner son postérieur. Le soleil était couché quand elle ralentit à proximité de la halte.
L'endroit semblait désert, comme toujours : presque plus aucun train de voyageurs ne s'arrêtait à ce quai, et jamais aux horaires placardés sous l'aubette ; et puisque la coopérative agricole des Fontenot produisait juste de quoi remplir une camionnette, ces jours-ci, seuls quelques convois de fret à destination des usines Landry traversaient encore le paysage. Merci contourna la plateforme derrière un rang de cyprès. Toujours personne. Des wagons rouillés encombraient les voies de garage, les rails disparaissaient dans la pampa vers des fermes vides et les halles désaffectées jouaient les manoirs hantés.
Une, en particulier. Merci freina un peu sèchement et le crissement des graviers lui fit serrer les fesses. Elle s'arrêta derrière un genévrier, tendit l'oreille, attendit, puis jeta un nouveau coup d'œil au hangar qui longeait la ligne principale. Toutes ses ouvertures avaient été calfeutrées à l'exception de l'arche d'accès à la voie couverte, où une lumière ténue dansait sous le toit de tôles ondulées. Merci gara son vélo tourné vers la ville : plus qu'à l'enfourcher en cas de fuite précipitée. L'instant suivant, elle avançait à croupetons à travers les terrains vagues.
Elle pila presque aussitôt : dans la cour en friche, une Fiat Punto rouge tenait compagnie à la Chevrolet et, dans la halle, quelqu'un déclarait :
— Tout est là. Mais à mon humble avis, ça fait beaucoup d'échantillons gratuits.
Merci s'était attendue à entendre cette voix nonchalante, cynique et détestable. Pas à ce qu'une autre lui réponde :
— C'est un investissement.
— Discutable.
Merci réalisa qu'elle tendait la main vers son couteau. Elle prit son portable à la place, écrivit à Patxi "PAS SEUL!!!", puis passa en mode silencieux et démarra l'enregistrement audio. Elle avait douloureusement conscience de son corps, tout à coup, des crampes dans ses muscles, du nœud dans sa poitrine, de sa Salut intérieure qui lui disait qu'elle aurait dû manger et boire autre chose que du panaché. Elle continua pourtant à avancer en tapinois. Arrivée près d'une fenêtre, elle lorgna un moment entre les planches et les parpaings avant de voir Rafi Torres, de dos, et la vague silhouette que la lampe torche de son téléphone découpait face à lui.
Une femme, grande, au timbre encore plus menaçant quand elle reprit :
— Ce sont ses ordres que tu discutes ?
— Loin de moi cette idée…
Il bougea et la lumière glissa sur les sacs de sport alignés à leurs pieds. Quatre. Remplis de poudre rouge, forcément. Rafi n'était donc pas un électron libre à la recherche de nouveaux clients. Quelqu'un quelque part avait acheté ou préparé les kilos de drogue qu'il refourguait maintenant à cette femme en guise "d'investissement". Quelqu'un quelque part donnait des ordres. Et deux des coupables étaient là, si proches que Merci s'en serait bouffé les doigts. L'adrénaline noyait son cerveau hypoglycémié et le peu de self-control qu'il lui restait l'empêchait tout juste de se jeter dans la mêlée en les mitraillant de photos. Elle devait intervenir. Les prendre sur le fait avant qu'ils disparaissent dans la nature avec leur saloperie.
Mais ils étaient deux contre une, sans insigne et sans mandat. Elle ne pourrait pas les forcer à ouvrir ces sacs. Elle ne pourrait même pas se défendre s'ils contre-attaquaient. Après ça, ils deviendraient d'autant plus difficiles à cerner et Merci se serait grillée pour rien. Elle n'allait pas faire la même erreur qu'à la foire.
Quand elle eut presque accepté l'idée de ne pas les coffrer ce soir, elle put se concentrer sur l'essentiel : récolter assez d'indices pour que, la prochaine fois, ils n'aient aucune chance de s'en tirer. Ils n'allaient sans doute pas s'attarder ici très longtemps, alors elle pria pour que sa première idée soit la bonne et pianota de nouveau sur son téléphone. Rafi essayait de convaincre sa complice qu'ils perdaient au change en distribuant autant de cadeaux quand le grondement d'un moteur résonna dans la plaine.
— Quelqu'un t'a suivi ? lâcha la femme d'une voix aussi tranchante qu'une lame.
— Tu me prends pour qui ? répliqua Rafi, et malgré la situation, Merci fut ravie de l'entendre se faire remonter les bretelles. Va voir, je m'occupe de ça.
Elle n'avait pas attendu sa tentative de commandement pour prendre le chemin de la sortie, insensible au noir quasi-complet qui régnait loin de Rafi. Celui-ci coinça son portable au coin de sa bouche et empoigna deux sacs dans chaque main, avant de la suivre vers la voie couverte. De l'autre côté de la halle, l'intrus indésirable avait garé son véhicule. Le claquement d'une portière déchira le silence stridulant du désert.
— Bien le bonsoir ! lança Calisson Corrompu, l'espion de la gare.
Merci ne pouvait pas vraiment espérer des renforts, mais comme elle l'avait dit à Patxi, elle se contenterait d'une diversion. Elle longea le hangar en sens inverse pendant que le voisin ultravigilant continuait :
— Je peux vous aider ? Ça faisait un moment qu'on n'avait pas vu de prospecteurs immobiliers par ici. Votre dernier confrère avait de grandes idées de reconversion en logements pour bobos, l'année passée, mais on l'a plus jamais revu. C'est quoi votre truc, à vous ? Centre commercial ? Multiplex ? Vous savez, on a déjà un bowling et…
Rafi terminait de charger les sacs dans la Fiat Punto. Si Patxi avait bien joué son rôle, d'ici quelques secondes…
— Mais madame, restez polie ! Si vous voulez construire quoi que ce soit à Belmont, il va falloir apprendre à traiter les Belmontois correctement ! Vous avez une autorisation de la mairie pour rôder ici, au moins ? Comment s'appelle votre société ? Vous ne…
— Vous êtes sûr de vouloir continuer à parler ?
Rafi jura, claqua le coffre sans le verrouiller et s'élança au secours de son acolyte - ou peut-être au secours de Calisson, qui n'allait pas tarder à s'en prendre une. Merci s'élança elle aussi. Les étoiles brillaient juste assez pour qu'elle discerne la forme des voitures. Elle chercha le bouton d'ouverture, souleva le hayon, attrapa une fermeture éclair à tâtons et piocha une poignée de sachets qu'elle fourra dans ses poches. Elle serait déjà loin quand ils s'apercevraient que leur stock s'était allégé.
Elle devait tout remettre en place, maintenant. Maintenant. Mais elle restait là, avec un autre sachet entre les doigts, et elle hésita encore un petit siècle avant de l'ouvrir. Juste pour s'assurer que ce n'était pas de la fraise Tagada.
Ça avait une drôle d'odeur, un peu terreuse, métallique. Ça ne donnait absolument pas envie de s'en mettre dans le pif ou sur les gencives, mais Merci y plongea l'auriculaire et tira la langue. Le goût n'était pas plus engageant. Il y avait quelque chose de familier, pourtant, pas de nourriture, mais de… douleur ? Oui, c'était un peu comme se mordre la joue ou se fendre la lèvre. Elle fouillait encore sa mémoire quand elle réalisa qu'elle n'entendait plus Calisson Corrompu brailler contre les banquiers.
— Je vous avais dit qu'il ne fallait pas vadrouiller dehors la nuit, fit une voix nonchalante, cynique et détestable dans son dos.
Merci vit le coffre approcher à vitesse grand V. La douleur lui cisailla la tête et, quand elle prit conscience de ce qui se passait, on la jetait déjà sur la banquette arrière de la Fiat Punto.
Je me suis demandé si cette impression voulait dire que j'avais zéro empathie pour le personnage, comme c'était une question que tu te posais dans les commentaires. Et sincèrement je ne crois pas. J'ai de la sympathie pour Merci et pour son aveuglement, pour sa détermination, pour sa fierté, pour la loyauté qu'elle éprouve pour la maire et pour son désespérant besoin d'être utile. Je trouve que son caractère et ses failles font un fil d'histoire très intéressant. Pour autant, je ne suis pas inquiète pour elle à la suite de cet enlèvement, sans doute en grande partie parce que le ton de l'histoire reste comique à mes yeux. Plein plein de trucs louches, certes, mais un peu comme un épisode de Scooby-Doo, tu vois ? J'espère que ce sera pas mal reçu cette remarque, parce que je kiffe hein, je suis accrochée, la tension fonctionne ! Mais pas une tension qui me fait craindre pour les personnages, en tout cas pour le moment (sauf peut-être pour Calisson Corrompu qui s'est mis dans un beau pétrin sans l'avoir vraiment cherché, contrairement à Merci qui crevait d'envie d'être au cœur de l'action, j'ai l'impression). J'ai juste envie de fureter partout dans cette petite ville pour comprendre tous les sombres secrets qui traînassent. (et donc, ça me fait penser à Stardew Valley, hop encore !) Donc j'ai super hâte de lire la suite :D
Bon, tu n'es plus sans savoir que ton interprétation de la fin m'a fait revoir beaucoup beaucoup de choses, mais c'est tellement pour le mieux, merci tout plein !! Même si ça m'a pris du temps de démêler toutes mes idées, au moins, maintenant, je pense être sur les bons rails.
(Du coup, je vais très légèrement modifier la fin de ce chapitre pour que ça colle à la nouvelle suite).
Haha mais oui y a carrément quelque chose de Murray ! Effectivement, les indices sont quand même minces jusque-là et ça aurait été compliqué de faire progresser l'enquête. Mais écoute, on peut souhaiter un kidnapping aux personnages qu'on apprécie, apparemment :p Et c'est vrai, il y a toujours un fond de légèreté dans l'histoire (même si j'espère quand même pouvoir dire quelques petites choses un peu sérieuses voire un peu dramatiques). Scooby-Doo est une excellente comparaison xD (qui fait le chien ?).
J'espère que je rendrai justice à toute la ville, faut que je commence à creuser un peu plus loin que le cercle restreint autour de Merci.
La suite arrive rapidement ! Merci encore pour ta lecture et pour ton retour et pour les discussions et pour la retraite littéraire qui m'a fait tant de bien <3
Si je me trompe pas, tu as un peu modifié la fin déjà ? Je ne me souvenais pas qu'on lui cognait la tête contre le coffre. Si c'est bien un changement, je trouve ça efficace. (et si c'était déjà comme ça, je me tais à tout jamais :'D) Quand je disais que le kidnapping était une bonne chose, je voulais vraiment dire que ça peut faire comme un électrochoc, à la fois pour Merci par rapport aux risques qu'elle prend, mais aussi pour les lecteurs, genre "bon fini de rigoler maintenant". (électrochoc qui du coup va bien avec ce coup sur la tête)
J'ai hâte de voir ce que ça donne ensuite. J'ai l'impression que tu auras cherché quelque chose de plus "dur" du coup ? Tu sais, j'espère que je m'étais pas mal exprimée dans mon commentaire, en le relisant je me dis qu'on peut croire que je prends pas l'histoire au sérieux, et c'est vraiment pas ça, hein ;.; Je suis sensible à l'ambiance et aux détails qui m'amusent tout autant qu'aux événements louches, que j'ai envie de voir éclaircis ! Dire des trucs sérieux dans une histoire qui par ailleurs peut faire sourire, c'est un objectif pour lequel je te pense parfaitement taillée, voilà, que ce soit bien clair !
En tout cas, si le package cévenol a fait du bien à l'histoire (et à toi ♥) déjà j'en suis très très contente ! Et je vois que tu as publié la suite, viiiite >>>
Aaaaaaaaaaaaah, c'est Nothe qui avait raison ? C'est une histoire de buveurs de sang ?! Ouah, je ne sais pas ce que ça va donner, si c'est bien cela ou un piège mais en tout cas c'est trop bien, ça donne encore une toute nouvelle dimension !
Je suis maintenant épatée par la sagacité de Nothe, je n'y avais pas pensé du tout moi sur les chapitres précédents x'D
On plongerait vraiment totalement dans le fantastique alors ^^
C'est vraiment super bien amené car ce ne sont pas juste les éléments de l'intrigue qui sont distillés au fur et à mesure, mais carrément le "genre" du récit et la question de ce dans quoi on se lance comme type de lecture qui évolue et s'épaissit de chapitres en chapitres et je trouve ça vraiment trop bien. J'adore !
Pauvre Merci, la voilà bien. Bon j'avoue, le plan de départ me semblait vraiment très risqué de base, j'avais du mal à avoir un bon pressentiment, haha ^^"
C'est fou comme je me projette dans ce récit, je passe mon temps à me dire "non, fait pas ça, non, vraiment, non !" x'D
Il y a juste la réaction de la femme face à l'arrivée de "l'espion de Carnat" qui m'a un peu étonnée, est-ce la meilleure stratégie de s'énerver ? Ne sont-ils pas doués pour se trouver très vite des excuses d'être là ?
Je ne sais pas, c'est un ressenti, peut-être qu'elle pourrait avoir juste du mal à se débarrasser du gars mais en restant au contraire très polie ? Enfin je ne sais pas, j'ai juste été surprise qu'elle se fasse particulièrement remarquer en étant agressive et grossière, cela ne me semble pas une super stratégie pour une professionnelle...
Sinon pour le reste, trop bien !
Je suis toujours super contente de découvrir qu'un nouveau chapitre de Mordicus est sorti ^^
Bon, Nothe en savait pas mal sur cette histoire et il a peut-être un peu vendu la mèche x'D J'espère que du coup cette découverte ne paraît pas trop sortie de nulle part... Normalement, on n'est pas censés le comprendre si tôt !
C'est vrai qu'il n'y a pas trop les codes habituels, mais c'est ce que j'avais envie d'explorer, justement. Après c'est toujours un risque, parce que ça peut aussi rompre la "promesse" faite au lecteur, s'il s'attendait seulement à suivre l'histoire un peu décalée d'une petite communauté...
Merci a encore du chemin à faire avant d'être une enquêtrice hors-pair... D'ailleurs, suite au commentaire d'Ery, j'ai complètement changé mon approche de la suite et je vais faire une petite mise à jour de ce chapitre sur la toute fin. En tout cas, ça me fait super plaisir de savoir que tu te projettes !
Je note ta réflexion sur la réaction de la nouvelle arrivée, c'est vrai que ça peut paraître un peu amateur. L'essentiel, c'est qu'elle lui fasse assez peur pour qu'il finisse par s'enfuir et laisse Merci se débrouille toute seule.
Merci beaucoup pour ta lecture et ton commentaire !