Les ciseaux universels

Par Sebours

L'opium est le latex qu'exsude le pavot somnifère. On le récolte en le laissant couler le long d'incisions faites sur les capsules des fleurs de la plante au petit matin, après la chute de leurs pétales. Le pavot ne pousse que dans les plaines fertiles du centre du bouclier-monde et sa culture constitue un privilège royal que le souverain des elfes octroie avec parcimonie. Sédatifs puissants, les produits opiacés sont fabriqués dans un but médicinal, mais les elfes ont également développé un commerce de drogues hallucinogènes. C’est pourquoi on retrouve des fumeries d’opium à proximité des différents comptoirs elfes. Certains estiment cela comme une stratégie de guerre visant à détruire par l’avilissement les peuples des autres bannières.

"L’opium"

Encyclopeadia gnomnica


Ugmar était d’une humeur massacrante ce matin-là. Pourtant, il aurait dû se réjouir. Après l’interminable voyage à travers l’empire, la délégation royale arrivait officiellement à Slalve. Le baron aurait dû se satisfaire d’avoir convaincu cet imbécile de roi Roll de parcourir ses provinces et de venir fonder un nouveau comptoir dans cette cité gnome reculée, logée entre les marais des fées libellules et les montagnes de l’Orcania. L’expansion impérialiste que le grand chambellan initiait depuis tant de cycles poursuivait son irrépressible marche en avant. Les elfes imposaient leur présence sous le couvert diplomatique d’un projet associatif avec les peuples de la mer.

Ugmar était d’une humeur massacrante ce matin-là parce qu’il ne supportait plus les minauderies de l’amiral Octavia. Cette catin s’imaginait tirer les ficelles du jeu de la cour ! Pour qui se prenait-elle ! La princesse Epiphone pensait pouvoir imposer ses vues autour de la table des négociations ! Cette sous-elfe faisait preuve d’une outrecuidance sans bornes !

Soudain, le baron comprit la raison de son état de rage. L’arrivée de Ome, qui accompagnait Slymock le ramena à ses noirs désirs envers la divine Fame. Avec l’inconfort du voyage, ses pulsions s’exacerbaient. Il puisa dans sa force de conviction pour repousser son penchant animal et engloutit une fiole complète de bromure. S’il était parti de rien pour devenir le plus grand des grands de la première caste ; c’était grâce à son esprit froid et calculateur. Il ne pouvait pas céder à ses brûlants désirs. Cela entraînerait sa perte ! Il le savait pertinemment. Le grand chambellan avait lui-même exploiter plus d’une fois les travers et penchants de ses adversaires pour les éliminer. Heureusement, son bon Slymock organisait une réunion. Ugmar pouvait enfin focaliser son attention sur quelque chose de concret, la recherche des ciseaux universels.

« Seigneur et maître, Ome m’informe que le prince Hector vient de rejoindre sa mère, la princesse Epiphone ainsi que le maître négociant Bivot qui se trouve être son parrain. Nous disposons donc d’un peu de temps pour planifier l’opération. Le chevalier Flagorn de la Huchette devrait arriver. D’ailleurs, le voici ! »

« Le plaisir est heureux de vous revoir, Grand Chambellan Ugmar ! » déclama solennellement le chef de la cellule de Panamantra dans une révérence sophistiquée. Il toisa avec dédain Ome puis détourna le regard pour manifester son mépris. Sans doute l’estimait-il illégitime à se trouver là. « Après moult tergiversations et périgrinations, j’ai réussi à amener une caravane de la quatrième caste des marchands à rejoindre la cité gnome de Slalve. La plupart sont des miens amis avec lesquels je suis en affaire de fort longue date. Qu’il fut éreintant de convaincre ces gens du commerce à ... »

« Au fait, Flagorn ! Vous n’êtes pas ici en représentation ! » pesta le grand chambellan. « Je constate que vous avez travaillé votre personnage ! Félicitation ! Mais point de jeu de dupe avec moi ! Vous officiez ici dans mon cabinet noir ! »

Sans un mot, Flagorn lança un regard en biais sur Ome. Slymock intervint pour clarifier la situation avant que les esprits ne s’échauffent.

« Vous ne le reconnaissez peut-être pas, mais Ome est le dernier né de Nunn que nous sommes venus chercher à Panamantra. C’est un allié précieux. Il réalisera le vol des ciseaux pour disculper le peuple elfe de toute implication dans l’affaire si cela tourne mal. Il est dans la confidence. Exprimez-vous sans craintes, Chevalier. »

« Bien, Sir Slymock. Tout est prêt. J’ai fait apporter tout le nécessaire à l’établissement d’un comptoir. En attendant une construction pérenne, des tentes ont été dressées. Une fumerie clandestine d’opium temporaire est également établie. J’ai organisé une fête de grande ampleur en invitant l’ensemble de la cité. Cela a un certain coût, mais permet d’inviter ce fameux Pimdap sans éveiller les soupçons. Son échoppe sera avec certitude vide ce soir. J’ai insisté auprès de la guilde des négociants pour que tous soit présents. »

« Bien ! Voilà un rapport efficace Flagorn ! A l’image de vos actions à Panamantra ! » Pour flatter son protégé autant que pour montrer à Flagorn qu’il n’était qu’un exécutant, il s’adressa alors à Ome autant qu’à Slymock. « Avez-vous des questions à poser au chevalier de la Huchette concernant l’opération ? »

Slymock incita son apprenti espion à poser les questions nécessaires.

« Avez-vous repéré les lieux ? Je sais que la boutique s’appelle le Ruban Bleu, mais y-a-t-il plusieurs entrées ? Combien de fenêtres existent-ils ? Quelles sont les possibilités d’extractions ? »

« Diantre ! Voici un dernier né de Nunn qui s’y connaît en matière d’espionnage … ou de cambriole ? Je me suis rendu moi-même sur les lieux en déposant mes invitations. L’échoppe se trouve à flan de vallée, à sans ruelle à l’arrière. La devanture ne possède qu’une porte au rez-de-chaussée, une minuscule fenêtre à l’étage (sans doute la chambre du gnome) et un puits de lumière sur le toit. C’est un véritable coffre-fort. »

« Pour un monte-en-l’air aguerri comme toi, cela ne posera pas de problème ! N’est-ce pas mon garçon ? »

« Oui, seigneur Ugmar. Je devrais pouvoir me débrouiller. »

« Point de débrouille ! Tu réussis ou pas ! Je veux que tu guettes le départ de ce gnome et que tu le voles immédiatement ! A présent, tu colles aux basques du prince Hector ! Tu glaneras peut-être de précieuses informations dans ses échanges avec sa mère ! Slymock, je te laisse établir le réseau de distribution de l’opium, tu en as l’habitude. Flagorn, vous m’accompagnez dans le balai protocolaire. J’ai certains membres de la cour et du conseil royal à vous présenter. Bon ! Je crois que nous pouvons clore la séance ! »

« Pardonnez-moi Seigneur Ugmar, mais nous n’avons pas évoqué l’extraction !. Le dernier né de Nunn ne doit-il pas emprunter l’aqueduc des monts hurlants ? »

« Maître Slymock m’a demandé de privilégier une autre piste. J’ai convaincu le prince Hector de m’apprendre à naviguer. Nous embarquerons à Aquira pour rejoindre Anulune dès mon forfait accompli ! »

Ugmar senti l’énervement du chevalier face à la bravade de Ome. S’il n’était pas capable de faire fi d’un coup d’éclat d’une race inférieure, Flagorn ne serait jamais le brillant élément que son potentiel promettait de devenir. Le baron ne souhaitait pas perdre son temps avec des prétentieux susceptibles incapables de prendre du recul. Le chevalier de la Huchette aurait dû plutôt se réjouir d’être présenté à la cour ! Le stratège politique s’imposa de demander plus tard à Slymock de suivre l’évolution de ce jeune fat dont le personnage semblait pervertir la personnalité.

La journée se déroula tel que prévue. Ugmar s’efforça d’éviter les comtesses et les duchesses aux parfums enivrants. Il parvenait difficilement à contrôler ses gestes.Lui, le très sévère et roide Grand Chambellan désirait irrépressiblement caresser, toucher ou embrasser les membres du sexe opposé. Pour ne pas céder, il rechercha systématiquement la compagnie des mâles. La partie se compliqua lors de la soirée de rencontre des délégations.a son grand étonnement, les dryades lui provoquèrent un émoi aussi troublant que Fame. Epiphone et sa suivante, Iphigénie ne le laissait pas de marbre et il ne pouvait les esquiver en permanence. Le baron vida trois fioles de bromure avant même le souper. Il pensa apaiser ses souffrances en dansant un menuet. Pourtant, effleurer les mains de la princesse dans le bruissement discret de la tunique de lin de la dryade le mit au supplice.

Ugmar se convainc de se concentrer sur sa quête de pouvoir. Lorsque qu’il aurait les ciseaux universels, lorsqu’il aurait la totalité des sept présents des Sept, lorsqu’il serait l’être le plus puissant du bouclier-monde, à ce moment-là seulement il laissera libre cours à son instinct animal. A l’heure qu’il était, Ome devait s’être acquitté de sa mission. Tout en dansant, le grand chambellan observa Slymock rabattre ses premières proies vers la fumerie d’opium clandestine. Bientôt, la moitié des « élites » de ce ridicule trou perdu se vautreraient dans des univers artificiels. Le pavot constituait l’une des armes les plus mésestimées des guerres lemniscates. Il ne tuait pas mais pouvait rendre apoplectique le plus terrifiant des guerriers. Même ce terrible capitaine orc, Gam ou Gal, ne deviendrait un zombi sans force une fois cette drogue inoculée.

Après trois danses supplémentaires, Ome refit son apparition sous la tente d’apparat. D’un regard, il fit comprendre qu’il avait fait chou blanc. Ugmar pouvait-il s’attendre à autre chose qu’une incompétence crasse de la part d’un dernier né de Nunn ? Il ne possédait plus de fiole et la colère montait en lui. Slymock alla aux renseignements auprès de son apprenti espion, puis s’approcha de son seigneur et maître pour lui transmettre un bref compte-rendu au creux de l’oreille pendant que celui-ci reprenait place à table.

« La « chose » est introuvable. Sans doute la conserve-t-il sur lui. Nous mettons en place une autre stratégie. »

« Fort bien, mon bon Slymock ! »

Pendant que le grand chambellan dégustait son dessert, il savourait son maître espion en action. Avec sa position en hauteur, sur l’estrade des offciels, à proximité du roi Roll, Ugmar disposait d’une place idéale pour admirer le théâtre de ses manigances. Pimdap se retrouvait flanqué de Flagorn. Le chevalier de la Huchette ne l’avait presque pas lâché de la soirée. Slymock s’approcha du gnome sous prétexte de converser à son acolyte. Avec dextérité, le triste sir vêtu de noir versa divers produits dans l’assiette et le verre de sa proie. Seul le grand chambellan détecta le subreptice et indétectable geste. Le maître espion avait certainement utilisé de l’opium. Cette nuit, le gnome dormirait d’un sommeil catatonique bercé d’hallucinations. Ome n’aurait aucune difficulté à dérober les ciseaux à Pimdap.

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Peridotite
Posté le 11/10/2023
Coucou Sébours,

On retrouve Ugmar et ses pulsions dévorantes. Il souhaite dérober les ciseaux, un présent des sept. Or, j'ai eu un petit soucis à la lecture : pendant tout le chapitre, tu ne dis jamais à quoi vont lui servir ces ciseaux ? Les enjeux autour des Sept Présent des sept ne sont pas clairs pour moi. Du coup pourquoi Ugmar se lance-t-il lui aussi dans cette quête ? Et pourquoi les ciseaux en particulier ? De manière générale, en quoi les présents des Sept sont-ils essentiels à la victoire lors des guerres lemniscates ?

De même, tu introduis l'opium et la volonté d'Ugmar d'"enfumer" les autres peuples, mais concrètement, comment souhaite-t-il s'y prendre ? Dans ce chapitre, j'ai eu l'impression qu'il n'ouvrait qu'une seule fumerie d'opium et dans son propre royaume en plus.

Autre question : le gnome possède les ciseaux, mais comment ça se fait ? Est-ce que les gnomes espèrent eux-aussi gagner les guerres lemniscates ? Est-ce dans ce but qu'il s'est emparé des ciseaux des Sept ?

J'ai trouvé le chapitre un peu confus à cause de toutes ces questions que je me suis posée. Peut-être introduire les gnomes avant et rendre plus clairs les enjeux autour de la recherche des septs présents des sept ? Ces présents sont-ils une façon pour les dieux de semer la zizanie entre les peuples ou ont-ils une réelle fonction ? Je ne comprends pas vraiment leur utilité à ce stade.

Bref, pleins de questions !

Mes petites notes : j'ai surtout relevé de petites coquilles.

"mais permet d’inviter ce fameux Pimdap"
> qui ? Je ne me rappelle pas que tu ais introduit ce personnage avant

"tous soit présents.
> soient

"à flan de vallée, à sans ruelle à l’arrière"
> et sans ruelle ?

"Ugmar senti l’énervement"
> sentit

"à la bravade de Ome"
> d'Ome ?

"rencontre des délégations.a son grand étonnement"
> typo + majuscule

"Epiphone et sa suivante, Iphigénie ne le laissait pas de marbre"
> laissaient

"Ugmar se convainc"
> se convainquit

"il laissera"
> laisserait

"sous prétexte de converser à son acolyte."
> avec son acolyte ?

Au plaisir de lire la suite 🙂

Ugmar semble de plus en plus sombrer dans la folie, à force de réprimer ses pulsions. Je sens que ça va mal finir pour lui et/ou pour Olme.
Sebours
Posté le 11/10/2023
Salut Peridotite!

Ce chapitre est un de mes derniers ajouts. Suite à ton retour, je me pose la question de son utilité. Les présents et leur utilisation finale, je les conserve pour une éventuelle suite. Crois-tu que je ne devrais me concentrer que sur ceux qui sont réellement utiles? (le sac micorcosmique, la boussole ...)

Les présents des Sept sont les artefacts les plus puissants du bouclier-monde. Pour moi, cette justification suffisait pour expliquer la motivation de Ugmar.

En y réfléchissant, ce chapitre ressemble à du remplissage finalement. Tu envisages que les choses vont mal tourner pour Ugmar ou Ome, alors que derrière je ne provoque aucune péripétie marquante. J'avais un soucis d'équilibrer le nombre de chapitre de chaque perso, mais c'est une erreur. Ton commentaire m'a ouvert les yeux!

Sinon, je suis impatient de contribuer à ton aventure littéraire avec mes petits commentaires! Je suis allé voir le site des Titanides. C'est un éditeur assez jeune mais ça a l'air sympa ce qu'il propose. Totalement dans mes genres de lecture. Le catalogue est encore en construction, mais du coup, il devrait bien t'accompagner.
Peridotite
Posté le 11/10/2023
Je pense qu'il est nécessaire pour une bonne compréhension mais aussi pour des questions de suspense, de comprendre en quoi les présents des 7 sont primordiaux pour gagner la guerre. Par exemple, qu'a en tête Ugmar lorsqu'il se lance à la quête des ciseaux ? Pourquoi le fait-il ? À quoi vont lui servir ces ciseaux ? Est-ce pour contrer un autre présent des 7 détenu par un autre peuple ? Ou a-t-il peur que cela confère trop de pouvoir aux gnomes ? Ou qu'ils sont facilement volables et il a donc peur que quelqu'un d'autre s'en empare ? En quoi ces objets sont-ils puissants ? En quoi leur possession peut garantir d'emblée la victoire (cf la bombe atomique ?). Pour moi, c'est pas clair et je me questionne même sur leur utilité.

Je ne suis pas sûre que ce soit important d'avoir le même nombre de chapitres d'un perso à l'autre. Après tout, certains persos peuvent prendre de l'importance au détriment des autres, notamment celui ou celle qui est le héros principal. Par exemple, dans le Darrain, Meghi a beaucoup plus de chapitres que les autres, Hjartann et Heilendi à peu près le même nombre et Grahann moins. Pas besoin d'équilibrer, ça ne sert pas à grand chose.

Je souhaite réécrire un chapitre important suite aux retours ici (un duel important ^^) et 2-3 petits machins ici et là. Cela fait, je t'enverrai la bête 🙂

L'éditeur est vraiment tout jeune, j'ouvrirai le catalogue fantasy avec le Darrain, rien que ça (pas du tout stressant cette affaire, j'ai intérêt à assurer !!). J'espère qu'il va fructifier et pas se péter la gueule, surtout au vu des nombreuses maisons qui ont fermé dernièrement. J'ai aimé le fait qu'ils souhaiteraient se départager des autres éditeurs en proposant des récits de fantasy/SF adultes, alors que la plupart des maisons font du jeunesse/Young adulte en France ou des traductions d'auteurs anglo-saxons. J'arrêtais pas de pester contre ça ces derniers temps. À mon avis, ce choix des éditeurs contribue au fait que la fantasy est dénigrée et infantilisée par la plupart des gens (c'est le cas autour de moi. Les lecteurs de littérature blanche voient souvent la fantasy comme un truc pour les gosses et à voir le catalogue de la plupart des maisons d'édition françaises, je ne peux que leur donner raison !). Donc ce point m'a bien plu avec les Titanides. J'espère que j'arriverais à faire des ventes et que cette envie de proposer de la fantasy adulte française sera porteuse...
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