Les deux solitaires

Par Nor
Notes de l’auteur : Contente que vous soyez arrivé jusqu'ici! Si vous avez des retours à me faire, surtout sur la compréhension de l'intrigue, n'hesitez pas.

-Mais je devais les accompagner! C’était ce qu’ils m’avaient demandé, tempeta Kami. Et puis, c’est moi qui connais les artistes itinérants. Ils ne pourront pas les approcher facilement…

Le faucon l'interrompit.

-Je sais, ma petite, mais il ne s'agit pas d’un conseil. Tu sais que leurs méthodes sont réfléchies. Ils ont une bonne raison. Et puis si tu n’obéis pas tu seras expulsée. Ce jeune homme et Lyna sauront se débrouiller, c’est assuré.

Lione s’interposa.

-Kami, je fais aussi partie du club, je saurais très bien guider Lyna et moi hors du pays.

Lyna ajouta:

-Vas-y Kami. Tu as déjà fait beaucoup pour moi, je ne veux pas être une source de problème. Je peux y arriver seule et Lione me semble très compétent pour nous mener à destination.

Kami respira profondément et mit les mains sur les hanches.

-Je suis désolée, Lyna. Je m’en veux…

-Vas-y. Lione et moi sommes des inconnus pour l’instant mais je pense qu’on fera une bonne équipe. Et puis, je me suis mise dans cette situation seule en refusant de concourir, personne n’a besoin de m’aider à m’en dépêtrer.

Lione hocha vivement sa tête rasée. Il avait l’air grave, lui aussi. Il jouait également sa vie dans cette histoire après tout.

-Je vais partir alors, se résigna son amie. Mais ce n’est pas de gaieté de coeur, sachez le.

-On le sait affirmèrent-ils ensemble.

 Kami retira une de ses bagues, la plus fine, et la tendit à Lione.

-Un cadeau des artistes. Ils pourront te reconnaître comme ça.

Lione la remercia et tenta de la passer à un de ses doigts mais elle s'avéra trop mince. Il finit par abandonner et la tendit à Lyna. 

-Lione a les informations élémentaires pour les trouver.

-Ils sauront parfaitement survivre sans toi! s’exclama gaiement le Faucon en coupant Kami. Le Fusillard a reçu une formation de combattant après tout. N’est-ce pas petit?


 

Kami était parti. Lyna venait de perdre son dernier lien relié à son ancienne vie. Peut être était-ce mieux comme cela. À présent seul l’inconnu lui faisait face, la prenant de force entre ses bras, la noyant sous la peur, l’écrasant sous la pression de l’avenir. Sa liberté et sa vie ne tenaient qu’à un fil. 

Elle pensait vivre chaque instant comme une angoisse et pourtant, perdue au milieu des vallées de pierre, elle appréciait le sursis qui lui était accordé. Elle n’avait fait la paix avec rien, ni avec sa colère ni avec sa peur. Mais elle arrivait à vivre les instants, ses potentiels derniers instants. Elle tentait d’apprécier tout ce qu’elle pouvait. 

Lione et elle avait dépassé la maison du Faucon depuis bien longtemps maintenant. Ce dernier avait eu la gentillesse de les ravitailler en eau, en nourriture et en vêtements. Leur tenues étaient plus caractéristiques de la Région Energie dans le style, et surtout moins sales et poussiéreuses. Lyna portait un large pantalon d’été et un haut à manches mi-longues.  La lignée de boutons qui descendait jusqu’à la taille étaient gravés de fleurs. Lione avait écopé d’une belle chemise légère, du lin sans doute, et d’un large pantalon gris foncé. Le duo se confondait au désert de roche. 

Le Faucon leur avait également offert deux belles paires de sandales de cuir, mais ils avaient opté  d’un commun accord pour continuer à porter leurs bottines usées.

Lione et Lyna n'avaient pas beaucoup parlé. Quelques mots pour s’assurer du chemin, vérifier l’état de l’autre après une chute, la fatigue… Pas grand chose de plus.

Lyna ignorait comment l’aborder, de quel sujet parler. Ils restaient donc muets, chacun de leur côté attendant que l’autre fasse le premier pas.

Pendant le trajet sous terre, elle l’avait trouvé très ouvert et plutôt extraverti. Mais sans la présence de Kami il s’était renfermé, certainement moins à l’aise. 

En fin de journée, alors que le soleil déclinait, ils grimpèrent une haute corniche. Une cavité dans la roche offrait un abri idéal.

Lione alluma le feu en quelques gestes. 

-Ce ne serait pas l’habitat d’un prédateur au moins? s’enquit Lyna, peu rassurée en inspectant les recoins où de petits tas d’os s’empilaient.

-Non, les ours des montagnes n'hibernent pas en été. Enfin, il me semble. Mais ne t’inquiètes pas, je sais y faire avec les bêtes sauvages.

Elle émit un petit rire qui ressembla davantage à un gargouilli. Attrapant la couverture que Lione lui lançait, elle l’accrocha à l'entrée pour cacher la lumière des flammes dans la nuit. Ils dînèrent rapidement et s’endormirent près du feu crépitant.

 

Un hululement la réveilla en sursaut. Lyna se redressa, le dos couvert de sueurs froides. La brise fraîche faisait frissonner Lyna sous sa veste, sa peau était trempée. 

Elle se leva et quitta sa couchette d’un pas vif, encore hantée par les visions dans ses cauchemars. Lione dormait à poingt fermé, emmitouflé dans sa couverture. Les braises rougeoyantes projetaient des ombres inquiétantes sur les parois.

Elle se glissa hors de la grotte et grelotta quand le vent froid s’engouffra sous ses vêtements. La lune nimba son corps d’une lumière blanche.

Elle se sentait si frêle face à cette étendue inconnue. Elle se sentait comme une proie.

Elle s’assit sur le promontoire, les pieds dans le vide, dos à la grotte. 

Les plaines rocheuses s’étendaient à perte de vue devant elle, le titanesque panorama des astres l’écrasait. Les étoiles emplissaient sa vue, rien ne troublait le silence. 

Sa vision se brouilla et une larme roula sur sa joue. Cette unique larme portrait un poids énorme. Ce qu’elle avait laissé, ce qu’elle regrettait, sa solitude et ses affres.  Une douleur lancinante l’envahissait chaque seconde. Elle savait qu’elle ne pouvait plus revenir en arrière. Elle s’était elle-même basculée dans la terreur.

-On ne m’avait pas dit que je voyageais avec un hibou. 

Lyna poussa un cri de peur. Lione se tenait juste derrière elle, les mains dans les poches.

-Tu veux faire une nuit blanche?

-Quelle idée de faire peur aux gens comme ça!

Il s'esclaffa en se laissant tomber à côté d’elle.

-Lyna, Lyna, Lyna. Un vrai mystère t'entoure. Qu’as-tu de beau à me raconter par cette heure tardive et insolite?

-Strictement rien, malheureusement.

-Allez, nous devons faire plus ample connaissance! Je vais t’aider. Je te donne trois informations sur moi et tu fais de même. Pigé? 

-Pigé, grommela-t-elle, peu encline à discuter.

-Parfait. Alors je me présente. Lione Dorason, jeune homme de vingt ans, Almarien et habitant de la Région 3. Ancien militaire et pas forcément​ fier de l’être. Je suis bordélique, mais pas dans mon travail. J’aime la tranquillité, le calme et la musique. Je déteste par-dessus tout les personnes trop sûres d’elle et les donneurs de leçons. Ah oui, je voulais devenir explorateur quand j’étais petit. 

Il s’interrompit.

-À toi.

-Très bien. Lyna Bellugra, vingt et un ans, connue pour avoir refusé de participer à la compétition nationale la plus en vue du pays et pour avoir trahi son Gouverneur et son Shadah. J’aime le poker et la lecture. Je pensais aimer l’aventure, mais finalement je suis absolument persuadée que ce n’est pas pour moi. 

Lione acquiesça lentement.

-Je suis donc en présence d’une personne addicte aux jeux d'argent.

Elle s'étouffa dans un rire. 

-Le poker c’est de la stratégie, c’est passionnant!

-c’est ce qu’ils disent tous.

-Mais pas du tout! affirma-t-elle en riant.

Il lâcha un rire. Il semblait moins préoccupé que pendant la journée.

-Pourquoi as-tu refusé de participer au Cube de Verre? demanda-t-il soudain.

Elle se tut et réfléchit. Avait-elle vraiment une réponse? Voulait-elle la partager? Elle se décida finalement.

-Quand le shadah a tiré mon nom, je m’y attendais aussi étrange que cela puisse paraître. Tu vas me croire folle, mais j’ai eu un préssentiment, j’avais la boule au ventre pendant tout le discours, alors que je savais parfaitement qu’il était impossible que je sois choisie.Je n’avais pas déposé mon nom. Et là, quand brutalement j’ai entendu mon nom, j’ai eu l’impression de me noyer. Une rage…aveuglante est montée en moi. Je n’avais pas à concourir! Je ne m’étais pas inscrite.

Et pourtant personne ne me croyait. Même le Shadah a dit que je me défilais. J’ai donc eu une décision à prendre, la plus dure que j’ai jamais dû prendre. Sauver cet homme, qui avait commis un crime aussi terrible semblait tellement injuste, tellement immoral. Mais en même temps on nous a toujours appris que le shadah est notre guide, qu’il faut écouter son jugement. Mais qui suis-je finalement pour décider qui doit vivre ou mourir?  La peine de mort est appliquée bien trop à la légère, on en perd son sens. J’ai eu l’impression d'avoir vraiment ouvert les yeux sur un filet qui nous entrave, qu’on ne voit pas. Pourquoi devrait-on mériter de vivre? Le Shadah est censé être le meilleur homme qui soit, et le Gouverneur est censé  nous protéger. Certaines personnes parmi les criminels n'avaient pas mérité de mourir. Et nous n’avons pas mérité de passer des mois dans une arène pour les sauver. Je n'avais pas choisi d’y aller, je n’avais pas à le faire contre mon gré.

Je ne vais pas affirmer que je comprends la politique. Mais pour moi, il n’était pas correct de risquer ma vie pour sauver un homme comme lui. Il n’est peut-être pas correct de le tuer pour cela non plus, je n’en sais rien. Mais je ne voulais pas prendre part à ce système. Mes convictions ont pris le dessus, je crois. J’espère en tout cas. 

Lyna s'interrompit, consciente d’en avoir sûrement trop dit. Lione émit un sifflement approbateur. 

-Quand je t’ai vu, dans la forêt, je me suis dis que tu n’avais pas l’étoffe d’une résistante. Mais quand je t'entends parler, je pense que j’ai eu tort. Tu as été très courageuse. Dire ou faire une chose interdite, alors que tout le monde affirme le contraire…c’est horriblement difficile. S’opposer à la majorité, c’est s’exposer ouvertement et se rendre vulnérable. Bravo. Tu as eu un grand impact. Tu as fait bouger les choses sans même le vouloir.

-Merci, mais je ne suis pas sûre…

Elle s’interrompit ne sachant pas comment finir sa phrase.

-Je ne suis sûre de rien.

Il y eut un silence quelque peu méditatif et Lyna regretta d’avoir plombé l'ambiance. 

Lione lui adressa un faible sourire.

-Ne t’inquiètes pas. Ça viendra avec le recul. La jeunesse est un temps fondateur. On est perdu, on ne sait pas où on va ni où on veut aller. Nos envies deviennent floues. On se rend compte que toutes nos espérances ne sont pas possibles. On tombe de haut mais c’est pour mieux se relever. 

-Tu parles comme un vieux.

-Je suis vieux dans l’âme!

Elle resta silencieuse puis demanda:

- Si c’est indiscret, ne répond pas. Pourquoi as-tu quitté l'armée? 

Lione se figea et son sourire retomba. La peur se lisait dans ses yeux et Lyna regretta immédiatement d’avoir posé une question si personnelle. Il finit quand même par répondre.

-J’ai intégré l’armée à seize ans pour aider mes parents grâce au solde versée aux familles et parce que je pensais être fait pour ça. J’ai suivi une formation classique. Je pouvais enfin voyager, être utile. Mais quand je suis passé professionnel, tout a changé. C’est devenu un enfer. Ils nous avaient mentis. Je suis partie à cause des violences et d’une affaire encore plus complexe. Mais ça ne m’a pas épargné, finalement. On ne leur échappe jamais. Ils sont toujours là, dit-il en désignant sa tête.

Il n’ajouta rien.

Et Lyna ne demanda rien non plus.

 

Le lendemain fut aussi éreintant que les jours précédents. Ils finirent par poser leur campement proche d’une large rivière en pleine forêt épineuse. Ils en profitèrent pour faire un brin de toilette, remplir leur gourdes et se reposer à l'abri des arbres. Lyna déploya une couverture au sol et s’allongea. Elle contempla la cime des conifères avec détachement, une brise douce faisait valser ses cheveux. L’air était chaud mais doux, un temps idéal pour une sortie en forêt. Elle s’endormit sans s’en rendre compte. 

Elle ouvrit les yeux avec affolement. Son cœur se calma en reconnaissant la rivière et les berges couvertes d'aiguilles de pins. Le soleil avait baissé.

 Lione n’était pas là mais cela n’avait rien d’étonnant. Il lui avait dit qu’il comptait s’absenter pour s'entraîner. S'entraîner à quoi, ça elle ne le savait pas.

Elle s'éloigna à son tour après avoir bu de grandes gorgées d’eau. Elle prit son petit livret de plantes du Dr Callum, illustré par Mr Zim et chercha activement des plantes intéressantes pour une soupe ou un ragoût mais se trouva vite bredouille. Le sol était sec et rocailleux et on voyait loin dans les rangées monotones des troncs sans branches. Rien ne poussait par ici. Une lumière verte foncée, presque bleue, enveloppait le sol. Il y avait quelque chose d'inquiétant à être seule.

Elle trouva des orties vigoureuses et quelques champignons mais ce fut tout. Les alentours ne regorgeaient pas d’une végétation débordante et elle fouilla pendant une bonne vingtaine de minutes dans les sous- bois. Elle se décida à retourner sur ses pas quand une branche craqua derrière elle. 

Elle se figea, l'oreille aux aguets. Elle pivota lentement sur elle-même. Il n’y avait rien. Elle se hâta de retourner sur ses pas, guidée par le torrent de la rivière. Elle s'immobilisa en arrivant devant leur campement et s’empressa de se retourner. Lione était devant le large ruisseau, complètement nu. Elle l’entendit entrer dans l’eau et se retourna à nouveau en se raclant bruyamment la gorge.

-Lyna! Je ne t'avais pas vu, je croyais que tu ne rentrerais pas aussi vite!

Il était à présent  immergé jusqu’au cou.

-Oh je viens d’arriver, je n’ai rien vu. Ne t’inquiètes pas pour moi.

Elle pressa le pas, le regard détourné pour atteindre son sac.

-Je te préviendrai quand je sors, tu peux me lancer une serviette vers les galets?

Elle fouilla dans son sac et en sortit une serviette duveteuse rose pâle où était brodé en fuschia “frérot”.

-Un cadeau de ma sœur. Ma préférée et de loin, rit-il.

Lyna la posa toute proche de l’eau afin qu’il puisse se couvrir en sortant et s’assit sur un rocher près d’une petite cascade où un petit bassin limpide retenu par des pierres. Elle retira ses sandales et plongea ses pieds dedans avant de les ressortir. L’eau était glaciale. 

-Comment est-ce que tu te baignes là-dedans? 

- Je suis habitué aux températures extrêmes.

-Je vois ça marmonna-t-elle. 

Elle mis à nouveau ses pieds dans l’eau, résista à la douleur qui s’insinuait dans ses os, puis s’habitua au froid. C’était une belle source. Elle se leva et traversa la rivière à l’endroit où l’eau ne dépassait pas ses chevilles. 

Lione était loin, dans la vasque profonde et sombre sous un rocher. Elle retira sa tunique et retroussa son pantalon ample. Elle s’allongea, dos au soleil, la lumière dansait sur sa peau nue.  La poitrine contre terre, elle caressa du regard ses poignets. Elle n’avait pas retiré un des bracelets de bronze qu’elle portait à la cérémonie. Sa seule vision lui torturait l’esprit. Elle le retira également et le balança au loin dans l’eau. Il atterrit dans un coin vaseux dans un petit plouf. 

Lione revint une dizaine de minutes plus tard et lui demanda de rester allongée afin de récupérer la serviette avant de sortir complètement de l’eau. Elle s’empressa de remettre sa tunique.

-Tu peux rester comme ça, la nudité ne me gêne pas.

-J’avais remarqué, dit-elle. Mais moi, je ne suis pas à l’aise.

-Un corps est juste un corps. C’est le concept et le sens qu'on a fait de la nudité qui change tout, répondit-il en haussant les épaules.

Elle resta silencieuse un instant.

-Pas faux, lâcha-t-elle finalement.

Elle garda néanmoins sa tunique.

Il mit son pantalon  rapidement et sortit de son sac à dos une lame et un petit miroir. Il frictionna deux plantes aux fleurs mousseuses près des berges et les étala sur le bas de son visage. Il commença à  raser sa barbe naissante avec attention.

Lyna posa furtivement son regard sur les tatouages qui ornaient ses bras et son dos. Beaucoup de symboles, d'éléments de la nature mais ce ne fut pas ça qui la bouleversa.

Sous cette étendue de dessins à l’encre noire, une quantité monstrueuse de cicatrices apparaissait. Elle en voyait sur ses pieds, sur ses bras, sur son dos, dans son cou. Seul son visage avait été épargné. Des zébrures et des boursouflures serpentaient sur son corps.

Que s'était-il passé?


 

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