Les Enfants Prodiges

Par Arline

"Tel des étoiles naissantes, les enfants prodiges illumineront la voie de l'humanité vers un avenir radieux. Leurs esprits éclatants tisseront les fils de l'espoir, déployant leur génie pour guider l'humanité loin des précipices de sa propre folie autodestructrice, préservant ainsi notre existence de l'ombre de l'extinction."

[Époque: 2137 - La survie à tout prix]

Cinquante ans s'étaient écoulés depuis l'Apocalypse, et le poids de notre culpabilité collective pesait lourdement sur nos épaules. Nous errions dans un monde dévasté, un monde où nous n'avions désormais plus notre place, un monde que nous avions nous-mêmes condamné. La surface de la Terre, autrefois notre foyer, était devenue une terre désolée ravagée par les épidémies, la pollution, les radiations et les cataclysmes que notre aveuglement avait déclenchés. La biosphère terrestre, jadis luxuriante, avait disparu, et les souvenirs d'une Terre verdoyante, baignée de forêts et d'océans bleus, s'estompaient lentement, emportant avec eux une part de notre âme.

Genesis, la société la plus puissante en biotechnologie, était devenue à la fois notre salut et le symbole de notre déchéance. Dirigée par la famille Alisthair, Genesis était née d'une simple start-up, fondée en 2025 et spécialisée dans le séquençage et la synthèse génétique – une promesse de progrès, devenue l'instrument de notre survie.

L'un de leurs projets d'envergure – une vaste archive génétique, initialement destinée aux laboratoires pharmaceutiques – avait été la numérisation des génomes du contenu des banques de semences, mais aussi d'échantillons cryoconservés provenant de zoos, d'aquariums, et d'insectariums du monde entier, grâce à leur technologie brevetée de séquençage de génome automatisé par une intelligence artificielle spécialisée en génie génétique. Une technologie bien plus performante que toutes celles qui existaient à l'époque, et dont nous ne pouvions alors mesurer toutes les conséquences.

Ainsi, Genesis avait constitué la base de données génétique la plus importante au monde. Alors que les tensions entre les superpuissances s'intensifiaient et que les hostilités commençaient, les Alisthair avaient pris la décision d'évacuer les membres de leur famille vers leur abri, emportant avec eux leur précieuse base de données ainsi que leurs équipements de pointe, assurant ainsi leur domination future sur les ressources alimentaires, tandis que nous sombrions dans le chaos.

Pendant que notre monde se déchirait dans une guerre apocalyptique, les généticiens de la famille Alisthair œuvraient sans relâche, dans le silence de leur refuge, synthétisant les génomes des espèces vivantes qui n'étaient pas répertoriés dans leur base de données génétique, en se basant sur les séquences d'ADN des espèces cousines et sur leurs données physiologiques et d'observations – une résurrection artificielle d'un monde que nous étions en train de détruire. Grâce à cela, la famille Alisthair avait réussi l'exploit – un exploit teinté d'amertume – de reconstituer les génomes de la grande majorité des espèces connues.

Lorsque ceux d'entre nous qui avaient survécu à l'Apocalypse – les rescapés de notre propre folie – prirent lentement conscience que notre planète était condamnée, l'archive génétique de la famille Alisthair était devenu notre seul espoir, un trésor inestimable. Et pour cause, avec les extinctions de masse et les vandalisations de presque tous les dépôts de semences, des zoos, des aquariums et des insectariums à travers le monde durant la guerre, et l'agriculture qui était devenu non viable, il ne restait plus que l'archive génétique de la famille Alisthair pour construire un nouveau mode de production alimentaire adapté à cette sombre époque, car notre survie en dépendait. À cela s'ajoutaient les destructions des réseaux de communications, des centres de données et des bibliothèques qui avaient emportées avec elles une part considérable des connaissances amassées par notre civilisation au fil de son histoire – un savoir perdu, une mémoire effacée. Seules les banques de données et bibliothèques privées, sécurisées dans les installations d'urgence, comme l'avait fait les Alisthair avec leur archive génétique, avaient survécu.

En exploitant les données de son archive génétique, Genesis avait développé des synthétiseurs alimentaires. Ces synthétiseurs utilisaient des protéines synthétiques, produites par des réacteurs chimiques à conversion de biomasse construits par Genesis dans les abris et les néo-villes. Les protéines étaient traitées par les synthétiseurs pour produire différentes substances nutritives, uniformément blanchâtres, sans saveur ni odeur, liquides ou pâteuses à des solides – une nourriture fade, symbole de notre existence privée des plaisirs les plus élémentaires.

Il était possible d'obtenir une meilleure qualité, mais cela exigeait de souscrire à un abonnement très coûteux. Genesis, régnant en maître sur la production alimentaire, aussi bien pour l'alimentation des néo-citoyens que des élites, imposait des tarifications arbitraires qui assuraient leur domination. La société proposait une gamme d'abonnements, du low-cost, aux préparations aussi fades que la promesse d'un repas complet dans un sachet lyophilisé, au Premium, en passant par un abonnement Platinum incroyablement onéreux. Ces abonnements haut de gamme incluaient des protéines à haute valeur nutritive et des additifs aromatiques, permettant aux synthétiseurs de produire des préparations aux couleurs et aux goûts variés, avec des choix encore plus variés pour les abonnements Platinum, qui atteignaient des prix exorbitants. Une nouvelle forme d'inégalité, maintenant les néo-citoyens dans une hiérarchie implacable.

Dans une société où chaque ressource était comptée, les biens manufacturés étaient standardisés, uniformes, dans un souci d'économie – une uniformité qui étouffait notre individualité, nous privant d'un autre aspect d'expression et d'épanouissement personnel. Il était ainsi difficile pour les néo-citoyens d'afficher le moindre signe d'aisance sociale. L'abonnement alimentaire était alors devenu un marqueur de statut social, poussant les néo-citoyens les plus aisés à de nouveaux excès, en exhibant leur richesse en souscrivant à des abonnements Platinum.

Quant aux élites, elles disposaient de chefs cuisiniers, des hommes et des femmes talentueux issus des néo-villes, qui leur préparaient quotidiennement des mets de luxe – mets qu'il leur était formellement interdit de consommer en dehors du strict cadre de la préparation, sous peine de châtiment sévère et de la perte de leur place. En échange de cette soumission, ces chefs bénéficiaient d'un logement avec un confort bien supérieur à celui des néo-villes, ainsi que d'une rémunération leur permettant de s'offrir les abonnements Platinum. Les mets qu'ils préparaient aux élites étaient élaborés à partir d'ingrédients de haute qualité, produits dans les fermes robotisées de Genesis. Ces fermes, entièrement automatisées – avaient été construites et étaient exploitées par Genesis dans les abris des élites. On y cultivait différentes espèces de plantes, d'animaux, de poissons et de crustacés, tous génétiquement modifiés, destinés à la seule consommation de ces privilégiés, alors que les néo-citoyens devaient se contenter de la fadeur des synthétiseurs alimentaires.

Pour asseoir leur autorité dans les néo-villes, les Corporations et les Cercles Gouvernants avaient créé la Légion. Une force d'élite constituée d'anciens criminels – des hommes et des femmes jugés coupables par les élites sans que quiconque ait son mot à dire, auxquels on avait greffé de nombreux implants neuronaux et autres renforcements cybernétiques, faisant d'eux des automates obéissants, dépourvus de libre arbitre. La famille Felix, avec sa Felix Artificial Intelligence and Robotics Company, était à l'origine de ces technologies qui les avaient dénaturés. Parmi les technologies de la famille Felix, on comptait les systèmes intelligents de gestion, d'entretien et de régulation d'environnement des abris des élites et des néo-villes, qui faisaient d'eux la Grande Famille la plus puissante au monde. Ces modifications avaient radicalement altéré leur système nerveux, les dépouillant de ce qui faisait autrefois d'eux des êtres humains, devenu de simples outils privés de toute empathie et d'humanité, exécutant sans discuter les ordres de leurs maîtres.

Implacable, la Légion veillait dans les néo-villes à l'obéissance des néo-citoyens aux élites. Ils étaient reconnaissables à leurs imposantes armures noires et à leurs insignes rouges – qui évoquaient une terreur glaçante aux habitants. Ils étaient équipés des armes incapacitantes et létales les plus avancées en mesure de soumettre des foules entières en leurs infligeant des souffrances insoutenables ou la mort.

Dans les néo-villes, la notion même de prison avait disparu. Les individus jugés coupables par les élites étaient soit transformés en cyborgs et enrôlés de force dans la Légion, soit envoyés dans les mines d'extraction, où ils étaient condamnés à un travail inhumain jusqu'à une mort certaine, soit simplement abandonnés à la surface, sans autre équipement qu'une combinaison étanche standard – condamnés à errer jusqu'à une mort inéluctable dans ce monde empoisonné s'ils n'étaient pas recueillis par la Ligue Marchande ou réduits en esclavage par les Convoyeurs. Aucun moyen de rédemption n'était possible face à la folie sans limite de la classe dirigeante.

Les élites étendaient leur influence non seulement au sein des néo-villes, mais aussi à la surface, par l'intermédiaire de la Ligue Marchande. En échange d'équipements technologiques, cette dernière accomplissait diverses missions pour le compte des grandes familles ou des corporations : établissement de stations d'observation automatisées, expérimentations et plus encore. Seuls les membres de la Ligue Marchande agréés par les élites étaient sollicités lorsque des interventions humaines étaient nécessaires. Les équipements issus de ces transactions étaient ensuite revendus à la surface à prix d'or. Ainsi, les habitants de la surface, les villes forteresses errantes de la Ligue Marchande non agréées par les élites et les Convoyeurs ayant des ressources monnayables justifiant leur commerce avec eux au lieu d'être abattus à vue, pouvaient se procurer des synthétiseurs alimentaires dotés de bioréacteurs compacts, des combinaisons de protection, des modules d'assemblage atomique, ainsi que de nombreux autres équipements devenus indispensables à leur survie. Parmi ces équipements, le module d'assemblage atomique, version améliorée des anciennes imprimantes 3D industrielles, était d'une importance vitale, car d'elles dépendaient la production des pièces d'entretien de tous les équipements et véhicules, mais aussi la production des biens utiles au quotidien. Cependant, son coût prohibitif, supérieur à l'installation d'un réacteur biochimique à conversion de biomasse dans une néo-ville, le rendait inaccessible au plus grand nombre. Par ailleurs, cette technologie avait été développée par la famille Yang, basée en Chine, connue pour ses avancées dans le domaine du développement d'équipements de production industrielle de pointe.

[Époque: 2153 - Survie Fragile]

Au fil des générations, Genesis avait découvert de légères, mais inquiétantes, mutations sur le génome des enfants de la nouvelle génération, induites par la vie en milieu clos. Ces mutations affaiblissaient quelque peu l'efficacité de nos systèmes immunitaires, nous rendant plus vulnérables aux infections par rapport aux générations précédentes – une épée de Damoclès suspendue au-dessus de notre avenir incertain. Si cela se maintenait, dans quelques générations, même si nous réussissions un jour à rendre la Terre de nouveau habitable, la vie à la surface serait un défi encore plus grand pour de nombreuses générations. Genesis tentait de ralentir ces mutations en proposant un cocktail de vitamines, une solution palliative, pouvant être produit par les synthétiseurs alimentaires sans coût supplémentaire, accessible à tous ceux qui en étaient équipés. Elle offrait une complète liberté dans le choix des parfums et la possibilité de l'ajouter à nos plats quotidiens. Les parfums de boissons, en particulier le café – un lointain souvenir du monde perdu –, figuraient parmi les plus populaires.

Cependant, il était impératif de trouver un moyen de rendre la Terre habitable à nouveau ou de coloniser une nouvelle planète pour assurer notre survie. Car même si les mutations génétiques provoquées par la vie sous terre mettraient des siècles avant de devenir réellement préoccupantes, la pénurie des ressources naturelles, elle, finirait tôt ou tard par nous emporter, condamnant les derniers vestiges de l'humanité à une lente agonie. Dans le pire des cas, il faudrait trouver un moyen de nous adapter à l'environnement toxique de la surface, un défi presque insurmontable, sinon notre espèce serait vouée à l'extinction – une perspective qui nous terrifiait, mais à laquelle nous restions impuissants. Nombreux étaient ceux qui, brisés par le désespoir, avaient accepté l'idée de notre extinction imminente et vénéraient une multitude de divinités, implorant un salut illusoire dans un hypothétique paradis éternel. Peu étaient ceux qui croyaient encore que la technologie pourrait nous sauver, une foi fragile dans un avenir incertain, tandis que la majorité, saisie d'un hédonisme de façade, s'était résignée à profiter de la vie autant qu'elle le pouvait avant l'arrivée de la fin – une fin que nous savions tous inéluctable.

La courbe de la population mondiale avait fini par se stabiliser, après l'hécatombe de l'Apocalypse et des cataclysmes, qui l'avaient fait passer de dix à seulement deux milliards d'individus, et notre nombre avait recommencé à augmenter lentement, mais sûrement – une croissance qui, malheureusement, nous rapprochait rapidement vers l'inéluctable dans ce monde où les pénuries et les dangers continuaient à s'accumuler. La population des néo-villes devenait de plus en plus nombreuse malgré le contrôle des naissances. De génération en génération, nous oubliions peu à peu la gravité de notre situation, nous nous laissions bercer par l'illusion du confort, ignorant le sort qui nous attendait dans un avenir pourtant pas si lointain. Le déclin de notre civilisation continuait inexorablement – un compte à rebours silencieux, mais implacable.

Dans les néo-villes, les contrôles de naissance mis en place étaient très stricts. Chaque néo-citoyen, dès sa puberté, se voyait implanter un dispositif contraceptif ainsi qu'un dispositif d'identification, de localisation et de surveillance des constantes vitales. Un contrôle permanent imposé par les instances dirigeantes auquel on ne pouvait s'y soustraire. Une famille ne pouvait avoir qu'un seul enfant, à condition d'en faire la demande auprès du Cercle Gouvernant affilié – une permission à solliciter officiellement, sans laquelle ils n'avaient pas le droit de procréer. Après l'approbation de la demande, une clinique était chargée de retirer le dispositif contraceptif de la future mère et de procéder à une insémination artificielle avec les gamètes du futur père, prélevés et préparés un an à l'avance. Le jour même de la naissance de l'enfant, l'implant contraceptif de la mère était immédiatement remis en place, ne laissant aucun répit.

Tandis que les néo-citoyens étaient soumis à la règle stricte de l'enfant unique, les membres des Cercles Gouvernants et des Corporations s'imposaient une certaine retenue, se limitant généralement à deux ou trois enfants par famille – non par respect d'une loi, mais par calcul, en fonction de la taille de leurs résidences privées dans leurs abris et des ressources allouées. Quant aux Grandes Familles, libres de toute contrainte extérieure, elles établissaient leurs propres règles, selon des arrangements internes et des rapports de force. La seule limite réelle semblait être celle de leurs ressources et de la superficie du domaine privé de chaque branche familiale. Il apparaissait donc que, même au sommet, l'inégalité et la lutte pour le pouvoir étaient la norme.

Les mesures de prévention des épidémies dans les néo-villes et les abris des élites étaient draconiennes, car la propagation d'une épidémie dans un environnement clos était synonyme de catastrophe. Les élites manifestaient une obsession quasi paranoïaque pour la prévention des maladies. Il en allait de leur survie et de leurs privilèges, accentuant encore plus leur attachement maladif à leur paradis artificiel, de peur de le voir se transformer en enfer. En cas de contamination, un protocole de quarantaine était automatiquement activé, et l'IA chargée de la gestion de l'abri ou de la néo-ville scellait tous les accès, suspendant toute liberté de mouvement, interdisant les déplacements de toutes les personnes non autorisées jusqu'à ce que la situation soit jugée sous contrôle – une décision qui, une fois de plus, échappait totalement aux néo-citoyens

[Époque: 2176 - Destins Entrelacés]

La superficie des abris des élites et des néo-villes avait considérablement évolué. Au cours des cinquante dernières années, la ville de Néo-Paris avait atteint une superficie de vingt-huit kilomètres carrés. Le plus vaste abri appartenait à la famille Félix aux États-Unis, couvrant seize kilomètres carrés, suivi par celui de la famille Alisthair, qui s'étendait sur onze kilomètres carrés.

Ces installations souterraines, qui étaient nos derniers refuges, ne cessaient de s'agrandir chaque année, malgré les défis croissants liés à l'approvisionnement en matières premières. Si cette expansion se maintenait, la pénurie déjà présente deviendrait insoutenable dans les prochaines décennies, même avec le recyclage systématique, et cela conduirait inexorablement à de nouveaux conflits sanglants pour le contrôle des dernières ressources, scellant prématurément notre avenir déjà condamné.

Norwenn Alisthair était venu au monde le soir du 17 mars 2182. Il était l'enfant unique de Dylan et Miranda Alisthair, deux généticiens de renommée mondiale. Son père était le chef actuel de la famille Alisthair et le président de Genesis. Dès son plus jeune âge, Norwenn avait montré des capacités intellectuelles exceptionnelles, dépassant de loin celles des autres enfants de la famille Alisthair. Des rumeurs couraient au sein de la famille selon lesquelles il était le fruit des recherches les plus avancées de Genesis sur l'édition du génome humain et même qu'il aurait été créé pour assurer l'avenir de la famille contre les catastrophes qui s'annonçaient.

À l'âge de cinq ans, il avait été scolarisé à l'Académie Royal Internationale de l'Éducation Supérieure comme tous les enfants de la famille Alisthair. La construction de l’ARIES avait été financée par les Grandes Familles, le Cercle Gouvernant et les Corporations pour assurer un enseignement de qualité à leurs enfants, de l'école élémentaire à l'université. Quant aux enfants des néo-citoyens, ils fréquentaient les écoles publiques des néo-villes. Cependant, ils avaient la possibilité d'inscrire leurs enfants à l'ARIES s'ils remplissaient les critères de niveau, de budget et réussissaient les épreuves d'admission. Les enfants des néo-citoyens ayant un haut potentiel intellectuel bénéficiaient d'une bourse, mais devaient se maintenir parmi les meilleurs élèves chaque année pour la conserver.

L'ARIES était une installation souterraine d’une superficie de huit kilomètres carrés située sous l'ancienne capitale autrichienne, Vienne. L'enceinte de l'école était officiellement considérée comme un territoire neutre où les rivalités de classe étaient censées être bannies afin de ne pas perturber le développement intellectuel de ses occupants. Cependant, cette neutralité affichée n'était qu'une façade. Le conseil d'administration et les investisseurs de l'ARIES avaient décidé de séparer les logements en fonction des classes sociales. Malgré l'accord de neutralité de l'ARIES, les élites, soucieuses de la sécurité de leurs enfants ou simplement animées par un complexe de supériorité, refusaient de faire loger leurs enfants dans les mêmes installations que ceux de leurs rivaux.

En conséquence, les logements étaient répartis en quatre zones résidentielles situées aux extrémités de l’ARIES. La Zone Impériale accueillait les enfants des Grandes Familles, leurs domestiques et agents de sécurité dans des manoirs familiaux opulents et ultra-sécurisés. La Zone Royale était réservée aux enfants des Cercles Gouvernants, logés dans des résidences luxueuses. La Zone Présidentielle était destinée aux enfants des Corporations, installés dans des suites privatives offrant tout le confort – et l'isolement – correspondant à leur statut social. Enfin, la Zone Administrative regroupait le personnel administratif, le corps enseignant, ainsi que les dortoirs des enfants des néo-citoyens – une cohabitation qui soulignait, une fois de plus, la place à part de ces derniers. La zone centrale de l'ARIES, seul espace de relative mixité, était la cité scolaire, avec toutes les installations imaginables pour une éducation intellectuelle et sportive de haut niveau et les installations de recherches.

Être diplômé de l'ARIES était le rêve ultime pour les enfants de néo-citoyens – la promesse d'une ascension sociale, une échappatoire à la fadeur de leur existence. Cela signifiait qu'ils pouvaient espérer intégrer un poste important dans les néo-villes ou même, rêve suprême, être choisis par l'élite pour travailler dans leurs abris. C'était l'ambition de la plupart des enfants nés dans les néo-villes, et le rêve de leurs parents. Les descendants des élites, eux, avaient déjà un avenir assuré parmi les siens. L'enseignement de l'ARIES représentait pour eux davantage l’occasion de prouver leur valeur individuelle et, pour certains, de départager les candidats à la succession dans une compétition impitoyable.

Bien que l'ARIES ait été officiellement considérée comme un territoire neutre, les règlements de comptes et les expéditions punitives entre les étudiants des différentes factions étaient monnaie courante. Le personnel de l'ARIES, souvent dépassé, ne pouvait faire grand-chose pour les endiguer, si ce n'était appliquer les sanctions disciplinaires prévues par le règlement intérieur – des mesures dérisoires face à l'ampleur du problème. Ils savaient que la grande part de ces conflits étaient motivés par des querelles de succession ou des conflits d'intérêts entre les différentes factions. Les victimes de ces expéditions étaient souvent gravement blessées avant l'intervention de la sécurité, certaines, malheureusement, se retrouvant handicapées à vie, dans un état végétatif, voire plongées dans le coma. Dans de tels cas, ces malheureux étaient froidement jugés inaptes à la succession, et un nouvel héritier était désigné.

Les élites, soucieux de préserver leur précieuse progéniture, avaient mis la pression au conseil d'administration de l'ARIES pour que leurs héritiers soient accompagnés en permanence par un domestique issu de leur famille – un garde du corps personnel, plus qu'un simple serviteur. Ces domestiques, dévoués corps et âme à leur jeune maître, étaient formés pour le servir, l'assister et, surtout, le protéger à tout prix, même au péril de leur propre vie. Ils bénéficiaient d'une formation intensive aux techniques de combats les plus avancées et subissaient des renforcements corporels qui les rendaient redoutables – des machines à tuer au service de la future élite. Cependant, cette mesure drastique n'avait contribué qu'à réduire substantiellement le nombre de victimes, puisque c'étaient leurs serviteurs qui se livraient désormais à des combats mortels à leur place, exécutant les volontés – ou les caprices – de leurs jeunes maîtres, eux-mêmes pris dans les jeux de pouvoir de leurs factions respectives.

À l’ARIES, Norwenn s’était lié d’amitié avec une fille de son âge, Serenya Felix, malgré la désapprobation des autres enfants de la famille Alisthair. Serenya était une fille particulièrement intelligente et faisait preuve d'une grande maturité malgré ses six ans. Passionnée de codage informatique et de robotique, elle excellait dans la programmation des systèmes IA des robots et des équipements disponibles. Malgré son talent, les autres membres de la famille Felix la méprisaient et la mettaient à l’écart. Norwenn était la seule personne avec qui elle pouvait parler librement, ce qui renforça l'isolement et le rejet dont elle était victime au sein d'une famille qui la considérait déjà comme une paria. Se sentant coupable, Norwenn avait voulu la dissuader de le fréquenter, mais elle lui avait répondu de ne pas s’en inquiéter car elle avait l’habitude et s’en remettrait. Cependant, elle serait très attristée si elle venait à perdre son seul ami.

Ne sachant pas quoi faire pour venir en aide à son amie sans la mettre davantage en danger, Norwenn s’était tourné vers ses parents, cherchant désespérément une solution. Ceux-ci lui avaient expliqué que Serenya était la fille aînée de la famille Felix, et que dans sa famille, comme dans la plupart des Grandes Familles, seuls les garçons pouvaient prétendre au titre d'héritier – une ancienne règle cruelle, qui faisait des femmes des Grandes Familles des instruments en leurs causes. Sa naissance avait grandement déçu ses parents, qui avaient choisi de la traiter avec froideur et indifférence, la considérant comme une déception, un être inutile. Cependant, sa position était devenue encore plus problématique, intenable, lorsque sa mère avait donné naissance à un petit garçon il y a deux ans. Depuis, elle n’avait plus l’autorisation de voir ses parents, ni son petit frère, et avait même été bannie de la résidence familiale. Sa scolarisation à l’ARIES était la solution parfaite pour l'éloigner de l’abri de la famille Felix pour de nombreuses années – un exil déguisé en opportunité. Elle ne pourrait rentrer qu’à la fin de ses études. Alors, Serenya était contrainte de rester à l’ARIES durant les vacances scolaires, y compris les vacances d’été.

Norwenn, profondément bouleversé par le traitement injuste et horrible dont était victime son amie à cause de sa naissance, cherchait une issue. En demandant à ses parents s'ils pouvaient l'aider, ils avaient répondu qu'il existait effectivement un seul moyen suffisamment sûr de l'arracher à cette situation, mais qu'une telle démarche n'était pas sans risques. Ils lui firent savoir qu'il devrait bien réfléchir avant de prendre une décision, car s'il s'engageait dans cette voie, un retour en arrière serait compliqué. Norwenn avait jusqu'à ses dix-huit ans pour prendre sa décision, et en attendant, il avait leur soutien pour continuer à fréquenter Serenya, conscients, l'un comme l'autre, de la difficulté de cette situation.

Durant sa scolarité, Norwenn se distinguait nettement des autres étudiants en raison de ses exceptionnelles facultés intellectuelles, qui ne cessaient de croître de manière exponentielle – un prodige, dont le potentiel semblait illimité. Il était rapidement considéré comme le plus brillant élève de l'histoire de l'ARIES, accumulant les succès et les distinctions. En revanche, les résultats scolaires de Serenya étaient volontairement maintenus dans la moyenne, une stratégie de protection sur les conseils des parents de Norwenn, afin de ne pas attiser davantage l'hostilité de sa famille.

[Époque: 2192 - Registres de Sauvegardes Neurales]

À dix ans, Norwenn avait développé le premier scanner neural non invasif capable de cartographier et de numériser le schéma neural d'une personne pour le stocker sur un support informatique. La numérisation du schéma neural était aussi possible après la mort de l'individu si son cerveau avait été parfaitement conservé. Cette technologie révolutionnaire ouvrait la voie à la sauvegarde de la structure cérébrale unique d'un individu, une première étape vers une possible restauration future. En théorie, cette sauvegarde neurale pourrait un jour être transférée dans un clone parfaitement identique de l'individu décédé, permettant ainsi une forme de résurrection. Cependant, à l'époque de sa création, cette technologie se heurtait à deux obstacles majeurs, et nécessitait, en outre, la conservation de l'ADN et des données génétiques complètes de l'individu pour envisager un éventuel clonage. D'une part, le transfert d'une sauvegarde neurale, même théoriquement possible, n'était pas encore réalisable. D'autre part, même Genesis, qui possédait la technologie la plus avancée en matière de clonage humain, était incapable de créer un clone avec une espérance de vie supérieure à dix ans. La restauration complète d'un individu à partir de sa sauvegarde neurale et de son profil génétique restait donc, pour l'instant, un espoir lointain.

Le père de Norwenn, Dylan Alisthair, stratège autant que scientifique, y avait rapidement décelé une opportunité d'asseoir la domination de sa famille sur les autres Grandes Familles en proposant un tout nouveau type de service. C'est ainsi que Genesis avait créé les Registres Génétique et de Sauvegardes Neurales (RGSN). Ils servaient à stocker les données de séquençage des génomes, les données des structures neurales ainsi que les précieuses sauvegardes des données génétiques de milliers d'individus. Étant donné l'énorme volume de données que cela représentait, il était impossible de les stocker sur des supports de stockage conventionnels. Pour ses registres de sauvegarde neurales, Genesis avait utilisé des mémo-cristaux, une technologie développée par Norwenn et Serenya, dont la participation de cette dernière était un secret gardé au sein de la famille Alisthair. Seuls les parents de Norwenn, et ses grands-parents, dont son grand-père était le précédent chef de famille, étaient au courant de sa participation au développement de cette technologie et du potentiel exceptionnel de la jeune fille.

Le mémo-cristal, également appelé cristal mémoire, était une technologie révolutionnaire de stockage de données utilisant un cristal de très haute densité scellé dans un cylindre sous vide en titane, maintenu à une température interne très basse. Le cristal lui-même avait une forme cylindrique, dont les atomes étaient soigneusement agencés selon une architecture complexe pour construire un réseau neural optique à plusieurs couches. Les données étaient stockées au sein de ce réseau neural à l'aide d'un module à cinq faisceaux laser à haut débit, géré par un neuroprocesseur intégré dans le cylindre.

Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, le mémo-cristal, malgré sa capacité de stockage phénoménale, avait un volume assez réduit, avec un diamètre de cinq centimètres et une hauteur de quinze centimètres. Ce format le rendait particulièrement adapté aux applications nécessitant une grande capacité de stockage tout en minimisant l'encombrement, comme les RGSN.

Il était toutefois essentiel de contrôler minutieusement la température ambiante de la pièce où étaient installées les unités de stockage, afin qu'elle reste constamment inférieure à zéro degré Celsius. Pour contourner cette contrainte, les ingénieurs de la famille Alisthair avaient développé un module hôte constitué du même alliage que les mémo-cristaux. Ce module, en forme de cube de soixante-dix centimètres de côté, pouvait accueillir une vingtaine de mémo-cristaux. Chaque module possédait son propre système de refroidissement et une source d'alimentation de secours intégrée, capable de maintenir la température des mémo-cristaux pendant quatre-vingt-seize heures en cas de panne de courant ou de déplacement. Ces modules, connectables entre eux via des interfaces réseau, offraient ainsi un stockage réseau d'une capacité phénoménale, modulaire et sécurisé.

Grâce à cette nouvelle configuration, les unités de mémo-stase, comme on les appelait, pouvaient être installées dans des pièces simplement climatisées, mais surtout, être transportées en toute sécurité, même entre des sites différents. Cette avancée technologique, fruit du génie des ingénieurs Alisthair, permettait une plus grande flexibilité d'utilisation et une meilleure fiabilité du stockage de données, des atouts majeurs pour un service aussi crucial que les RGSN.

Les élites comme les néo-citoyens, animés du même espoir fragile, voyaient dans ce procédé un moyen de s'affranchir de la mort, en espérant une hypothétique résurrection dans un futur où la vie serait de nouveau possible à la surface. Avec cet espoir de salut, aussi ténu soit-il, ils étaient prêts à payer une fortune pour accéder à ce service, faisant ainsi la richesse et la puissance de la famille Alisthair, qui était désormais la plus influente des Grandes Familles.

[Époque: 2198 - Un Amour Interdit]

À l'âge de seize ans, Norwenn, suivant les élans de son cœur, avait déclaré sa flamme à Serenya et lui avait demandé d’être sa future femme. Elle avait accepté, le visage baigné de larmes de joie – un bonheur fragile, teinté d'appréhension. Cependant, elle était terrifiée à l'idée de la réaction de leurs familles si elles venaient à l'apprendre, car ils étaient les enfants aînés des deux Grandes Familles les plus influentes au monde – une union qui, bien qu'inespérée pour elle, risquait d'entraîner des répercussions qui les dépasseraient.

Norwenn, rassemblant tout son courage et faisant fi de la réprobation du reste de la famille Alisthair, avait décidé de contacter ses parents pour leur faire part de sa relation amoureuse avec Serenya et de son souhait de fiançailles. À sa grande surprise, et à son immense soulagement, ils avaient approuvé son désir de s'unir à la fille aînée de la famille Felix sans poser de questions ni imposer de conditions, lui révélant, dans un même souffle, que cette union était le seul moyen de la soustraire en toute sécurité à l'emprise de sa famille – une révélation qui donnait à son amour une dimension nouvelle, l'importance de la protéger de toutes ses forces.

En effet, dans cette société fragmentée, où les élites vivaient recluses dans leurs abris, entretenant une méfiance réciproque et un mépris commun pour les classes inférieures, les mariages arrangés étaient monnaie courante, seul moyen jugé acceptable pour garantir la diversité génétique de leurs lignées et, accessoirement, consolider des alliances ou accroître leur pouvoir. Les négociations pour ces mariages, loin d'être de simples formalités, n'étaient pas simples, car chacun cherchait à en tirer le maximum d'avantages, qu'ils soient financiers, politiques ou stratégiques. Une fois le contrat signé, véritable acte de propriété, la fiancée devait emménager dans l'abri de sa future belle-famille, quittant à jamais son foyer d'origine, sauf pour de brèves visites, deux fois par an, et pour une durée de quinze jours seulement. Si elle répondait aux attentes de sa future belle-famille – un jugement arbitraire et souvent cruel – le contrat de mariage était conclu. Sinon, les fiançailles étaient annulées et elle était renvoyée chez elle, subissant l'humiliation et le déshonneur. En cas de mariage, elle devait rompre tout lien avec sa famille et devenir officiellement un nouveau membre de sa belle-famille. Cependant, cette tradition, aussi rigide soit-elle, présentait une exception majeure : les élites étaient extrêmement réticentes à se séparer de leur descendance masculine, en particulier des héritiers. Les mariages arrangés concernaient donc presque exclusivement les femmes, confirmant leur statut d'objet d'échange, tandis que les hommes restaient au sein de leur famille d'origine, perpétuant la lignée et le pouvoir.

Les parents de Norwenn, conscients des enjeux et des risques, avaient pris contact avec le patriarche de la famille Felix pour entamer des négociations de fiançailles entre leur fils aîné et sa fille Serenya. Malgré la liaison de cette dernière avec un membre d'une famille rivale – un affront qui, en d'autres circonstances, aurait pu être considéré comme une déclaration de guerre – le patriarche avait accepté les négociations, y voyant une opportunité avantageuse pour sa famille, ses calculs passant avant toutes autres considérations. Comme le voulait la coutume, les négociations avaient eu lieu sur un terrain neutre, en l'occurrence l'ARIES, et avaient duré huit jours – huit jours de tractations intenses, où chaque mot, chaque geste, avait son importance.

La famille Felix avait pour objectif d'obtenir un accord très avantageux, mais après huit jours de négociations acharnées, ils avaient compris qu'ils ne pourraient pas extorquer davantage de la famille Alisthair, qui avait habilement mené les débats. Un accord avait finalement été conclu, réduisant les frais sur l'ensemble des services actuels et futurs fournis par Genesis de quarante-trois pour cent sur trente-cinq ans – une concession significative, mais loin des exigences initiales des Felix. Cette réduction substantielle des profits de Genesis représentait un enjeu financier majeur pour la famille Alisthair. Cependant, dans l'ombre, et avec une cruauté qui la caractérisait, la famille Felix avait secrètement menacé Serenya de la faire disparaître si elle venait à décevoir sa belle-famille et à faire annuler l'accord – un rappel constant de la jeune fille de sa précarité.

Une fois le contrat signé, scellant l'accord et engageant les deux familles, une fête de fiançailles officielle avait été organisée deux jours plus tard, célébrant l'union prochaine de Norwenn et Serenya, mais aussi, et peut-être surtout, le rapprochement stratégique entre les Alisthair et les Felix. Libérée de l'emprise de sa famille, Serenya avait immédiatement emménagé dans le manoir familial des Alisthair à l'ARIES. Elle avait finalement échappé à l'oppression de sa famille, même temporairement, et s'épanouissait aux côtés de son âme sœur – une parenthèse de bonheur dans une existence marquée par une terreur constante. 

[Époque: 2199 - Luttes de Pouvoir]

Le 12 mars 2199, alors qu'il n'avait que dix-sept ans, la vie de Norwenn bascula dans le chaos. Ses parents, Dylan et Miranda Alisthair, trouvèrent la mort dans ce qui fut présenté comme l'effondrement d'un tunnel de ligne de trains magnétiques. Ils revenaient d'une rencontre au sommet entre les dirigeants des Grandes Familles, des Corporations et des Cercles Gouvernants, une réunion qui se tenait tous les cinq ans, officiellement pour faire le point sur les ressources naturelles mondiales disponibles et signer divers accords d'échanges commerciaux ou de collaborations. Une enquête avait été menée, pour élucider les conditions de ce drame. Mais en l'absence de preuves irréfutables, l'affaire fut rapidement classée sans suite, étouffée sous le sceau de l'accident. Pourtant, nombreux étaient ceux qui pensaient le contraire, convaincus qu'il s'agissait d'un assassinat politique, une attaque orchestrée par d'autres branches de la famille Alisthair ou par une famille rivale pour les évincer de leur position dominante.

En tant qu'héritier légitime de la famille Alisthair, Norwenn, à dix-sept ans, était jugé trop jeune pour succéder immédiatement à la tête de la famille et de Genesis. La règle, complexe et lourde de conséquences, était que l'ancien chef de famille reprenne la direction des affaires jusqu'à ce que Norwenn atteigne l'âge de vingt-cinq ans. Si l'ancien chef de famille décédait avant cette date, le conseil de famille serait contraint de choisir un chef de famille par intérim parmi les autres branches de la famille – une disposition qui ouvrait la porte à toutes les manipulations. Celui-ci resterait alors au pouvoir jusqu'à ce que Norwenn soit en âge de reprendre les rênes, à condition qu'il soit jugé apte à diriger. Si Norwenn était jugé incapable de succéder à la tête de la famille, une clause supplémentaire prévoyait que c'était la seconde branche qui devenait la branche principale de la famille – un renversement complet de l'ordre établi, une perspective terrifiante pour le jeune héritier.

Les grands-parents de Norwenn étant toujours en vie, son grand-père, Adrian Alisthair, reprit les rênes de la famille et de Genesis, conformément à la tradition. Comme Norwenn était en très bons termes avec ses grands-parents, il n'avait pas été éloigné des activités de Genesis et des décisions de la famille, conservant ainsi l'influence de sa position de successeur. Cependant, cette situation précaire avait attisé les luttes de pouvoir entre les différentes branches de la famille Alisthair. Une opportunité inespérée de prendre la tête de la famille s'était présentée, chacune espérant profiter de la transition pour s'emparer du contrôle, et il était hors de question pour elles de la laisser passer.

Étant donné l'atmosphère hostile qui régnait au sein de sa famille, où les rivalités s'étaient exacerbées, et ne voulant pas faire revivre cette expérience douloureuse à Serenya, Norwenn rentrait très rarement dans l'abri familial, et préférait passer ses vacances à l'ARIES avec elle, trouvant refuge dans leur bulle d'amour et de complicité intellectuelle. Son grand-père, conscient de la situation et désireux de l'encourager dans ses recherches, lui avait fait aménager un laboratoire personnel dans le manoir familial de l'ARIES – un sanctuaire où il pouvait se consacrer à ses travaux sans craindre les intrigues familiales. Depuis lors, Norwenn restait le plus possible à l'ARIES, maintenant un contact à distance avec son grand-père, son seul véritable allié face au reste de la famille déchirée. Ensemble, Norwenn et Serenya publiaient leurs travaux de manière anonyme sous le nom de la mystérieuse organisation qu'ils avaient créée, Omnitech – un nom qui, à lui seul, était une promesse d'avenir. Leurs théories et inventions étonnantes bouleversaient profondément la communauté scientifique, consolidant ainsi la réputation d'Omnitech, et préparant, sans que personne ne s'en doute, le terrain pour leur ascension.

[Époque: 2201 - L'Ascension d'Omnitech]

En 2201, Omnitech, sorti de nulle part, dominait le marché mondial en louant des brevets de technologies révolutionnaires aux Grandes Familles et aux Corporations. Son ascension fulgurante à la tête des plus grosses fortunes avait pris de court les élites. Et pour cause, en seulement une année, cette mystérieuse organisation était devenue incontournable sur tous les marchés, écrasant les monopoles des élites, rendant leurs technologies désormais obsolètes comparées à celles d'Omnitech. Même la famille Alisthair, autrefois à la pointe de l'innovation, n'y avait pas échappé. Un voile de mystère planait au-dessus de ses membres, qui se faisaient discrets et n'avaient jamais fait la moindre apparition en public – alimentant les rumeurs les plus folles.

L'innovation majeure d'Omnitech, celle qui avait ébranlé les fondements mêmes de la société, était une matrice artificielle destinée à l'incubation des embryons humains. Cette cuve, véritable prouesse technologique, reproduisait à la perfection les conditions d'un utérus naturel, pour permettre une gestation humaine artificielle dans un environnement entièrement contrôlé par une intelligence artificielle. Cette technologie permettait de mettre des enfants au monde sans passer par l'utérus de la femme, mais présentait également un avantage supplémentaire qui la rendait indispensable dans cette société post-apocalyptique.

En effet, et c'est là que résidait le véritable coup de génie d'Omnitech, l'ADN des embryons humains incubés dans les matrices artificielles était préalablement édité pour éliminer les mutations génétiques délétères causées par l'environnement confiné des abris au fil des générations, offrant ainsi à ces enfants une chance de vivre sans le fardeau de ces altérations. Les enfants nés d'une matrice artificielle n'étaient pas physiquement différents de ceux issus d'une grossesse naturelle, à une exception près : l'absence de nombril. Mais cette différence, en apparence minime, allait devenir un marqueur de statut, l'absence de nombril signalant l'accès à une technologie coûteuse et donc, l'appartenance à une classe privilégiée, avec tous les risques de discrimination que cela comportait. Cette caractéristique était due au fait que, dans la matrice artificielle, les embryons se développaient dans une solution nutritive à molécules nano-contrôlées qui fournissait tous les éléments essentiels minutieusement contrôlés par l'IA, rendant superflus le placenta et le cordon ombilical. De plus, la période de gestation pouvait être prolongée jusqu'à douze mois au lieu des neuf mois d'une grossesse naturelle – un avantage supplémentaire, qui permettait d'optimiser le développement de l'enfant.

Les élites, prêtes à tout pour s'assurer une descendance exempte de mutations, payaient des sommes astronomiques pour avoir accès aux matrices artificielles afin de faire porter et naître leurs progénitures. Grâce à elles, elles n'étaient plus strictement obligées de recourir aux mariages arrangés pour diversifier leur lignée génétique, car Omnitech offrait un service de sélection et de combinaison génétique à partir des données des RGSN – une alternative coûteuse, mais ô combien plus séduisante pour des familles soucieuses de préserver leur indépendance et leur pouvoir.

[Époque: 2202 - Les Enfants Prodiges]

En 2202, à l'âge de vingt ans, Norwenn avait obtenu son troisième doctorat, un exploit remarquable, en ingénierie génétique, après avoir déjà validé un doctorat en neurosciences et un en biotechnologie. Mais au-delà de ses impressionnants diplômes, Norwenn s'intéressait à d'autres domaines de la recherche, plus secrets, qu'il préférait cacher à sa famille, à l'exception de son grand-père. Serenya, quant à elle, avait également décroché son troisième doctorat, en informatique théorique et en physique quantique, ainsi qu'un doctorat en ingénierie robotique – deux esprits hors du commun, unis par une passion commune pour la connaissance et une ambition qui dépassait les murs de l'ARIES. Plutôt que de retourner dans l'abri des Alisthair, tous deux avaient décidé de travailler à l'ARIES en tant qu'enseignants-chercheurs jusqu'à ce que Norwenn atteigne l'âge de vingt-cinq ans, repoussant ainsi l'échéance, et préparant, dans l'ombre, leurs prochaines actions. Pendant ce temps, la mystérieuse société Omnitech entamait la construction de son propre abri et centre de recherche sur le continent européen, signe d'une puissance grandissante et d'une ambition qui n'échappait à personne.

Au cours de leurs années à l'ARIES, bien plus que de simples enseignants-chercheurs, Norwenn et Serenya se lancèrent dans une véritable quête, écumant l'Académie et au-delà, à la recherche d'étudiants aux capacités intellectuelles exceptionnelles. Leur recrutement dépassait les frontières sociales, s'étendant tant à l'ARIES qu'au sein des écoles publiques des néo-villes, et même jusqu'aux rangs de la Ligue Marchande. Dès qu'ils dénichaient ces esprits brillants, ces talents cachés, ils les recrutaient au sein de leur groupe de recherche, bâtissant ainsi, patiemment et discrètement, une équipe d'élite.

Le fruit de leurs efforts ne tarda pas à mûrir. Leur groupe comptait désormais six membres, six individualités remarquables, issues d'horizons divers, unies par une intelligence hors du commun : Samuel et Renia, originaires respectivement de Néo-Madrid et Néo-Stockholm ; Arlan, ayant grandi dans l'une des villes forteresses nomades de la Ligue Marchande ; Nasria et Akio, tous deux issus des Corporations ; et enfin Céleste, membre d'une branche mineure de la famille Alisthair – une mosaïque de talents, reflet de la diversité de ce monde morcelé.

Avant leur départ définitif de l'ARIES – un départ qui marquerait un tournant dans leur existence – pour préparer le sacre de Norwenn à la tête de sa famille et son mariage avec Serenya, les membres de leur groupe de recherche avaient tous reçu une invitation à rejoindre Omnitech, la mystérieuse société qui, désormais, les fascinait tous. Plus qu'une simple proposition, c'était une opportunité que leurs mentors avaient vivement conseillée d'accepter, un sésame pour un avenir qui dépassait leurs rêves les plus fous.

Avec l'achèvement de son abri, symbole de sa puissance et de son indépendance, Omnitech avait lancé une campagne massive de recrutement, ouvrant ses portes aux chercheurs, ingénieurs et techniciens du monde entier, sans distinction de statut social – un pied de nez aux pratiques ségrégationnistes des élites. Les nouvelles recrues étaient invitées à s'installer dans le nouvel abri avec leurs familles, une offre généreuse et inattendue dans ce monde de pénurie et de compétition. Pour ceux issus des Convoyeurs ou de la Ligue Marchande, et plus largement pour tous ceux qui survivaient à la surface, c'était une occasion inespérée de débuter une nouvelle vie, loin de l'environnement infernal et de la menace constante des radiations.

Au cours de cette campagne médiatisée, les membres du conseil d'administration d'Omnitech avaient fait une brève apparition publique, entretenant savamment le mystère qui entourait l'organisation. Toutefois, le président et le vice-président, les énigmatiques cofondateurs de la société, étaient restés en retrait, alimentant les spéculations sur leur identité et leurs motivations. Parmi les membres visibles du conseil, se trouvaient les six anciens membres de leur groupe de recherche, désormais figures reconnues du monde scientifique, connus autrefois, pendant leur scolarité à l'ARIES, sous le nom des “Enfants Prodiges” – un surnom qui prenait, à cet instant, tout son sens.

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