Utopia

Par Arline

"Dans les lueurs chatoyantes d'Utopia, notre esprit s'élève au-delà des horizons sombres, tissant un refuge où l'âme embrasse l'illusion pour échapper à la rigueur du réel."

[Époque: 2207 - Ascension d'un Dirigeant: Norwenn et l'héritage de la famille Alisthair]

Le lendemain de la célébration de son vingt-cinquième anniversaire, Norwenn avait été officiellement investi chef de la famille Alisthair et président de Genesis. Cette investiture solennelle était un événement majeur, marquant la transmission du pouvoir à une nouvelle génération. Malgré la montée en puissance spectaculaire d’Omnitech, la famille Alisthair restait l'une des plus influentes dans le domaine des technologies avancées en génie génétique, et Norwenn, à présent à la tête de cet empire familial, en devenait le jeune patriarche.

Le 20 août de l'année suivante, Norwenn et Serenya s'étaient unis par les liens du mariage – une cérémonie grandiose, acte politique autant que personnel, largement médiatisé pour promouvoir les deux familles face à la domination d'Omnitech. Cette union marquait un tournant dans leur vie, et dans celle de leurs deux familles. Pour Serenya, son statut d'épouse du nouveau patriarche de la famille Alisthair mettait un terme définitif à la pression exercée par la famille Felix, et dissuadait certains membres de la famille Alisthair qui ne l'appréciaient guère, de peur de s'attirer les foudres de Norwenn.

En tant que patriarche, Norwenn détenait désormais un pouvoir absolu sur les affaires de la famille Alisthair. Il pouvait, d'un simple mot, rompre l'accord conclu entre les deux familles lors des négociations de ses fiançailles avec Serenya. Une décision lourde de conséquences, qui mettrait gravement en péril la survie de la famille Felix, désormais dépendante des technologies et des services de Genesis, et plus largement, supplantée par la puissance écrasante d'Omnitech, qui dominait sans partage les secteurs stratégiques de l'intelligence artificielle et de la robotique. Sans ce soutien, sans cet accord vital, la famille Felix serait condamnée à un déclin rapide, voire à une disparition pure et simple.

De la même manière, il pouvait exiler n'importe quel membre de sa famille, quelle que soit sa position, y compris les membres influents du conseil de famille. Bien que cela risquât de liguer les autres branches de la famille contre lui et de déclencher une lutte ouverte pour sa destitution, il était prêt à tout pour protéger Serenya, sa priorité absolue, le seul être qui comptait vraiment pour lui dans ce monde de faux-semblants et de trahisons.

C'était pour ces raisons, et bien d'autres encore, mûrement réfléchies et tenues secrètes, que les deux jeunes gens avaient pris la décision radicale de fonder Omnitech, leur propre empire, afin de s'affranchir de l'influence néfaste de leurs familles, mais aussi, à terme, de les déposséder de leurs positions dominantes. Ainsi, en cas de confrontation ouverte, ils étaient assurés de les mettre hors d'état de nuire définitivement, de renverser l'ordre établi et de bâtir un avenir meilleur, ou du moins, un avenir différent.

[Époque: 2211 - Utopia: Omnitech Redéfinit la Réalité]

Le 16 mars 2211, Omnitech, marquant une étape décisive dans son ascension, avait organisé une conférence internationale à laquelle avaient été conviés les dirigeants des différentes factions, ainsi que l'ensemble des scientifiques et ingénieurs de la planète. C'était la première conférence qu'elle organisait depuis sa fondation, attirant l'attention du monde entier. Officiellement, il s'agissait d'une réception pour célébrer ses dix ans et annoncer le lancement d'un nouveau produit révolutionnaire – une annonce qui suscitait autant de curiosité que d'appréhension, mais qui servait surtout de prétexte pour exposer la vision d'Omnitech et attirer les meilleurs talents.

Le début de la conférence avait été consacré à une présentation détaillée de la société et de ses multiples activités. Loin d'être une simple entreprise, Omnitech se révélait être un véritable empire technologique, couvrant quasiment tous les domaines imaginables, avec ses divisions de recherche et opérationnelles, chacune dirigée par une sommité reconnue mondialement, siégeant au Conseil Global – l'un des trois organes de pouvoir de cette organisation tentaculaire.

La direction d’Omnitech était structurée en trois conseils, chacun avec ses responsabilités et son niveau de pouvoir : le Conseil Global, le Conseil de Sécurité et le Haut Conseil.

Le Haut Conseil, cercle le plus intime du pouvoir, était très restreint, avec seulement six membres y siégeant, présidé par les fondateurs énigmatiques d’Omnitech. Toutes les stratégies majeures de la société, les décisions qui engageaient son avenir, étaient prises par le Haut Conseil, et seuls ses membres avaient déjà rencontré le président et son vice-président – une mesure de sécurité, mais aussi le signe d'une confiance absolue. Cela était dû au fait que les membres du Haut Conseil avaient été personnellement choisis par les fondateurs pour leurs facultés intellectuelles exceptionnelles et leur dévouement indéfectible à la vision qui les unissait.

Le Conseil de Sécurité, rempart contre les menaces intérieures et extérieures, était chargé des affaires critiques liées à la sécurité d'Omnitech et de ses employés. Il comptait une quinzaine de membres, sélectionnés par le Haut Conseil selon des critères très stricts : intelligence, loyauté absolue, esprit critique, capacité d'anticipation des menaces et de prise de décisions rapide et éclairée en situation de crise – des qualités indispensables pour protéger les secrets et les intérêts vitaux de l'organisation.

Le Conseil Global, organe de direction opérationnel d'Omnitech, était chargé des affaires courantes de l'entreprise. Il regroupait l'ensemble des directeurs des divisions de recherches et opérationnelles, chacun étant l'expert international incontesté de son domaine, assurant la direction de sa division avec une expertise inégalée – un collège de sommités, garant de l'excellence et de l'innovation permanente.

Ensuite, suivant un ordre méticuleusement orchestré, les directeurs des différentes divisions avaient présenté leurs récentes innovations, des avancées technologiques qui promettaient de bouleverser, une fois de plus, le quotidien des citoyens du monde entier. Puis, dans un silence lourd d'attente, après un préambule qui avait porté l'excitation à son comble, les fondateurs tant attendus avaient fait leur apparition. Lorsque le rideau tomba, révélant la scène jusqu'alors plongée dans l'obscurité, le monde entier retint son souffle, avant d'être saisi d'une onde de choc. Le président d'Omnitech n'était autre que Norwenn Alisthair, et sa femme, Serenya, issue de la famille Felix, en était la vice-présidente. Norwenn prit alors la parole, d'une voix calme et assurée, contrastant avec la stupeur qui s'était emparée de l'assemblée. Après un instant de silence, il s'adressa à la foule :

« Nombreux d'entre vous me connaissent déjà, mais je me présente à nouveau, non plus seulement comme le patriarche de la famille Alisthair, mais comme le président d'Omnitech. Et je vous présente ma femme, Serenya Felix Alisthair, vice-présidente et co-fondatrice de cette organisation.

Certains s'interrogent peut-être sur notre discrétion, sur le mystère qui a entouré Omnitech jusqu'à ce jour. La raison en est simple : la sécurité. La nôtre, d'abord, car nous n'étions que de jeunes étudiants lorsque nous avons fondé cette société. Mais aussi la sécurité de notre projet, dans un monde où la concurrence est synonyme de danger, et où les enjeux sont considérables.

Nous avons fondé Omnitech, Serenya et moi, avec une conviction : que la technologie pouvait, et devait, apporter des solutions aux problèmes de notre monde. Les technologies que nous avons développées ensemble à l'ARIES, fruit de notre travail acharné, ont permis de construire la notoriété d'Omnitech, d'accroître son capital, et de la propulser au rang de leader mondial de l'innovation technologique.

Mais notre ambition n'a jamais été la richesse, ni le pouvoir en tant que tel. Notre ambition, notre objectif ultime, c'est de sauver ce qui peut encore l'être. C'est de donner à l'humanité une chance de survivre, et de prospérer à nouveau.

Pour cela, nous nous sommes fixés trois objectifs majeurs. Premièrement, trouver un moyen de restaurer la biosphère terrestre détruite. Deuxièmement, modifier notre génome, pour nous rendre capables de survivre dans l'environnement hostile de la surface. Et troisièmement, si les deux premières voies s'avéraient impossibles, trouver un moyen de quitter la Terre, de coloniser une autre planète, un nouveau foyer, loin de ce monde que nous avons ravagé.

Et pour relever ces défis colossaux, nous avons besoin de vous. De vous tous, qui partagent notre conviction que l'humanité a un avenir. C'est pourquoi, aujourd'hui, nous vous invitons à nous rejoindre, à faire partie de notre grande famille, quelle que soit votre origine ou votre statut, vous pouvez tous recommencer avec nous et bâtir, ensemble, un avenir meilleur, pour nous, mais aussi pour nos descendants. »

Serenya fit alors un pas en avant et prit la parole :

« Je voudrais maintenant vous parler de nos valeurs, et de ce que signifie, concrètement, rejoindre Omnitech. Que proposons-nous ? Une rupture. Une rupture totale avec le passé, avec les inégalités, avec les conflits, avec les erreurs qui nous ont menés au bord du gouffre.

Rejoindre Omnitech, c'est choisir une vie nouvelle, digne et sûre. C'est bénéficier de nos technologies, de nos services, de nos ressources, sans autre contrepartie que votre engagement envers nos idéaux. C'est accepter de respecter des règles, conçues non pas pour vous opprimer, mais pour assurer l'ordre, l'efficacité, et la préservation de ce qui fait de nous des êtres humains.

Nous savons que certains s'interrogent sur nos méthodes. Que certains nous accusent de vouloir concentrer le pouvoir, de vouloir imposer notre vision du monde. Nous ne le nions pas : dans la situation actuelle, face à l'urgence de la situation, une direction forte et centralisée est nécessaire. Mais cette direction, nous la voulons éclairée, juste, et respectueuse de la vie.

Nous ne vous promettons pas un paradis sans contraintes. Nous vous promettons un avenir. Un avenir où l'humanité, unie et forte, pourra de nouveau prospérer, sur Terre si possible, ou ailleurs si nécessaire. Un avenir qui vaut la peine que l'on se batte pour lui. Un avenir que nous bâtirons, ensemble.»

La révélation de leur identité, et de leur vision pour l'avenir, avait eu l'effet d'une bombe. La conférence d'Omnitech marquait, à n'en pas douter, un tournant décisif dans l'histoire de l'humanité.

Vint ensuite la présentation du produit phare initialement annoncé, un intermède technique qui n'entamait en rien la curiosité suscitée par la révélation des fondateurs. Il s'agissait d'une interface neurale d'un genre nouveau, baptisée Interface Neurale Active, ou INA, un acronyme qui allait bientôt résonner à travers le monde. Développée conjointement par la Division de Recherches en Matériaux Intelligents et Nanotechnologies, la Division de Recherches en Neurosciences et Interfaces Neuronales et la Division de Recherches en Systèmes Quantiques et Intelligences Artificielles, elle intégrait la fonction de sauvegarde de la structure neurale du scanner neural que Norwenn avait mis au point quelques années auparavant, mais ses capacités dépassaient de loin celles de son prédécesseur. 

Concrètement, l'INA agissait comme une interface directe entre le cerveau et le monde numérique. Elle effectuait un scan complet et continu du schéma neural, tout en interceptant et convertissant en données numériques les impulsions nerveuses, capturant ainsi l'essence même de l'activité cérébrale et de sa structure. Elle procédait ensuite à la compression et au cryptage de ces données grâce à une batterie d'algorithmes quantiques très sophistiqués, garantissant une sécurité et une confidentialité optimales. Ces données étaient ensuite transmises au Nexus, mais, pour une autonomie maximale, l'unité de traitement de l'INA était également en mesure de les traiter et de les stocker localement, assurant ainsi la continuité des fonctions principales de l'interface en cas de coupure d'accès au Nexus. 

Au-delà de la simple sauvegarde de la structure neurale, fonction héritée du scanner de Norwenn, l'INA offrait deux nouvelles fonctionnalités révolutionnaires. La première, l'immersion sensorielle intégrale, transportait l'utilisateur dans un monde virtuel avec un réalisme saisissant. La seconde, la vision augmentée, superposait des informations numériques au champ de vision réel, rendue possible grâce au traitement en temps réel des impulsions nerveuses du centre de traitement optique. Mais l'INA était bien plus qu'une simple interface : son système d’exploitation intégrait des algorithmes d’intelligence artificielle de pointe, fournissant à l’utilisateur un assistant virtuel personnel et permettant la manipulation de son interface de réalité augmentée par la pensée, abolissant ainsi la frontière entre l'intention et l'action.

La fonctionnalité d’immersion sensorielle intégrale de l’INA, prouesse technique défiant l'entendement, permettait de rediriger les impulsions nerveuses sensorielles de l’utilisateur vers son avatar numérique, qu'il soit dans un environnement virtuel miniature hébergé en local, ou connecté à l'un des vastes mondes virtuels persistants du réseau Omnitech. La qualité exceptionnelle et la précision inégalée des données sensorielles transmises au système nerveux de l’utilisateur par son avatar offraient une expérience sensorielle immersive sans précédent, désormais désignée par l'acronyme IS2, brouillant les frontières entre le réel et le virtuel, au point de rendre les deux presque indiscernables. Ainsi, les utilisateurs pouvaient voir, entendre, sentir, goûter et toucher les objets et les êtres dans les environnements virtuels où ils se projetaient, avec une fidélité et une intensité égales à celles du monde réel, pour une immersion totale, une évasion de ce monde oppressant.

Parallèlement à la commercialisation de l’INA, Omnitech dévoilait Utopia, son système révolutionnaire de gestion de mondes virtuels persistants de grandes envergures, et, en son sein, Terra, une réplique fidèle et nostalgique de la Terre d'avant l’industrialisation. Ce monde virtuel, accessible via l'IS2, offrait un refuge, une évasion, un retour aux sources. Les utilisateurs pouvaient explorer ce paradis perdu à leur guise, mais avec des restrictions claires : un abonnement standard limitait l'immersion à soixante-douze heures hebdomadaires. Pour les plus fortunés, un abonnement premium, extrêmement onéreux, levait cette barrière, permettant une immersion de longue durée, voire quasi permanente. Dans ce cas, les fonctions vitales de l’utilisateur étaient maintenues par un module de support de vie, une symbiose troublante entre l'homme et la machine, offrant une expérience d'immersion pouvant s'étendre sur plusieurs mois – une seconde vie, virtuelle mais ô combien séduisante. 

L'abonnement standard, portant la promesse d'une évasion accessible, était relativement abordable, comprenant la location de l’INA, pour que chacun puisse goûter aux délices de l'immersion sur Terra. Évidemment, pour les bâtisseurs de ce nouveau monde, l’abonnement était totalement gratuit pour les membres d'Omnitech. Cependant, seuls les plus fortunés des non-membres pouvaient prétendre à l'abonnement premium, réservé à une élite triée sur le volet. Cela faisait partie d'une stratégie commerciale délibérée d’Omnitech, visant à renforcer son influence et à creuser davantage le fossé technologique, et donc économique et social, qui le séparait de ses concurrents, affirmant ainsi sa suprématie absolue. Omnitech avait tout de même donné la possibilité à ses membres d’augmenter considérablement leur quota d'immersion selon leur implication au développement de la société, avec une limitation fixée à quatre jours hebdomadaires maximum pour prévenir la dissociation de la réalité et du virtuel – une préoccupation qui semblait bien secondaire pour les non-membres, livrés à leur propre responsabilité. Enfin, Utopia, bien plus qu'un simple divertissement, avait pour objectif de faire prendre conscience aux néo-citoyens, et plus largement, à l'ensemble de l'humanité, de ce que nous avions perdu, pour les inciter à s'impliquer davantage dans sa reconstruction, ou du moins, dans la construction d'un avenir meilleur.

Avec l’INA, connecté en permanence au Nexus, il n'était plus nécessaire de se rendre dans une clinique pour effectuer une sauvegarde de sa structure neurale. L’abonnement standard comprenait en effet un service de sauvegarde automatique hebdomadaire de ces données vers le Nexus. Un service qui était facturé pour ceux qui souhaitaient conserver leurs sauvegardes sur un RGSN personnel – une option qui soulignait, une fois de plus, la volonté d'Omnitech de centraliser les données neurales et génétiques de notre espèce à des fins de sauvegarde et de protection de notre essence pour éviter l'extinction, car si le Nexus survivait, il serait théoriquement possible de reconstruire l'espèce entière en ressuscitant les morts dans un futur, même par les systèmes intelligents d'Omnitech sans intervention humaine. 

En plus de l'INA et d’Utopia, la Division de Recherches en Systèmes Robotiques Avancés avait développé une nouvelle génération de robots humanoïdes, baptisés NovaBots. Conçus pour évoluer dans les environnements les plus hostiles, y compris à la surface, ces robots bénéficiaient d'une avancée majeure : un système de contrôle révolutionnaire, compatible avec l'IS2 de l’INA. Les NovaBots étaient équipés d'un large panel de capteurs sensoriels ultrasensibles qui retransmettaient les données sensorielles aux INA de leurs opérateurs, via le réseau Omnitech. Grâce à cette liaison neurale directe, les opérateurs pouvaient ressentir ce que les robots ressentaient, et les contrôler avec une précision et une fluidité inégalées, comme s'ils étaient leur propre corps.

Si les NovaBots pouvaient être contrôlés à distance par des IA pour des opérations d'envergures, ils étaient également équipés d'algorithmes décisionnels leur permettant d'accomplir des opérations de routine simples ne nécessitant pas d’interventions humaines. Cette nouvelle technologie, combinant le meilleur de l'intelligence artificielle et du contrôle humain, avait ainsi rendu obsolètes les drones de la concurrence, faisant d'Omnitech le maître incontesté de la robotique avancée.

L’INA, rapidement adopté par toutes les couches de la société, avait eu un impact considérable, et pour beaucoup, irréversible, sur leur mode de vie. Poussés par le désir d'évasion et le besoin de renouer avec une nature disparue, ils passaient désormais plus de temps sur Utopia que dans le monde réel, libérés – ou plutôt, déconnectés – de l'environnement étouffant des néo-villes et des abris. Les prairies verdoyantes, les forêts denses, les plaines infinies, les montagnes enneigées, les plages au sable doré, les océans scintillants, les lagons bleus, le vent, le soleil, un ciel bleu ou étoilé – autant de merveilles autrefois banales, devenues des luxes inestimables – tous ces paysages leur étaient nouveaux, ou plutôt, retrouvés, après des générations d'oubli. Les générations de cette époque n'avaient connu rien d'autre que les dédales des couloirs souterrains avec leurs lumières artificielles et les images traumatisantes des étendues désolées, sombres et radioactives de la surface, un héritage empoisonné qu'ils cherchaient désespérément à fuir, même virtuellement.

Quelques mois après la conférence retentissante d'Omnitech, Norwenn, désormais maître du jeu, avait pris la décision de fusionner Genesis et la Division de Recherche en Génie Génétique, plaçant ainsi sous une seule bannière les deux fleurons de la recherche biologique mondiale. Pour diriger cette nouvelle entité, il confia la direction au patriarche de la seconde branche de la famille Alisthair, Armand Erdan Alisthair, reconnu pour ses compétences exceptionnelles en génie génétique. Par la suite, Norwenn, tout en conservant son titre de patriarche, avait rejoint l'abri d'Omnitech avec Serenya, accompagné des chercheurs les plus brillants de Genesis. La famille Alisthair, désormais intégrée à Omnitech, poursuivait ses activités sous la direction de la Division de Recherche en Génie Génétique. 

[Époque: 2214 - Génie Génétique et Espoirs Équivoques]

Grâce aux données inestimables de l'archive génétique de la famille Alisthair, désormais propriété d'Omnitech, l'organisation disposait des ressources génétiques nécessaires pour envisager de recréer une grande partie de la biosphère terrestre. Cependant, les dommages subis par celle-ci étaient si importants, si profonds, qu'il fallait développer une technologie de terraformation avancée pour rendre la Terre à nouveau habitable pour les humains, un défi d'une ampleur presque inimaginable. Après trois ans de recherche acharnée sur la terraformation, les scientifiques d'Omnitech s'étaient heurtés à deux obstacles insurmontables. Tout d'abord, la quantité de ressources nécessaire à un tel projet était tout simplement colossale, dépassant de loin les maigres ressources restantes de la Terre exsangue. Ensuite, la durée du processus de terraformation était estimée à quatre siècles – une échelle de temps incompatible avec la survie de l'humanité dans les conditions actuelles. Il était impossible de vivre pendant quatre siècles dans des abris souterrains, de condamner des dizaines de générations à une existence recluse. Pourtant, c'était le temps nécessaire pour que la nouvelle biosphère atteigne un équilibre chimique viable pour l'espèce humaine. Confrontés à cette impasse, et malgré les promesses initiales de la terraformation, ils avaient provisoirement mis ce sujet de recherche de côté et s'étaient tournés vers l'édition du génome humain.

Toujours avec les données de l'archive génétique, les recherches de la Division de Recherches en Génie Génétique sur l'amélioration de l'ADN humain avaient connu une avancée fulgurante. En seulement une année, des résultats exploitables avaient été obtenus, ouvrant des perspectives vertigineuses, mais aussi terrifiantes. Cependant, le fruit de ces recherches, un être hybride résultant d'un croisement entre l'ADN humain et diverses espèces animales et végétales, ne présentait plus aucune caractéristique reconnaissable comme humaine. Si les simulations réalisées par le calculateur quantique d'Omnitech évaluaient comme acceptable la viabilité de ce génome humain modifié pour l'environnement actuel de la surface, son existence même soulevait des questions fondamentales sur notre nature.

La peau de la créature, semblable à celle d'un reptile, mais d'une texture inconnue, fluctuait constamment dans une palette de tons sombres, du gris à l'ocre, animée par des variations subtiles de teintes qui lui donnaient une apparence mouvante. Elle était constituée de membranes élastiques qui semblaient capables de se dilater et de se contracter pour absorber les radiations de l'environnement, source unique d'énergie vitale pour cet organisme modifié. La créature ne semblait pas posséder de système respiratoire apparent, confirmant que les radiations, loin d'être une menace, étaient devenues sa nourriture. Son corps imposant dégageait une impression de lenteur et de puissance contenue. Ses déplacements, rares et économes, s'effectuaient avec une lenteur inhérente à sa constitution. On devinait un cycle de vie particulier, alternant de longues périodes d'hibernation, pour reconstituer ses réserves d'énergie, et de lents déplacements vers de nouvelles sources de radiation – une adaptation ultime à un monde dévasté, où l'économie d'énergie était la clé de la survie.

Même si les simulations par le calculateur quantique d'Omnitech laissaient présager une viabilité acceptable de cet être hybride dans l'environnement toxique de la surface, les scientifiques d'Omnitech étaient confrontés à une réalité implacable : il était impossible de revenir en arrière une fois la mutation effectuée. La transformation était totale et irréversible. Cet être pourrait éventuellement sauver des vies, mais cela impliquerait que ces individus acceptent une séparation définitive d'avec l'humanité, une mutation irrévocable qui les transformerait en une nouvelle espèce, distincte de la nôtre. De plus, une telle évolution, aussi fascinante soit-elle d'un point de vue purement biologique, représenterait un cul-de-sac sur le plan évolutif, une voie sans issue. Les mutants, condamnés à une existence radicalement différente, ne pourraient plus évoluer ni sur le plan génétique, ni technologique ou même social, privés de l'héritage et des interactions de l'espèce humaine. Conscients de la portée de leurs recherches, et redoutant les dérives potentielles, les recherches dans cette direction avaient été immédiatement interrompues et les données soigneusement effacées, dans l'espoir d'éviter une catastrophe plus grande encore que celles que nous avions déjà connues.

Recentrant leurs efforts sur des applications moins controversées de la science, Norwenn et Serenya, ainsi que leurs divisions de recherche, consacraient désormais leur temps à des innovations technologiques plus pragmatiques, qui avaient permis à Omnitech de devenir le premier fournisseur de biens et services adaptés à chaque classe sociale, sur les marchés mondiaux, éclipsant la concurrence et s'assurant un monopole de fait. Le capital d'Omnitech, dépassant l'entendement, surpassait celui de toutes les autres Grandes Familles et Corporations réunies, faisant d'eux les maîtres incontestés de l'économie mondiale, et, par conséquent, du destin de notre espèce.

Le grand-père de Norwenn, son mentor, était décédé paisiblement un soir du 17 mars 2214. Comme tous les membres de la famille Alisthair, et conformément à la procédure désormais standardisée, la structure neurale de son grand-père était sauvegardée dans le Nexus, entretenant l'espoir ténu d'une possible restauration future, tout comme celle de ses parents, lorsque la technologie de clonage humain serait suffisamment avancée. À peine un an plus tard, Norwenn, à nouveau frappé par le deuil, avait dû faire ses adieux à sa grand-mère, Emma Alisthair, elle aussi emportée par la vieillesse – deux pertes cruelles, qui l'auraient laissé seul, à la tête d'un monde au bord du gouffre, s'il n'avait pas le soutien indéfectible de sa tendre moitié, Serenya.

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Spinari
Posté le 02/03/2025
Bonjour Arline, je n'ai pas encore terminé mais au fur et à mesure que j'avance dans ma lecture j'ai l'impression de découvrir les chroniques historiques d'un tout autre univers alors que nous restons bien "sur" notre bonne vieille terre du futur. Une lecture totalement immersive même si parfois difficile à suivre puisque ton texte délivre énormément d'éléments à assimiler rapidement.
Une très belle découverte en ce qui me concerne.
Arline
Posté le 05/03/2025
Bonjour Spinari,
Je te remercie pour ton retour.
Tu as vu juste. C'est bien une chronique historique avec un sens caché.
J'essaie de l'alléger au maximum les aspects techniques pour les ajouter dans un glossaire.
Pour le moment j'ai stoppé l'avancement au chapitre dix pour une révision, alors tout retour constructif est le bienvenu.
Spinari
Posté le 08/03/2025
Bonjour Arline,
J'aime cette idée de sens caché, c'est justement ce que l'on peut/veut attendre d'une chronique historique étant donné que les nombreux non-dits permettent au lecteur d'imaginer puis raconter.
Le glossaire sera indispensable et servira de point fort selon moi.
En tant que lecteur de chroniques historiques j'aime chercher l'information (un nom dans un arbre généalogique, un endroit sur une carte).
Une carte est-elle prévue ?
Arline
Posté le 23/03/2025
Bonjour Spinari,
Il n'a pas de carte actuellement parce que les événements s'enchaînent sur des environnements très variés.
Actuellement, je réécris le récit pour plus d'immersion. J'espère que cette nouvelle approche te plaira et je te remercie pour tes retours.
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